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05/06/2025 | FRANCE | N°24LY01590

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 6ème chambre, 05 juin 2025, 24LY01590


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La SCI Grenodent a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner Grenoble Alpes Métropole à lui verser une indemnité de 29 206 euros en réparation de désordres subis par l'ensemble immobilier " Le Trident " et d'enjoindre à Grenoble Alpes Métropole de réaliser des travaux de reprise sur la dalle située aux 34 et 38 avenue de l'Europe à Grenoble, ou subsidiairement de porter la condamnation à 222 594,62 euros si les travaux enjoints ne portent pas sur la

réparation des bétons.

Grenoble Alpes Métropole a appelé en garantie la société Axa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SCI Grenodent a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner Grenoble Alpes Métropole à lui verser une indemnité de 29 206 euros en réparation de désordres subis par l'ensemble immobilier " Le Trident " et d'enjoindre à Grenoble Alpes Métropole de réaliser des travaux de reprise sur la dalle située aux 34 et 38 avenue de l'Europe à Grenoble, ou subsidiairement de porter la condamnation à 222 594,62 euros si les travaux enjoints ne portent pas sur la réparation des bétons.

Grenoble Alpes Métropole a appelé en garantie la société Axa France IARD.

Par un jugement n° 2100041 du 16 avril 2024, le tribunal administratif de Grenoble a condamné Grenoble Alpes Métropole à payer à la SCI Grenodent la somme de 30 702 euros, lui a enjoint de réaliser une partie des travaux, a condamné la SCI Grenodent à rembourser à Grenoble Alpes Métropole 25 % du coût des travaux de reprise de la sous-dalle et a condamné Axa France IARD à garantir Grenoble Alpes Métropole des condamnations prononcées à son encontre.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 juin 2024, ensemble un mémoire complémentaire enregistré le 11 février 2025, la SA Axa France IARD, représentée par la SELARL C3LEX agissant par Me Cerveau-Colliard , demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 6 du jugement n° 2100041 du 16 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de rejeter les conclusions d'appel en garantie dirigées contre elle ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Grenodent une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Axa France IARD soutient que :

- l'assureur n'a pas vocation à se substituer à l'assuré pour réaliser des travaux que ce dernier aurait dû réaliser, la garantie de l'injonction de réaliser des travaux étant dès lors en dehors des prévisions du contrat d'assurance ;

- subsidiairement, l'assurance ne couvre pas les dommages causés aux biens dont l'assuré à la garde ou l'usage ;

- l'aléa lié au défaut d'entretien préexistait à la conclusion du contrat d'assurance le 1er septembre 2017 avec effet au 1er janvier 2018 et ne relève dès lors pas de ses prévisions ;

- l'objection tenant à la préexistence de l'aléa vaut également pour le préjudice de jouissance.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2025, Grenoble-Alpes Métropole, représentée par la SELARL Conseil affaires publiques agissant par Me Senegas, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement, à titre provoqué, à la réformation des articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2100041 du 16 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble, en réduisant l'étendue des travaux qu'il lui est enjoint de réaliser, en majorant l'obligation de remboursement de la SCI Grenodent et en mettant à la charge de la SCI Grenodent la moitié des frais d'expertise ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, à ce qu'une question préjudicielle soit adressée au juge judiciaire sur l'extinction de la servitude de passage ;

4°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SCI Grenodent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Grenoble-Alpes Métropole soutient que :

- c'est à juste titre que le tribunal a retenu l'obligation de garantie de son assureur, la société Axa France IARD, qui implique notamment le remboursement des travaux qu'elle aura réalisés en exécution de l'injonction décidée par le jugement et les objections opposées par la société d'assurance ne sont pas fondées ;

- elle est recevable à contester sa condamnation au titre de l'appel provoqué ;

- elle ne peut se voir imputer le défaut d'entretien de ceux des espaces, d'une superficie totale de 448 m², qui ont été fermés à l'accès du public et ne peut donc se voir condamnée à réparer les dommages causés sous ces espaces ne relevant pas d'elle ;

- la servitude s'est en tout état de cause éteinte pour ces espaces, ce qu'une question préjudicielle au juge judiciaire permettra en tant que de besoin de vérifier ;

- elle ne peut être regardée comme responsable de la mauvaise réalisation de l'ensemble immobilier, en dehors des seuls aménagements très limités qu'elle doit entretenir ;

- la réfection totale de la dalle, de la sous-dalle et du complexe d'étanchéité générera une plus-value d'au moins 50 %, qui doit être déduite de l'indemnisation.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 février 2025, la SCI Grenodent, représentée par Me Basset membre de l'AARPI TEJAS avocats, conclut :

1°) au rejet des conclusions de Grenoble-Alpes Métropole portant sur les articles 2, 3 et 4 du jugement n° 2100041 du 16 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) à titre incident, à la réformation de l'article 3 du jugement en limitant à 5 % son obligation de remboursement ;

3°) à titre provoqué, à la réformation de l'article 1er du jugement en portant la somme totale que Grenoble-Alpes Métropole a été condamnée à lui verser à hauteur de 48 562 euros ;

4°) à ce que les sommes de 5 000 et 3 000 euros soient mises à la charge respective de Grenoble-Alpes Métropole et de la société Axa France IARD, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Grenodent soutient que :

- elle est recevable à former un appel incident sur appel provoqué ;

- la condamnation à rembourser partiellement les travaux réalisés par la métropole doit être réduite, dès lors que les infiltrations sont quasi-exclusivement dues au défaut d'entretien imputable à la métropole et que la servitude qui fonde l'obligation d'entretien ne s'est pas éteinte, même partiellement ;

- les travaux ne généreront pas de plus-value déductible.

Par courrier du 14 mars 2025, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour est susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce que lorsqu'une personne privée est liée à une personne publique par un contrat, elle ne peut, eu égard aux rapports juridiques qui naissent de ce contrat, exercer d'autre action en responsabilité contre cette personne publique au titre de l'inexécution ou la mauvaise exécution des obligations contractuelles que celle procédant de ce contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans la mauvaise réalisation ou l'absence de réalisation de travaux, prévus par ce contrat, qui revêtent par ailleurs le caractère de travaux publics, seul le juge judiciaire étant compétent pour connaitre de ce litige si le contrat est de droit privé, comme un contrat instituant une servitude de passage de droit privé, de telle sorte que le jugement est entaché d'irrégularité en tant qu'il statue sur les conclusions indemnitaires et à fin d'injonction et que ces conclusions doivent elles-mêmes être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Par un mémoire enregistré le 18 mars 2025, la SCI Grenodent, représentée par Me Basset membre de l'AARPI Tejas avocats, a présenté des observations en réponse au moyen d'ordre public.

La SCI Grenodent soutient que la juridiction administrative doit demeurer compétente si la servitude de droit privé peut s'analyser comme donnant naissance à un ouvrage public et s'il y a des clauses exorbitantes du droit commun.

Par ordonnance du 23 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 25 novembre 2024 à 16h30. Par ordonnance du 12 novembre 2024, la clôture d'instruction a été reportée au 15 janvier 2025 à 16h30. Par ordonnance du 15 janvier 2025, la clôture d'instruction a été reportée au 17 février 2025 à 16h30. Par ordonnance du 12 février 2025, la clôture d'instruction a été reportée au 12 mars 2025 à 16h30.

Un mémoire complémentaire, présenté pour la société Axa France IARD et enregistré le 11 mars 2025, n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux.

Un mémoire complémentaire, présenté pour Grenoble-Alpes Métropole et enregistré le 12 mars 2025 à 16h05, n'a pas été communiqué en l'absence d'éléments nouveaux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stillmunkes, président-assesseur,

- les conclusions de Mme Cottier, rapporteure publique,

- les observations de Me Cerveau-Colliard, représentant la société Axa France IARD,

- les observations de Me Senegas, représentant Grenoble-Alpes métropole,

- et les observations de Me Basset, représentant la SCI Grenodent.

Une note en délibéré, présentée pour la SCI Grenodent, a été enregistrée le 20 mai 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte de vente du 4 novembre 2016, la SCI Grenodent a acquis de la SNC Le Trident un ensemble immobilier dénommé Le Trident, situé aux 34-38 avenue de l'Europe, comprenant deux bâtiments de trois et sept étages à usage de bureaux, édifiés sur une large dalle sous laquelle sont installés trois niveaux de parkings souterrains. Ainsi que l'expose l'acte de vente, plusieurs servitudes conventionnelles avaient été consenties, dont des servitudes de passage, d'une part, au bénéfice d'un fonds voisin comprenant des locaux commerciaux et, d'autre part, au bénéfice de la ville de Grenoble aux droits de laquelle vient Grenoble-Alpes-Métropole. Cette dernière servitude conventionnelle de passage, instaurée en 1972 sans limitation de durée, porte sur deux cheminements piétonniers traversant la dalle. Cette servitude a été consentie moyennant l'engagement, d'une part, de réaliser préalablement des travaux d'étanchéité, de protection au vide et le cas échéant de renforcement des soubassements et, d'autre part, d'entretenir les aménagements supérieurs des cheminements. A la suite d'infiltrations d'eau dans le premier niveau de parking, la SCI Grenodent, estimant que ces infiltrations étaient dues à la mauvaise exécution de l'obligation conventionnelle d'entretien des cheminements, a recherché la responsabilité de Grenoble-Alpes-Métropole, qui a elle-même appelé en garantie son assureur, la société Axa France IARD. Par le jugement attaqué du 16 avril 2024, le tribunal administratif de Grenoble a condamné Grenoble-Alpes-Métropole à payer à la SCI Grenodent la somme de 30 702 euros, lui a enjoint de réaliser une partie des travaux sollicités par la SCI Grenodent, a condamné la SCI Grenodent à rembourser à Grenoble Alpes Métropole 25 % du coût des travaux de reprise de la sous-dalle et a condamné Axa France IARD à garantir Grenoble-Alpes Métropole des condamnations prononcées à son encontre.

Sur la régularité du jugement :

2. Lorsqu'une personne privée est liée à une personne publique par un contrat, elle ne peut, eu égard aux rapports juridiques qui naissent de ce contrat, exercer d'autre action en responsabilité contre cette personne publique au titre de l'inexécution ou la mauvaise exécution des obligations contractuelles que celle procédant de ce contrat, alors même que la cause du dommage résiderait dans la mauvaise réalisation ou l'absence de réalisation de travaux, prévus par ce contrat, qui revêtent par ailleurs le caractère de travaux publics. Les litiges relatifs à l'inexécution d'une obligation résultant d'un contrat de droit privé relèvent de la compétence du juge judiciaire.

3. L'octroi conventionnel par un propriétaire d'un droit de passage, fut-ce en contrepartie d'engagements relatifs à des aménagements et à un entretien du passage, constitue un acte de droit privé, dès lors que, par son régime, son objet et ses clauses, cet acte n'a pas fait naître entre les parties des droits et obligations étrangers par leur nature à ceux qui sont susceptibles d'être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales.

4. En l'espèce, la servitude de passage conventionnelle en litige a été octroyée moyennant des travaux d'aménagements limités et un simple engagement d'entretien se rapportant aux cheminements en cause, qui auraient pu être consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales et que l'on retrouve au demeurant dans le cadre de la servitude conventionnelle de passage consentie au centre commercial voisin. Dès lors, alors même que ces travaux seraient susceptibles de constituer des travaux publics et en admettant même que les cheminements piétonniers puissent être regardés comme un ouvrage public, l'acte instituant la servitude de passage de droit privé en litige a le caractère d'un contrat de droit privé. Par ailleurs, la seule circonstance que la convention se borne à rappeler brièvement l'existence du pouvoir de police administrative générale du maire, tel qu'il est prévu et organisé par l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, ne caractérise pas une clause exorbitante du droit commun. En conséquence, seul le juge judiciaire est compétent pour connaitre d'un litige entre les parties relatif à l'exécution de ce contrat, Grenoble-Alpes-Métropole venant aux droits de la ville de Grenoble et la SCI Grenodent venant aux droits du propriétaire qui avait consenti l'institution de la servitude. Le tribunal administratif de Grenoble a ainsi entaché son jugement d'irrégularité en retenant la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur ce litige contractuel de droit privé. Les articles 1er à 3 du jugement doivent en conséquence être annulés.

5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions indemnitaires et à fin d'injonction de la SCI Grenodent.

Sur les conclusions indemnitaires et à fin d'injonction :

6. Ainsi qu'il vient d'être exposé, ces conclusions doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaitre.

Sur les conclusions d'appel en garantie :

7. Les conclusions principales étant rejetées, les conclusions subsidiaires d'appel en garantie présentées par Grenoble-Alpes-Métropole à l'encontre de son assureur sont sans objet. L'article 6 du jugement doit en conséquence être annulé.

Sur les dépens :

8. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de modifier les conditions de prise en charge des frais d'expertise fixées par le tribunal.

Sur les frais de l'instance :

9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1er, 2, 3 et 6 du jugement n° 2100041 du 16 avril 2024 du tribunal administratif de Grenoble sont annulés.

Article 2 : Les conclusions à fin d'indemnisation et d'injonction présentées par la SCI Grenodent à l'encontre de Grenoble-Alpes-Métropole sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Axa France IARD, à Grenoble-Alpes-Métropole et à la SCI Grenodent.

Délibéré après l'audience du 19 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président de chambre,

M. Stillmunkes, président assesseur,

M. Gros, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juin 2025.

Le rapporteur,

H. Stillmunkes

Le président,

F. Pourny

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne à la préfète de l'Isère, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01590


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01590
Date de la décision : 05/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

17-03-02-03-01 Compétence. - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. - Compétence déterminée par un critère jurisprudentiel. - Contrats. - Contrats de droit privé.


Composition du Tribunal
Président : M. POURNY
Rapporteur ?: M. Henri STILLMUNKES
Rapporteur public ?: Mme COTTIER
Avocat(s) : SENEGAS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-05;24ly01590 ?
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