Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part d'annuler l'arrêté du 8 juin 2020 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande d'admission au séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination, d'autre part d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour d'un an portant la mention " vie privée et familiale " ou, à titre de subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente un récépissé portant autorisation de travail sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2108438 du 17 janvier 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juillet 2022 et le 30 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Ant, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 janvier 2022 ;
2°) d'annuler cet arrêté préfectoral du 8 juin 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une carte de séjour portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de Me Ant, la somme de 2 200 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sous réserve de la renonciation de ce conseil au bénéfice de l'aide juridictionnelle sur le fondement de l'article 37 de la loi du 1er juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est intervenu au terme d'une procédure irrégulière, faute pour le préfet d'avoir saisi au préalable la commission du titre de séjour en méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors qu'il réside en France depuis plus de quinze ans ;
- comme il justifie résider en France depuis plus de dix ans, il peut prétendre à la délivrance d'un certificat de résidence d'un an sur le fondement de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le refus de titre de séjour a été pris en méconnaissance de l'article 6-5 de cet accord et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et se trouve entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, ayant toutes ses attaches familiales en France où il vit depuis plus de vingt ans, et justifie d'une intégration sociale et professionnelle ;
- l'obligation de quitter le territoire français est quant à elle illégale compte tenu de l'illégalité du refus de titre de séjour, méconnaît elle aussi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
La requête de M. A... a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observations.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Revert.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né en 1947, de nationalité algérienne, a demandé le 26 mars 2019 la délivrance d'un certificat de résidence sur le double fondement de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des liberté fondamentales. Par un arrêté du 8 juin 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à cette demande, a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement du 17 janvier 2022, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté pris en trois objets.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / 1) au ressortissant algérien, qui justifie par tout moyen résider en France habituellement depuis plus de dix ans (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui déclare être entré en France pour la dernière fois en 1989, produit de nombreux documents, notamment des ordonnances et attestations médicales, ainsi que des prises en charge par l'aide médicale d'Etat pour les années 2010 à 2020 sans interruption, des bulletins d'hospitalisation pour 2014 et 2015, des courriers de médecins sur son état de santé et son suivi depuis 2006, des relevés bancaires, des décomptes de droit de sécurité sociale, mentionnant les consultations médicales correspondantes, des factures d'achat, ainsi que des attestations de relations amicales. L'ensemble de ces pièces, qui indiquent toutes la même adresse de M. A..., hébergé sur toute cette période par la même personne, jusqu'à son élection de domicile pour quelques mois au centre communal d'action sociale de l'agence est de Marseille, et son déménagement dans un appartement qu'il loue lui-même depuis le mois d'octobre 2019, attestent de sa présence sur le territoire français pour chaque année depuis le début de l'année 2010. Ainsi M. A..., qui établit avoir résidé habituellement en France depuis plus de dix ans à la date de l'arrêté attaqué, est fondé à soutenir que l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 6-1 de l'accord franco-algérien, et à en demander l'annulation pour ce motif. Il y a donc lieu d'annuler cet arrêté et le jugement attaqué.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
4. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
5. Le présent arrêt implique nécessairement, compte tenu de son motif et en l'absence au dossier de tout élément indiquant que la situation du requérant se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention de l'arrêté en litige, la délivrance à M. A... d'un certificat de résidence. Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer ce titre dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour durant ces deux mois. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Ant, son avocat, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, la somme de 2 000 euros à verser à ce conseil.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2108438 du 17 janvier 2022 du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 8 juin 2020 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à M. A... un titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour durant ces deux mois.
Article 3 : L'Etat versera à Me Ant, son avocat, la somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce conseil renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Ant et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2023.
N° 22MA018862