Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 13 juin 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination.
Par un jugement n° 2306516 du 10 août 2023, la magistrate désignée par la présidente tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 23MA02140 le 15 août 2023, M. B..., représenté par Me Dogan, demande à la cour :
1°) d'être assisté par un interprète en langue kurde kurmanji/turc ;
2°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille du 10 août 2023 ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 13 juin 2023 ;
4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, dans l'attente du réexamen de sa situation ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile car il était en droit de se maintenir sur le territoire dès lors qu'il avait introduit une demande de réexamen de sa demande d'asile pour laquelle une attestation de demande d'asile lui avait délivrée le 6 juin 2023 ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire, enregistré le 19 décembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 23MA02161 le 18 août 2023, M. B..., représenté par Me Dogan, demande à la cour :
1°) d'assister M. B... d'un interprète en langue kurde kurmanji/turc ;
2°) d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-17 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement du 10 août 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement comporte des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens soulevés dans sa requête au fond sont sérieux.
Par un mémoire, enregistré le 19 décembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- il n'est pas établi que l'exécution du jugement attaqué aurait des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Rigaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité turque, demande l'annulation et le sursis à exécution du jugement du 10 août 2023 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône pris le 13 juin 2023 l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
2. Les requêtes n° 23MA02140 et n° 23MA02161 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.
Sur la demande d'assistance par un interprète :
3. Les dispositions de l'article R. 776-23 du code de justice administrative, qui instituent au profit de l'étranger qui ne parle pas suffisamment la langue française la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un interprète lors de l'audience afin de présenter des observations orales, ne sont applicables qu'aux seuls recours introduits devant le tribunal administratif contre les décisions d'éloignement lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. M. B... ne peut donc, en tout état de cause, demander le bénéfice d'un interprétariat dans le cadre de l'appel qu'il a interjeté contre le jugement du 10 août 2023 par lequel la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juin 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral du 13 juin 2023 :
4. Aux termes de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le demandeur d'asile dont l'examen de la demande relève de la compétence de la France et qui a introduit sa demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 542-1 du même code : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ". Selon l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : a) une décision d'irrecevabilité prise en application des 1° ou 2° de l'article L. 531-32 ; b) une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 531-32, en dehors du cas prévu au b du 2° du présent article ; (...) 2° Lorsque le demandeur : (...) b) a introduit une première demande de réexamen, qui a fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité par l'office en application du 3° de l'article L. 531-32, uniquement en vue de faire échec à une décision d'éloignement ; (...) ".
5. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions qu'une demande de réexamen ouvre droit au maintien sur le territoire français jusqu'à ce qu'il y soit statué. Le droit au maintien sur le territoire est conditionné par l'introduction de la demande auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), mais l'intéressé peut y prétendre dès qu'il a manifesté à l'autorité administrative son intention de solliciter un réexamen, l'attestation mentionnée à l'article L. 521-7 du même code ne lui étant délivrée qu'en conséquence de cette demande.
6. Si la demande d'asile de M. B... a été rejetée en dernier lieu par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 9 mars 2023, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile auprès des services de la préfecture des Bouches-du-Rhône, enregistrée en procédure accélérée le 6 juin 2023, et s'est vu, en conséquence, délivrer l'attestation de demandeur d'asile prévue par l'article L. 521-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette pièce révèle que le 13 juin 2023, date de l'arrêté attaqué, le préfet avait nécessairement connaissance de la demande de réexamen de la demande d'asile du requérant, nonobstant la circonstance que le relevé TelemOfpra, produit par le préfet des Bouches-du-Rhône en première instance, mentionne que la demande de réexamen de M. B... n'a été enregistrée par l'OFPRA que le 20 juin 2023. En outre, s'il ressort des pièces du dossier que l'OFPRA a déclaré la demande de réexamen de M. B... irrecevable au sens des articles L. 531-32 et L. 531-42 du même code, cette décision est intervenue le 30 juin 2023 et elle lui a été notifiée le 6 juillet suivant, soit postérieurement à l'arrêté en litige. Par conséquent, M. B... bénéficiait, à la date de l'arrêté en litige, du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA statuant sur sa demande de réexamen en application des dispositions précitées de l'article L. 541-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, le préfet des Bouches-du-Rhône ne pouvait, en s'abstenant de tenir compte de la première demande de réexamen de la demande d'asile de M. B..., légalement décider d'obliger ce dernier à quitter le territoire français sans méconnaître les dispositions des articles L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
7. M. B... est, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 juin 2023 et à demander l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Il incombe au préfet, en application des dispositions de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, non seulement de munir l'intéressé d'une autorisation provisoire de séjour, mais aussi de se prononcer à nouveau sur son cas. Il y a lieu de prescrire au préfet des Bouches-du-Rhône de se prononcer sur la situation de M. B... dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
9. En revanche, ainsi qu'il est exposé au point 6 du présent arrêt, il ressort des pièces du dossier que la demande de réexamen de la demande d'asile de M. B... a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 30 juin 2023, notifiée à l'intéressée le 6 juillet suivant. Dans ces conditions, à la date du présent arrêt, le droit au maintien de M. B... ayant pris fin en application des dispositions précitées de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions de la requête n° 23MA02161 à fin de sursis à exécution du jugement :
10. Le présent arrêt statue sur la demande d'annulation du jugement attaqué. Les conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement n° 2306516 sont donc devenues sans objet.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à de la requête n° 23MA02161 de M. B....
Article 2 : Le jugement n° 2306516 du 10 août 2023 du tribunal administratif de Marseille et l'arrêté du 13 juin 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, à un nouvel examen de la situation de M. B... et de lui délivrer dans l'attente de sa décision une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des deux requêtes de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 22 février 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente de chambre,
- Mme Lison Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Jérôme Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 mars 2024.
N° 23MA02140, 23MA021612