Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'association Sauvegarde des Codouls du Thoronet (ASDC) a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 16 avril 2020 par lequel le préfet du Var a enregistré la demande de la société méridionale des carrières (Someca) concernant des installations de stockage de déchets inertes, de concassage, criblage et transit de matériaux sur le territoire de la commune du Thoronet.
Par un jugement n° 2002209 du 28 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 janvier et 13 décembre 2023, l'ASDC, représentée par Me Humbert Simeone, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 octobre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 16 avril 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Someca, in solidum, la somme de 8 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le dossier de demande d'enregistrement était incomplet au regard des exigences de l'article R. 512-46-3 du code de l'environnement s'agissant de la description des effets du projet sur l'environnement, particulièrement de la destruction de gîtes et habitats, de la pollution lumineuse, de la pollution des eaux, des nuisances sonores, de l'impact routier et de la proximité des habitations ;
- les dispositions de l'article R. 512-46-6 du code de l'environnement ont été méconnues dès lors qu'aucune demande de permis de construire n'a été formalisée malgré l'installation d'un pont à bascule et de bassins soumis à un tel permis en application des articles L. 421-1 et suivants et R. 421-9 du code de l'urbanisme ;
- elles ont également été méconnues en ce qu'aucune autorisation de défrichement n'a été sollicitée ;
- les dispositions de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement ont été méconnues ; le préfet aurait dû soumettre le dossier à une procédure d'autorisation ; le site n'est pas dans un état de dégradation tel qu'il serait dépourvu d'intérêt écologique ; l'exploitation aura des effets sur les chiroptères et les autres espèces présentes sur le site et celui-ci se trouve à proximité d'habitations ;
- une dérogation relative à l'interdiction de destruction et perturbation intentionnelle d'espèces protégées aurait dû être sollicitée sur le fondement des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;
- l'obligation de prendre en compte l'état du terrain, prévue notamment à l'article L. 515-30 du code de l'environnement, et de remettre en état, n'a pas été respectée ;
- la demande aurait dû être rejetée dès lors que l'installation est incompatible avec l'article N2 du plan local d'urbanisme ;
- l'accès au site n'est pas conforme aux dispositions de l'article 11 de l'arrêté du 12 décembre 2014, de l'article N3 du plan local d'urbanisme, et de l'article AN7 du plan local d'urbanisme de la commune du Cannet des Maures ; ses dimensions sont insuffisantes ; en outre il n'est pas compatible avec l'emplacement réservé défini au plan local d'urbanisme du Cannet des Maures pour la réalisation d'une piste de défense contre l'incendie dans les conditions définies par l'article L. 134-3 du code forestier ;
- l'arrêté est incompatible avec le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 et méconnaît l'article L. 212-1 du code de l'environnement dès lors qu'il existe un risque de pollution par ruissellement des eaux souterraines et de surface ;
- le projet risque de porter atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement ; les poussières génèrent un risque sanitaire et environnemental ; l'exploitation génèrera des nuisances sonores ; il existe un risque de mouvements de terrains et d'effondrement, de même qu'un risque de pollution des eaux ; le projet porte atteinte à l'intérêt écologique du site et au paysage ; il aura un impact sur le réseau routier eu égard à l'augmentation induite du trafic, l'état et l'étroitesse des voies ;
- les principes issus de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et de la Charte de l'environnement ont été méconnus, particulièrement les principes de précaution et de prévention, l'obligation de promouvoir un développement durable, le droit à un environnement sain et le droit des générations futures.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Par des mémoires enregistrés les 28 septembre et 29 décembre 2023, la société Someca, représentée par la SCP Boivin et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte de l'environnement ;
- la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 ;
- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011, modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;
- le code de l'environnement ;
- le code forestier ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêté du 22 septembre 1994 relatif aux exploitations de carrières ;
- l'arrêté du 26 novembre 2012 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations de broyage, concassage, criblage, etc., relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2515 de la nomenclature des installations classées, y compris lorsqu'elles relèvent également de l'une ou plusieurs des rubriques n° 2516 ou 2517 pour la protection de l'environnement ;
- l'arrêté du 10 décembre 2013 relatif aux prescriptions générales applicables aux stations de transit de produits minéraux ou de déchets non dangereux inertes autres que ceux visés par d'autres rubriques relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2517 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- l'arrêté du 12 décembre 2014 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations du régime de l'enregistrement relevant de la rubrique n° 2760 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Humbert Simeone, représentant l'ASDC, et de Me Bazin, représentant la société Someca.
Une note en délibéré présentée par Me Humbert Simeone pour l'association Sauvegarde des Codouls du Thoronet a été enregistrée le 19 mars 2024.
Considérant ce qui suit :
1. L'association Sauvegarde des Codouls du Thoronet (ASDC) relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 28 octobre 2022 ayant rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2020 par lequel le préfet du Var a enregistré la demande de la société Someca concernant des installations de stockage de déchets inertes, de concassage, criblage et transit de matériaux au sein d'une ancienne carrière, lieu-dit " A... ", sur le territoire de la commune du Thoronet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la procédure :
S'agissant de la complétude du dossier :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 512-46-3 du code de l'environnement, dans sa version applicable, la demande qui doit être adressée au préfet du département pour l'enregistrement d'une installation classée mentionne notamment : " (...) 4° Une description des incidences notables qu'il est susceptible d'avoir sur l'environnement, en fournissant les informations demandées à l'annexe II. A de la directive 2011/92/ UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. / Un arrêté du ministre chargé des installations classées fixe le modèle national de demande d'enregistrement. / (...) ". En application du point 2 de l'annexe II. A de ladite directive doit notamment figurer dans la demande une " description des éléments de l'environnement susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet ".
3. Il n'est pas contesté que la société pétitionnaire a présenté sa demande sur le formulaire dédié conformément à ces dispositions.
4. Le projet d'installations de stockage de déchets inertes, de concassage, criblage et transit de matériaux en litige prévoit le stockage de 200 000 tonnes de matériaux maximum par an et un total, sur les 30 ans d'autorisation, de 3,4 millions de tonnes, sur une superficie d'emprise de 198 000 m². Estimant qu'il était susceptible d'entraîner des perturbations de la biodiversité existante, qu'il serait source de trafics, de bruits, de vibrations et de poussières, la société Someca a joint à son dossier une étude réalisée pour décrire les enjeux et incidences possibles du projet sur les chiroptères, ainsi que des éléments relatifs à ces potentielles sources de nuisances et aux mesures de réduction prévues.
5. Si l'association requérante soutient que d'autres espèces animales ou végétales seraient concernées par le projet, particulièrement la tortue Hermann, des batraciens ou l'espèce végétales Pricis Rhagadioloides, il résulte de l'instruction que le site en cause est une ancienne carrière de bauxite puis de matériaux calcaires, ayant fonctionné jusqu'en 1997, à l'état naturel depuis lors, que le projet a vocation à combler, puis à végétaliser. Ainsi, et alors même qu'il se situe en partie au sein de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type II " collines du Recoux ", laquelle est particulièrement répertoriée à raison de sa flore et de la présence de la tortue d'Hermann, il est en lui-même très dégradé et ne constitue pas une zone à enjeux pour ces espèces, ainsi que l'ont estimé les services de l'Etat compétents après visite sur place.
6. Il ressort par ailleurs clairement du projet décrit qu'aucun éclairage nocturne du site, dont les horaires maximaux d'exploitation sont fixés entre 7h et 17h, n'est prévu.
7. Dès lors, et alors qu'ainsi qu'il a été précisé une étude fouillée a été fournie s'agissant de l'impact du projet sur les chiroptères présents sur le site, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le dossier aurait été incomplet s'agissant de la description des éléments de biodiversité susceptibles d'être affectés de manière notable par le projet.
8. Il ne résulte par ailleurs pas des éléments que fait valoir la requérante que la réverbération du bruit, le caractère accidentogène de la voie d'accès, ou la proximité des habitations auraient été insuffisamment pris en compte de telle sorte que le dossier serait, s'agissant des affections induites à l'environnement, insuffisant.
9. Enfin, si l'ASDC soutient encore que le risque de pollution des eaux alimentant la commune du Thoronet a été négligé, le dossier remis par la pétitionnaire décrit précisément l'absence de risque de pollution lié aux déchets inertes en eux-mêmes, dont aucun lavage n'est prévu sur site, qui font l'objet d'une procédure stricte de contrôle et parmi lesquels il n'est pas prévu la présence d'amiante. Il présente également le dispositif mis en place pour éviter toute pollution accidentelle aux hydrocarbures en provenance des véhicules apporteurs ou des engins de crible et de concassage, conformément aux dispositions de l'article 13 de l'arrêté du 12 décembre 2014, par le stockage des produits de petit entretien sur des aires étanches avec rétention réglementaire et par un approvisionnement en carburant par camion-citerne au-dessus d'une aire étanche, le cas échéant mobile. Par ailleurs, un dispositif de recueil des eaux de ruissellement s'écoulant sur les aires imperméabilisées via un réseau de fossé puis un double bassin étanche, dont les modalités de détermination du volume sont dûment précisées au dossier, avec décanteur / déshuileur, permet de circonscrire tout risque, nécessairement réduit, lié aux ruissellements d'eaux superficielles polluées. En outre l'organisation de la circulation sur site et la formation des personnels sont prévus. Il ne saurait dès lors être soutenu que le dossier est à cet égard insuffisant.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 512-46-6 du code de l'environnement : " La demande d'enregistrement est complétée dans les conditions suivantes : / 1° Lorsque l'implantation d'une installation nécessite l'obtention d'un permis de construire, la demande d'enregistrement doit être accompagnée ou complétée dans les dix jours suivant sa présentation par la justification du dépôt de la demande de permis de construire. L'octroi du permis de construire ne vaut pas enregistrement au sens des dispositions de la présente section ; / 2° Lorsque l'implantation d'une installation nécessite l'obtention d'une autorisation de défrichement, la demande d'enregistrement doit être accompagnée ou complétée dans les dix jours suivant sa présentation par la justification du dépôt de la demande d'autorisation de défrichement. L'octroi de l'autorisation de défrichement ne vaut pas enregistrement au sens des dispositions de la présente section ". Aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme : " Les constructions, même ne comportant pas de fondations, doivent être précédées de la délivrance d'un permis de construire ".
11. D'une part, si la requérante fait référence aux circonstances que le projet prévoit la présence sur site d'un pont à bascule et de bassins, elle n'indique pas, en se bornant à faire référence de façon générale aux dispositions des articles L. 421-1 et R. 421-9 du code de l'urbanisme, à quel titre ces installations pourraient constituer des constructions soumises à permis de construire. D'autre part, l'installation ne concerne qu'un peu plus de la moitié de la superficie des parcelles cadastrales d'implantation et les zones boisées ne sont pas concernées par le projet. Dès lors, l'ASDC n'est pas fondée à soutenir qu'il aurait dû être justifié du dépôt de demandes de permis de construire et d'autorisation de défrichement.
S'agissant de l'application des dispositions de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement :
12. L'article L. 512-7-2 du code de l'environnement prévoit que le préfet peut décider que la demande d'enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales, c'est-à-dire selon le régime de l'autorisation : " 1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés à l'annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ; / 2° Ou si le cumul des incidences du projet avec celles d'autres projets d'installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie ; / 3° Ou si l'aménagement des prescriptions générales applicables à l'installation, sollicité par l'exploitant, le justifie ; / Dans les cas mentionnés au 1° et au 2°, le projet est soumis à évaluation environnementale. Dans les cas mentionnés au 3° et ne relevant pas du 1° ou du 2°, le projet n'est pas soumis à évaluation environnementale. / (...) ".
13. Il résulte de ces dispositions que le préfet doit se livrer à un examen du dossier afin d'apprécier, tant au regard de la localisation du projet que des autres critères mentionnés à l'annexe III de la directive, relatifs à la caractéristique des projets et aux types et caractéristiques de l'impact potentiel, si le projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, ce qui conduit alors à le soumettre au régime de l'autorisation environnementale. (cf. CE, 25.09.19, n° 427145)
14. Au titre du type et des caractéristiques de l'impact potentiel du projet qu'il y a ainsi lieu d'apprécier, le point 3 de l'annexe III de la directive à laquelle il est renvoyé, mentionne qu'il doit notamment être tenu compte de : " h) la possibilité de réduire l'impact de manière efficace ". L'article 4 de la directive précise à cette fin, en son point 4, que " Lorsque les États membres décident d'exiger une détermination pour les projets énumérés à l'annexe II, le maître d'ouvrage fournit des informations sur les caractéristiques du projet et sur les incidences notables qu'il est susceptible d'avoir sur l'environnement. La liste détaillée des informations à fournir est indiquée à l'annexe II.A. Le maître d'ouvrage tient compte, le cas échéant, des résultats disponibles d'autres évaluations pertinentes des incidences sur l'environnement réalisées en vertu d'actes législatifs de l'Union autres que la présente directive. Le maître d'ouvrage peut également fournir une description de toutes les caractéristiques du projet et/ou les mesures envisagées pour éviter ou prévenir ce qui aurait pu, à défaut, constituer des incidences négatives notables sur l'environnement ".
15. Si la requérante fait valoir que la nature aurait repris ses droits depuis que l'exploitation de la carrière a cessé, les zones boisées des parcelles en cause ne sont, ainsi qu'il a été dit précédemment, pas concernées par le projet. Comme il a été dit ci-dessus au point 5, le site demeure très dégradé et ne constitue pas une zone à enjeux pour les espèces identifiées au sein de la zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique de type II " collines du Recoux ". Par ailleurs, s'il constitue un corridor de déplacement des chiroptères et si une cavité y est utilisée comme gîte par certains de ces animaux, celle-ci est située hors du périmètre de terrassement et le pétitionnaire a prévu diverses mesures, reprises par l'arrêté préfectoral, notamment de préservation des points d'eau et de haies, de réaménagement du site, ou d'encadrement des modalités de fonctionnement de l'installation, particulièrement l'absence d'éclairage extérieur. Si la requérante fait valoir que l'étude naturaliste effectuée concluait à la nécessité de réaliser des suivis complémentaires des chiroptères, ceux-ci ont été prévus par le pétitionnaire au fur et à mesure de l'avancement de l'exploitation, afin d'adapter le projet et son phasage. Dès lors, l'impact de l'installation sur les chiroptères fréquentant le site sera faible, ainsi que l'ont d'ailleurs estimé les services compétents, après visite sur place et examen de l'étude fournie. En outre, la carrière se trouve à 2,8 km de la zone Natura 2000 du Val d'Argens, la plus proche, et n'est pas particulièrement visible depuis le vallon classé de l'abbaye du Thoronet se trouvant à 2 km. Enfin, la plus proche des habitations se trouve à 180 mètres de l'entrée du site, en contrebas et derrière un couvert végétal, le traitement des matériaux, source principale de bruit, sera effectué au plus loin possible de celle-ci, et l'installation ne fonctionnera qu'en semaine de 7h à 17h au plus tard, sans concassage-criblage durant l'été. Il ne résulte ainsi pas davantage de l'instruction que l'urbanisation voisine constituerait, notamment au regard de la topographie, un enjeu particulier. Dans ces conditions, le préfet a pu légalement estimer, tant au regard de la localisation du projet, de ses caractéristiques, que du type et des caractéristiques de son impact potentiel, que le projet ne présentait pas une sensibilité environnementale justifiant la mise en œuvre des dispositions de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement.
S'agissant de la nécessité d'obtenir une dérogation sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement :
16. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits : 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ; / 2° La destruction, la coupe, la mutilation, l'arrachage, la cueillette ou l'enlèvement de végétaux de ces espèces, (...) ; / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : / (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, (...), et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / (...) / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / (...) ".
17. Il résulte de ces dispositions que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, l'autorité administrative peut déroger à ces interdictions dès lors que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
18. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.
19. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
20. En l'espèce, il résulte de ce qui a été exposé précédemment aux points 5 et 15 qu'eu égard à l'état actuel du site s'agissant de l'ensemble des espèces évoquées par la requérante, à la teneur du projet et aux mesures prises pour éviter et réduire les atteintes susceptibles d'être portées aux espèces de chiroptères qui y sont présentes, le risque que comporte le projet pour les espèces protégées n'est pas suffisamment caractérisé pour que le pétitionnaire soit soumis à l'obligation de solliciter une dérogation " espèces protégées ".
En ce qui concerne le bien-fondé de l'enregistrement :
21. En premier lieu, si la requérante soutient qu'il aurait dû être fait état de l'état initial du terrain, en application de l'article L. 515-30 du code de l'environnement, ces dispositions ne sont en tout état de cause applicables qu'aux installations mentionnées à l'annexe I de la directive 2010/75/UE, parmi lesquelles ne figurent pas les installations de stockage de déchets inertes telle celle de l'espèce. Au demeurant, la pétitionnaire dispose d'un procès-verbal de récolement en date du 27 mars 1998, constatant la conformité des travaux de remise en état aux dispositions de l'arrêté d'autorisation d'exploiter la carrière.
22. En deuxième lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 152-1 du code de l'urbanisme, le règlement et les documents graphiques du plan local d'urbanisme sont opposables à l'ouverture des installations classées appartenant aux catégories déterminées dans le plan. Il en résulte que les prescriptions de celui-ci qui déterminent les conditions d'utilisation et d'occupation des sols et les natures d'activités interdites ou limitées s'imposent aux actes permettant d'exploiter délivrés au titre de la législation des installations classées. Par ailleurs, il appartient au juge du plein contentieux des installations classées de se prononcer sur la légalité de l'enregistrement au regard des règles d'urbanisme légalement applicables à la date de sa délivrance.
23. En l'espèce le projet est situé essentiellement en zone N du plan local d'urbanisme, et résiduellement en zone A. Les règlements des deux zones précisent, dans leur rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, que sont autorisés " à condition qu'ils soient directement nécessaires à des équipements collectifs ou à des services publics : / - Les installations, constructions ou ouvrages techniques, y compris ceux relevant de la règlementation sur les installations classées, sous réserve de démontrer d'un intérêt public des installations, de la nécessité technique de leur implantation en zone (...) et qu'ils ne portent pas atteinte au caractère de la zone ".
24. Il ne saurait être sérieusement contesté que le projet en litige, qui vise, ainsi qu'il a déjà été dit, à combler une ancienne carrière et à revégétaliser un site dégradé, ne porte pas atteinte au caractère des zones concernées et voit la nécessité technique de son implantation à cet endroit justifiée par elle-même. Par ailleurs, le plan régional de prévention et de gestion des déchets estime nécessaire de créer entre 9 et 25 installations de stockage des déchets inertes entre 2015 et 2031, dont 3 à 6 à l'échelle du bassin de vie qui présente un déficit évalué à 400 000 tonnes par an. Dès lors, et alors même que ce plan prévoit que des installations de moindre capacité peuvent être prévues en zone rurale, le projet litigieux contribue à la satisfaction de besoins collectifs tenant à la valorisation et au stockage des déchets inertes, outre qu'il conduit à la réhabilitation du site en cause. Il présente de ce fait un intérêt public qui lui confère le caractère d'un équipement collectif au sens du règlement du plan local d'urbanisme communal.
25. En troisième lieu, d'une part, l'arrêté du 12 décembre 2014 et les dispositions des plans locaux d'urbanisme des communes du Thoronet et du Cannet des Maures exigent que les voies de desserte de l'installation soient, par leurs caractéristiques, appropriées à leur usage. D'autre part, l'article L. 134-3 du code forestier prévoit que : " Les voies de défense des bois et forêts contre l'incendie ont le statut de voies spécialisées, non ouvertes à la circulation générale. / L'acte instituant la servitude énonce les catégories de personnes ayant accès à ces voies et fixe les conditions de leur accès ". Enfin, l'article L. 151-41 du code de l'urbanisme précise que : " Le règlement peut délimiter des terrains sur lesquels sont institués : / 1° Des emplacements réservés aux voies et ouvrages publics dont il précise la localisation et les caractéristiques ; / 2° Des emplacements réservés aux installations d'intérêt général à créer ou à modifier ; / (...) ". Ces dispositions ont pour objet de permettre aux auteurs d'un document d'urbanisme de réserver certains emplacements à des voies et ouvrages publics, à des installations d'intérêt général, le propriétaire restant libre de l'utilisation de son terrain sous réserve qu'elle n'ait pas pour effet de rendre ce dernier incompatible avec la destination prévue par la réservation.
26. Contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas des éléments qu'elle fournit que la route départementale n° 17 ne serait pas en mesure d'accueillir le trafic supplémentaire induit par l'exploitation, ni surtout que les dimensions de la voie d'accès au site depuis la route départementale n° 17, utilisée durant la période d'exploitation de la carrière, seraient insuffisantes pour permettre la circulation des poids lourds, alors qu'elle ne conteste pas l'existence d'espaces de croisement réguliers et qu'il n'est pas établi un caractère particulièrement accidentogène. Par ailleurs, si l'ASDC fait valoir que cette voie, dite " piste du Recoux ", aurait été délimitée dans le règlement du plan local d'urbanisme de la commune du Cannet des Maures comme emplacement réservé afin de constituer une piste de défense contre l'incendie, il ne résulte pas de cette circonstance qu'elle ne pourrait plus être utilisée pour l'accès aux installations litigieuses, dès lors qu'un tel usage n'a pas, en lui-même, pour effet de rendre la voie incompatible avec la destination prévue. Enfin, dans l'hypothèse où le chemin deviendrait effectivement une piste de défense contre l'incendie, l'association requérante n'indique pas en quoi la servitude prévue à l'article L. 134-3 du code forestier ne pourrait pas prévoir ce double usage. Dès lors les moyens tirés de ce que l'accès au site ne respecterait pas les dispositions de l'arrêté du 12 décembre 2014 et celles des plans locaux d'urbanisme des communes du Thoronet et du Cannet des Maures doivent être écartés.
27. En quatrième lieu, il résulte de ce qui a été exposé au point 9 ci-dessus qu'il n'y a pas de risque de pollution par ruissellement des eaux souterraines et de surface, alors que la requérante ne précise pas en quoi le double bassin étanche, dont les modalités de détermination du volume sont, ainsi qu'il a été dit, dûment précisées au dossier, serait insuffisant.
28. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. / (...) ". Aux termes du 2ème alinéa de l'article L. 512-7-3 du code de l'environnement : " En vue d'assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et, le cas échéant, à l'article L. 211-1, le préfet peut assortir l'enregistrement de prescriptions particulières complétant ou renforçant les prescriptions générales applicables à l'installation. (...) ".
29. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction, ainsi qu'il a été dit précédemment aux points 5, 9, 15 et 26, qu'il existe un risque de pollution des eaux, d'atteinte à l'intérêt écologique du site, de nuisances sonores incompatibles avec l'urbanisation voisine ou d'inadaptation des voies de circulation à l'usage envisagé.
30. D'autre part, il résulte du dossier d'enregistrement que l'exploitant a prévu, conformément aux arrêtés fixant les prescriptions générales applicables à ce type d'exploitation, les mesures propres à prévenir un risque lié à l'envol de poussières, ainsi qu'exposé à bon droit par le tribunal au point 40 de son jugement dont il y a lieu d'adopter les motifs. Pour les mêmes motifs que ceux exposés par les premiers juges au point 42 de leur décision, les craintes exprimées par l'association requérante quant à un risque de mouvement de terrain, qui font en outre l'objet de prescriptions précises dans l'arrêté litigieux, peuvent être écartées. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la requérante, il ne résulte pas de l'instruction que le projet litigieux, qui n'implique pas de déboisement ainsi qu'il a été dit précédemment au point 11 et qui conduira, à terme, à la végétalisation d'un site dégradé, porte atteinte au paysage. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que le projet de la société Someca porterait atteinte aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
31. En sixième et dernier lieu, l'article 1er de la Charte de l'environnement précise : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Aux termes de son article 3 : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences ". L'article 5 dispose : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Enfin, aux termes de l'article 6 : " Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ". Les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement précisent : " I. - Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sons et odeurs qui les caractérisent, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l'air, la qualité de l'eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. (...) / (...) / II. - Leur connaissance, leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état, leur gestion, la préservation de leur capacité à évoluer et la sauvegarde des services qu'ils fournissent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement et la santé des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants : / 1° Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ; / 2° Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ; / (...) ".
32. Eu égard aux motifs qui viennent d'être exposés aux points 29 et 30, et alors que la requérante n'établit pas l'existence d'éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse d'un risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement qui justifieraient, en l'espèce, l'application du principe de précaution, les moyens tirés de ce que l'enregistrement opéré par le préfet méconnaitrait les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement et des articles 1er, 3, 5 comme, en tout état de cause, 6 de la Charte de l'environnement doivent être écartés.
33. Il résulte de tout ce qui précède que l'ASDC n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2020.
Sur les frais liés au litige :
34. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la Someca qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ASDC une somme de 2 000 euros à verser à la société Someca sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'ASDC est rejetée.
Article 2 : L'ASDC versera une somme de 2 000 euros à la société Someca au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Sauvegarde des Codouls du Thoronet, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Someca.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 mars 2024.
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N° 23MA00033
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