Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA NBAB a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution annuelle sur les revenus locatifs auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2012 et 2013.
Par un jugement n° 2002023 du 12 décembre 2022, le tribunal administratif de Toulon a réduit les bases imposables tirées des revenus locatifs de la société à concurrence de la prise en compte de loyers annuels de 276 500 euros pour l'année 2011, et 290 325 euros pour les années 2012 et 2013, a déchargé la société des impositions correspondantes et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 février et 21 août 2023, la SA NBAB, représentée par Me Belliart, demande à la Cour :
1°) de réduire de façon plus conséquente les bases imposables et de la décharger des impositions correspondantes ;
2°) de réformer le jugement du 12 décembre 2022 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'évaluation des recettes auxquelles il a été renoncé a été faite par le tribunal de façon théorique ; eu égard au marché immobilier des propriétés de luxe du golfe de Saint-Tropez, celle-ci devrait être effectuée en retenant une valorisation locative saisonnière au regard des caractéristiques propres du bien ; cette valorisation, à hauteur de la somme de 82 500 euros annuelle, est notamment étayée par le rapport d'expert qu'elle produit et qu'elle a fait compléter par rapport à la première instance ;
- subsidiairement, la valorisation théorique aurait dû être effectuée sur la base de la valeur vénale telle qu'évaluée par l'expert ; d'une part, les travaux qui ont été réalisés en 2008 ont fait de la propriété une annexe de celle voisine, appartenant à la SCI GULB, sa filiale française, et ont affecté sa valeur ; la valeur vénale ne peut être conditionnelle ; d'autre part, le prix d'acquisition était anormalement élevé du fait que la propriété était mitoyenne de celle de sa filiale ; l'évaluation effectuée par l'expert n'a pas retenu une surface erronée et la circonstance qu'elle retienne des termes de comparaison postérieurs aux faits générateurs des impositions n'a pas d'incidence ;
- très subsidiairement, si la référence à la valeur mentionnée sur ses déclarations pour l'établissement de la taxe de 3 % devait être retenue, alors cette valeur ne pourrait être pondérée en fonction d'une prétendue erreur de surface sur ces déclarations dès lors que la mention de surface qui y était portée ne participait pas à la détermination de la valeur déclarée ;
- la référence au taux de rendement pratiqué par la SCI GULB n'est pas pertinente dès lors que sa propriété était en travaux durant les années en litige ; il doit être fait référence au taux de rendement qu'elle aurait obtenu en plaçant son capital par l'acquisition d'obligations assimilables du Trésor, de 2,5 % ; cette référence seule assure l'égalité devant l'impôt.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 19 juillet et 21 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, de rehausser les bases imposables aux sommes annuelles de 355 500 euros pour l'année 2011, et 373 275 euros pour les années 2012 et 2013 et de remettre à la charge de la SA NBAB les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution annuelle sur les revenus locatifs correspondantes, auxquelles elle avait été assujettie ;
3°) de réformer le jugement du 12 décembre 2022.
Il soutient que :
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;
- la référence faite par le tribunal au taux de rendement pratiqué par la SCI GULB durant les années 2015 à 2017 n'est pas pertinente ; s'agissant des années en litige, ce taux était de 4,5 % ; il y a lieu de s'y référer.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme de droit luxembourgeois NBAB exerce une activité de vente, d'acquisition, d'exploitation et de gestion de biens immobiliers au Luxembourg et à l'étranger. Le 8 septembre 2006, elle a acquis un bien immobilier dans le Var, sur le territoire de la commune de Gassin. L'administration fiscale a estimé, au terme d'une procédure de vérification de comptabilité, que la SA NBAB s'était délibérément privée de recettes en mettant cette propriété à disposition gratuite de tiers, ce qui constituait un acte anormal de gestion. Elle l'a en conséquence assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution annuelle sur les revenus locatifs au titre des années 2012 et 2013 à raison des recettes auxquelles elle a estimé que la SA NBAB avait renoncé entre les années 2011 et 2013.
2. Par son jugement du 12 décembre 2022, le tribunal administratif de Toulon a déchargé partiellement la SA NBAB de ces impositions, après avoir rectifié le montant des recettes en cause par application d'un taux de rendement locatif plus faible que celui qu'avait retenu l'administration fiscale. La SA NBAB, qui ne conteste plus le principe de son imposition, relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas prononcé une décharge plus importante et en soutenant que le montant des recettes omises est encore surévalué, tandis que le ministre, par la voie de l'appel incident, sollicite que soient partiellement remises à la charge de la requérante les impositions dont cette dernière a obtenu la décharge.
3. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
4. Pour déterminer le montant des loyers dont s'est privée la SA NBAB, l'administration fiscale s'est référée à la valeur vénale de la propriété, qu'elle a évaluée à 7,9 millions d'euros en 2011 et à 8,295 millions d'euros en 2012 et 2013, puis a appliqué un taux de rendement de 5,5 %, ramené à 3,5 % par le tribunal administratif.
5. En premier lieu, ainsi que le relève la SA NBAB, sa propriété à Gassin, sur la presqu'île de Saint-Tropez, à 2,5 km du centre du village éponyme, est constituée d'un terrain de 5 286 m² disposant d'une vue sur la mer et d'un environnement privilégié. A la suite d'importants travaux effectués par la requérante, s'y trouvent un terrain de tennis ainsi qu'une construction de 420 m² comprenant une salle vouée au sport et au bien-être, avec sauna et hammam, un espace d'habitation et un garage sous-terrain, l'ensemble étant conçu comme une annexe de la propriété mitoyenne appartenant à la filiale française de la SA NBAB, la SCI GULB. La société requérante ne conteste pas qu'il n'existe pas de termes de comparaison pertinents pour la location meublée de biens similaires à l'année dans ce secteur géographique très spécifique. Si elle soutient toutefois que la valeur locative de ce bien de prestige aurait dû être déterminée en retenant que seule une location saisonnière était envisageable, et par comparaison avec les revenus obtenus pour de telles locations, d'une part, il est constant que la villa est à disposition des tiers s'en étant réservé l'usage tout au long de l'année. D'autre part, comme elle le fait valoir elle-même, les spécificités de la villa, qui ne compte ni piscine, ni salle de vie, mais des installations sportives et dédiées au bien-être hors-normes, ainsi qu'un très grand jardin d'agrément, empêchent de trouver des termes de comparaison pertinents. Les deux annonces qu'elle produit à cette fin concernent ainsi des biens aux caractéristiques sensiblement différentes, en termes d'équipements et de superficie, tandis que les chiffres proposés par l'expert qu'elle a mandaté ne sont, même après le complément d'étude produit devant la Cour, pas assortis d'explications ni de justifications.
6. En deuxième lieu, pour fixer la valeur vénale du bien à 4,95 millions d'euros, la requérante propose de retenir un prix de 13 500 euros par m² et une surface pondérée de 365 m² habitables. Toutefois, ce prix n'est pas davantage étayé par le rapport qu'elle produit qui formule une évaluation au mois de septembre 2016 et fait notamment état de ventes ou d'offres de vente pour l'essentiel postérieures à la période en litige, portant sur des biens aux caractéristiques très différentes, notamment implantés sur des terrains bien plus petits, sans qu'il soit précisé si les surfaces habitables mentionnées sont pondérées ou réelles.
7. L'administration n'a pour sa part pas utilisé une méthode par comparaison mais s'est référée aux valeurs que la SA NBAB avait elle-même déclarées pour l'établissement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des entités juridiques, prévue aux articles 990 D à G du code général des impôts, de 7,2 millions d'euros au titre de l'année 2011 et 7,56 millions d'euros au titre des années 2012 et 2013. Bien que la requérante a, après l'acquisition du bien en septembre 2006, effectué des travaux, notamment d'agrandissement, pour près de 2 millions d'euros, ces valeurs ne sont pas incohérentes avec le prix d'acquisition du bien, de 7 millions d'euros, dès lors que la contigüité de la propriété avec celle que détenait déjà la SCI GULB a vraisemblablement renchéri ce dernier prix et que les travaux effectués ont eu pour effet d'ôter une partie de l'indépendance du bien par rapport à ladite propriété. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction que ces déclarations ont été établies en fonction d'un prix au m² réel, et non en fonction d'un prix au m² pondéré en fonction de l'usage des pièces ou d'autres critères. L'administration ne justifie dès lors pas la rectification qu'elle a portée aux valeurs ainsi déclarées avant de les prendre en compte, au prorata de la surface qu'elle a estimée manquante par rapport à celle de 360 m² mentionnée sur le formulaire de déclaration. Il y a dès lors lieu de fixer la valeur vénale à prendre en compte aux sommes de 7,2 millions d'euros au titre de l'année 2011 et 7,56 millions d'euros au titre des années 2012 et 2013.
8. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, alors que l'administration avait initialement retenu un taux de rendement de 5,5 %, le tribunal administratif a retenu, par comparaison, un taux de 3,5 %, qu'il a estimé être celui pratiqué par la SCI GULB durant les années en litige. Les parties critiquent toutes deux ce dernier taux, en indiquant, pour ce qui concerne la SA NBAB, que la propriété de la SCI GULB n'était pas louée durant les années en litige dès lors qu'elle faisait l'objet de gros travaux, et pour ce qui concerne l'administration, que les chiffres pris en compte concernaient les années 2015 à 2017. Contrairement à ce que soutient la requérante, le taux de rendement ne saurait être fixé par référence au taux des obligations assimilables du Trésor à dix ans qui se rapporte à un placement financier totalement différent de celui en litige. L'administration fait pour sa part valoir que la SCI GULB a évalué son bien, au titre des années 2012 et 2013, pour l'établissement de la taxe sur la valeur vénale des immeubles possédés en France par des entités juridiques, à 10,5 millions d'euros. Si le bail dont ce bien faisait l'objet s'était poursuivi, le loyer au titre des années en litige aurait a minima été fixé à la somme de 495 000 euros retenue jusqu'en 2010. Ainsi, le taux de rendement de 4,5 % proposé par le ministre dans ses dernières écritures paraît pertinent, au regard de ce qui est pratiqué pour la propriété voisine et en l'absence d'autres éléments de comparaison.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SA NBAB est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif n'a pas réduit la valeur vénale du bien en cause aux sommes respectives de 7,2 et 7,56 millions d'euros pour déterminer le montant des recettes omises et que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que cette juridiction a réduit le taux de rendement pris en compte pour calculer ce montant en-deçà de 4,5 %. Les revenus dont la SA NBAB doit être regardée comme s'étant anormalement privée doivent ainsi être fixés à 324 000 euros au titre de l'année 2011 et 340 200 euros au titre des années 2012 et 2013. Il y a lieu de réformer le jugement du tribunal administratif en conséquence.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D É C I D E :
Article 1er : Les recettes réintégrées dans les bases imposables de la SA NBAB au titre de la location de sa villa à Gassin sont fixées à la somme annuelle de 324 000 euros au titre de l'année 2011 et 340 200 euros au titre des années 2012 et 2013.
Article 2 : Les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution annuelle sur les revenus locatifs au titre des années 2012 et 2013 auxquelles la SA NBAB a été assujettie sont calculées conformément aux bases définies à l'article 1er.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 12 décembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA NBAB et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 17 mai 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2024.
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N° 23MA00454
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