Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Nature et Prestige a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008, 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, de maintenir le bénéfice du sursis de paiement en application des dispositions de l'article L. 277 du livre de procédures fiscales et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2006064 du 16 septembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté la requête de la SARL Nature et Prestige.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 4 novembre 2022, 31 octobre 2023, 16 novembre 2023 et 14 octobre 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SARL Nature et Prestige, représentée par Me Gaillard, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2008, 2010, 2011, 2012, 2013 et 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014 ;
3°) de maintenir le bénéfice du sursis de paiement en application des dispositions de l'article L. 277 du livre de procédures fiscales.
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle aurait dû bénéficier d'un entretien avec le supérieur hiérarchique direct de la vérificatrice ;
- l'interlocuteur départemental n'a pas été saisi en dépit de la demande qu'elle avait formulée ;
- les pièces sur lesquelles le service a fondé le redressement sont inopposables du fait de l'annulation, par arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 28 juin 2018, de certaines pièces de la procédure ;
- il n'est pas établi que M. B... aurait perçu en espèces les sommes litigieuses ;
- le principe de l'annualité de l'impôt a été méconnu ;
- les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales ont été méconnues ;
- il existe une incohérence quant à la détermination de la personne à vérifier ;
- les pénalités de 40 % pour manquement délibéré sont infondées.
Par mémoire en défense enregistré le 14 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- le livre des procédures fiscales ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Gaillard pour la SARL Nature et Prestige.
Considérant ce qui suit :
1. La société à responsabilité limitée (SARL) Nature et Prestige exerce une activité de services d'aménagements paysagers. Elle a fait l'objet d'un contrôle sur pièces au titre de la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2014. Les éléments recueillis dans le cadre de l'exercice par l'administration fiscale de son droit de communication ont révélé l'existence d'un système organisé visant à soustraire des recettes en espèces des résultats comptables et fiscaux de la contribuable. À l'issue de la procédure de contrôle, lui a été notifiée une proposition de rectification en date du 21 novembre 2018 selon la procédure contradictoire en application de l'article L. 55 du livre des procédures fiscales. Les rectifications en matière de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er juillet 2008 au 31 décembre 2008 ayant été abandonnées dans la lettre de réponse aux observations du contribuable du 18 mars 2019, la SARL Nature et Prestige s'est vue réclamer des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, et a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés au titre des années 2008, 2010, 2011, 2012, 2013, et 2014. Les droits ont été assortis de la majoration de 40 % pour manquement délibéré prévue à l'article 1729-a du code général des impôts et de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 du même code. La somme totale de 502 731 euros a été mise en recouvrement le 16 mars 2020 par le service des impôts des entreprises Aix-en-Provence Nord. La réclamation contentieuse du 11 mai 2020 formée par la contribuable ayant été rejetée par une décision de l'administration fiscale du 26 juin 2020, la SARL Nature et Prestige a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des impositions susmentionnées. Elle interjette appel du jugement en date du 16 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins de décharge.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la régularité et le bien-fondé des impositions :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 54 C du livre des procédures fiscales : " Hormis lorsqu'elle est adressée dans le cadre des procédures mentionnées aux articles L. 12, L. 13 et L. 13 G et aux I et II de la section V du présent chapitre, la proposition de rectification peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours hiérarchique qui suspend le cours de ce délai ".
3. Lorsque le chef de service de l'agent signataire a apposé son visa sur la proposition de rectification, le recours hiérarchique est analysé par un fonctionnaire de rang plus élevé que celui qui a signé les pénalités exclusives de bonne foi, au regard de sa position dans la hiérarchie de sa direction et des fonctions qu'il y exerce, indépendamment de leur grade respectif.
4. La société requérante fait valoir que, dans le cadre du recours hiérarchique prévu par les dispositions précitées, exercé le 5 juin 2019, elle a été reçue non par la supérieure hiérarchique directe de la vérificatrice mais par le supérieur de cette dernière, M. E... C.... Toutefois, il résulte de la proposition de rectification du 21 novembre 2018 que celle-ci a été signée tant par la vérificatrice, Mme G... A..., que par la supérieure de cette dernière, Mme D... F... au regard de la pénalité de 40 % pour manquement délibéré qui lui a été infligée. Par suite et alors au demeurant qu'elle n'a ainsi été privée d'aucune garantie, la SARL requérante n'est pas fondée à soutenir que son recours hiérarchique aurait dû être analysé par Mme F....
5. En deuxième lieu, la garantie de procédure tenant à la faculté pour le contribuable de saisir l'interlocuteur départemental, instituée par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié mentionnée à l'article L. 10 du livre des procédures fiscales, ne peut être invoquée que dans le cadre d'un litige consécutif aux procédures de vérification de comptabilité et d'examen d'ensemble de la situation fiscale personnelle prévues aux articles L. 12 et L. 13 de ce livre.
6. Ainsi qu'il a été dit au point 1 ci-dessus, les impositions contestées par la société ont été mises à sa charge à la suite d'un contrôle sur pièces de son dossier fiscal. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait dû bénéficier d'un entretien avec l'interlocuteur départemental.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette et le contrôle des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées. " Aux termes de l'article L. 82 C du même livre, dans sa rédaction applicable : " A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances ".
8. Eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'administration fiscale ne saurait se prévaloir, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. En revanche, l'administration fonde ou maintient légalement une imposition si celle-ci peut être justifiée par des éléments non compris dans le champ de la déclaration d'illégalité prononcée par le juge, dès lors que ces éléments ne découlent pas eux-mêmes de l'exploitation des pièces ou documents obtenus de façon irrégulière.
9. S'il résulte de l'instruction que, par un arrêt en date du 28 juin 2018, la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a annulé la mise en examen de M. B... et ordonné le retrait de la procédure des pièces classées C1, lesquelles sont afférentes au contrôle judiciaire et à la détention provisoire, il résulte, en revanche, des pièces versées au dossier et notamment de l'inventaire des pièces de la procédure pénale, que les éléments d'information sur lesquels s'est fondée l'administration fiscale pour établir les redressements litigieux tels qu'ils résultent de la proposition de rectification adressée à la requérante le 21 novembre 2018 ne sont pas issus de pièces annulées ou d'éléments découlant desdites pièces. En effet, d'une part, les pièces SIA 18 et SIA 19, qui correspondent aux scellés de deux ordinateurs qui ont fait l'objet d'une expertise informatique retraçant leurs contenus, figurent toujours au dossier pénal à la côte D05803 à D05920. Par ailleurs, le procès-verbal d'audition de M. B... sur lequel s'est également fondée l'administration figure toujours dans ledit dossier à la côte D09237-D09291. En outre, la pièce D08252 figure au dossier dans la cote D08242-08310 tandis que la pièce D08097 y figure sous la cote D08038-08142. Enfin, la pièce SIA 3 se trouve dans le fichier D12048-12201. Il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'administration fiscale se serait fondée sur des pièces annulées par le juge judiciaire ou sur des éléments qui découleraient de l'exploitation de pièces ou documents obtenus de façon irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'inopposabilité des pièces sur lesquelles s'est fondée l'administration fiscale ainsi que, pour les mêmes motifs, celui tiré de ce que l'administration fiscale aurait méconnu les dispositions de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales fixant un délai spécifique de reprise en cas d'omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une procédure judiciaire, doivent être écartés.
10. En quatrième lieu, la société requérante fait valoir que l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de ce que M. B... aurait reçu le versement en espèces de la somme globale de 740 600 euros. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment, d'une part, de mails échangés entre M. H..., salarié de la SAS Service immobilière Antibes et cousin de M. B..., et une salariée de la société Swiru Holding AG, gérant les fonds de la société CDA Investment, propriétaire de la villa d'exception Medy Roc située au cap d'Antibes, qui pouvaient être exploités par l'administration fiscale bien que M. B... n'en ait été ni l'expéditeur ni le destinataire, d'autre part, de reçus de versements en espèces signés par M. B... lui-même et enfin des déclarations dépourvues de toute ambiguïté du requérant lors de son audition, que celui-ci a, au titre des années 2008 et 2010 à 2014, appréhendé ladite somme par le biais de plusieurs versements en espèces. Si la société requérante fait valoir que de tels versements n'ont pu avoir lieu en août 2008 dès lors que M. B..., dont la copie du passeport est produite, aurait été en Afrique à cette période, il résulte de l'instruction que son voyage s'est achevé le 14 août 2008 alors que le versement litigieux a eu lieu dans la deuxième quinzaine du mois d'août. Par ailleurs, si la société requérante fait également valoir que la majeure partie de ces sommes ont été reversées à des entreprises sous-traitantes et notamment, pour l'essentiel, à la société Var Est Terrassement qui aurait réalisé la plupart des travaux, elle n'apporte aucun commencement de preuve permettant d'établir la véracité de ces reversements en espèces à des entreprises tierces.
11. En cinquième lieu, aux termes de l'article 12 du code général des impôts : " L'impôt est dû chaque année à raison des bénéfices ou revenus que le contribuable réalise ou dont il dispose au cours de la même année ". Si la société requérante soutient que le principe d'annualité de l'imposition a été méconnu, il résulte de l'instruction et en particulier de la proposition de rectification précitée, que l'administration fiscale a déterminé, pour chacune des sommes en espèces perçues, la période de leur imposition au titre de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée. Ledit moyen doit, par suite, être écarté.
12. En sixième lieu, il résulte de l'instruction que les sommes perçues en espèces par M. B... avaient pour contrepartie la rémunération de travaux effectués par la société Nature et Prestige. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle ne pouvait faire l'objet du redressement litigieux.
En ce qui concerne les pénalités pour manquement délibéré :
13. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'État entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ". Il résulte de ces dispositions que la pénalité pour mauvaise foi a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir cette mauvaise foi, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. Pour établir le caractère intentionnel du manquement du contribuable à son obligation déclarative, l'administration doit se placer au moment de la déclaration ou de la présentation de l'acte comportant l'indication des éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt.
14. Pour motiver l'application de la majoration de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts, aussi bien en matière de taxe sur la valeur ajoutée que d'impôt sur les sociétés, l'administration fiscale s'est fondée sur l'importance et le caractère répété des insuffisances déclaratives de la SARL Nature et Prestige, sur le fait que les omissions déclaratives concernent des travaux dont les produits n'ont pas été comptabilisés et dont le règlement a été effectué en espèces, et fait valoir enfin que M. B... n'était pas seulement salarié en qualité de directeur commercial de la société mais également associé de la société depuis 2015. Dans ces conditions, et alors que les éléments produits par la société requérante ne sont pas de nature à remettre en cause ces constats, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que des pénalités de 40 % lui ont, à tort, été appliquées.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Nature et Prestige n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins de décharge ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions tendant à ce qu'elle continue à bénéficier du sursis de paiement en application des dispositions de l'article L. 277 du livre de procédures fiscales.
Sur les frais d'instance :
16. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la SARL Nature et Prestige doivent, dès lors, être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SARL Nature et Prestige est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Nature et Prestige et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 novembre 2024.
N° 22MA02728 2
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