Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné à l'expiration de ce délai, d'autre part, d'enjoindre audit préfet de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour d'une durée de six mois et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2304944 du 27 septembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 27 février 2024, M. B..., représenté par Me Decaux, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 septembre 2023 ;
2°) d'annuler cet arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 21 avril 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour de six mois ;
4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros, à verser à son conseil, sous réserve de sa renonciation à percevoir l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
Sur la décision portant refus d'admission au séjour :
- le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation quant à la continuité et à l'effectivité de sa présence sur le territoire français ;
- il a également commis une erreur manifeste d'appréciation quant à ses compétences et ses qualifications professionnelles ;
- contrairement aux affirmations stéréotypées du préfet des Bouches-du-Rhône, il justifie d'une insertion socio-professionnelle sur le territoire français ;
- il n'est pas au courant de l'utilisation frauduleuse de son récépissé de demande de titre de séjour par une tierce personne ; il n'a pas été entendu par les services de police, ni convoqué devant le tribunal pour ces faits ;
- le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les stipulations de
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français avec délai de trente jours :
- fondée sur une décision portant refus de délivrer un titre de séjour illégale, la décision portant obligation de quitter le territoire français est dénuée de fondement légal ;
- le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- en raison du droit au séjour en France dont il bénéficie, la décision fixant la Turquie comme pays de renvoi doit être annulée.
La requête ainsi que les pièces complémentaires enregistrées le 8 mars 2024 et produites par Me Decaux, pour M. B..., ont été communiquées au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire.
Des pièces, présentées par Me Decaux, pour M. B..., ont été enregistrées le 28 octobre 2024 et n'ont pas été communiquées.
Par une ordonnance du 30 septembre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 novembre 2024, à 12 heures.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille du 26 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Lombart a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Né le 29 novembre 1984 et de nationalité turque, M. B... déclare être entré sur le territoire français le 1er mars 2019. Après que sa demande d'asile a été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 25 novembre 2020, confirmée par la Cour nationale du droit d'asile, le 26 juillet 2021, M. B... a sollicité, le 8 septembre 2022, son admission exceptionnelle au séjour au titre du travail. Par un arrêté du 21 avril 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de faire droit à cette demande.
Il a également fait obligation à M. B... de quitter le territoire français dans le délai de
trente jours tout en fixant le pays de destination de cette mesure d'éloignement. M. B... relève appel du jugement du 27 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué et la légalité de l'arrêté préfectoral contesté :
En ce qui concerne la légalité de cet arrêté en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", "travailleur temporaire" ou "vie privée et familiale", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. (...) ".
3. M. B... soutient être entré sur le territoire français le 1er mars 2019 et s'y être maintenu de manière continue depuis. Il ressort des pièces du dossier qu'il s'est vu octroyer un contrat de travail à durée déterminée du 3 mai au 31 décembre 2019, puis un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er février 2020, dans une entreprise de carrelage, pour un emploi de manœuvre. Toutefois, ces circonstances ne sont pas suffisantes pour justifier d'une qualification ou d'une expérience professionnelle significative en qualité de manœuvre, voire de carreleur, et ne sauraient dès lors, à elles seules, caractériser un motif exceptionnel d'admission au séjour au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de régulariser la situation de l'appelant en qualité de salarié, sur le fondement de ces dispositions. Ce moyen doit dès lors être écarté.
4. En deuxième lieu, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " L'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. "
5. Au cas particulier, M. B... ne justifie pas d'une entrée régulière sur le territoire français. Après avoir vu sa demande d'asile rejetée par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 25 novembre 2020, puis par la Cour nationale du droit d'asile, par une décision n° 21014572 du 26 juillet 2021, il n'a pas déféré à l'arrêté du 1er mars 2021 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, et ce alors même que la légalité de cet arrêté a été confirmée par un jugement n° 2203287 du 18 mai 2022 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Marseille, devenu définitif. Si, dans son dossier de demande de délivrance d'un titre de séjour, M. B... indiquait que son épouse et trois de ses enfants vivaient toujours en Turquie, il soutient désormais, à l'appui de ses écritures, que ceux-ci sont venus s'installer en France, en décembre 2022. Alors que le droit au respect de la vie privée et familiale ne saurait s'interpréter comme comportant pour un Etat l'obligation générale de respecter le choix, par les couples mariés, de leur domicile commun et d'accepter l'installation de conjoints non nationaux dans le pays, il ressort des pièces du dossier que son épouse et ses enfants sont entrés irrégulièrement en France et qu'ils ne doivent leur maintien sur le territoire français qu'aux demandes d'asile qu'ils ont déposées, postérieurement à la date d'édiction de l'arrêté préfectoral contesté. Par ailleurs, si le fils aîné de l'appelant était déjà présent en France, il est constant que, par un arrêté du 13 octobre 2022, le préfet du Var avait refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui avait fait obligation de quitter le territoire français. A la date d'édiction de l'arrêté préfectoral contesté, la cellule familiale de M. B... pouvait se reconstituer dans son pays d'origine. La circonstance que des membres de sa famille, et notamment de sa fratrie, résident régulièrement en France n'est pas suffisante pour conférer à l'appelant un droit au séjour. Enfin, M. B... n'est pas dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine où vivent encore, selon ses propres déclarations, ses parents. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, en refusant d'admettre M. B... au séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a pris son arrêté litigieux. Le représentant de l'Etat n'a, par suite, méconnu ni les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Il n'a pas davantage entaché son arrêté d'une erreur manifeste quant à l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle et familiale de l'appelant. Alors qu'au demeurant, le préfet des Bouches-du-Rhône aurait pris la même décision s'il n'avait pas indiqué, dans son arrêté litigieux que le récépissé de demande de carte de séjour de M. B... a été falsifié et utilisé par un compatriote en situation irrégulière, l'ensemble de ces moyens doit donc être écarté.
6. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 avril 2023 en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour.
En ce qui concerne la légalité de cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français :
7. D'une part, compte tenu de ce qui vient d'être dit, M. B... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français prise à son encontre. Il suit de là que ce moyen ne peut qu'être écarté.
8. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 5 du présent arrêt, et eu égard à la nature et aux effets propres de la mesure d'éloignement en litige, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que cette mesure aurait été prise en méconnaissance des stipulations de
l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 avril 2023 en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la légalité de cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement :
10. La décision portant refus d'admission au séjour n'étant pas entachée des illégalités alléguées, M. B... n'est pas fondé à s'en prévaloir, par la voie de l'exception, à l'encontre de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement prise à son encontre.
11. Il s'ensuit que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté préfectoral du 21 avril 2023 en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui rejette l'ensemble des conclusions à fin d'annulation présentées par M. B..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par conséquent, ses conclusions à fin d'injonction doivent également être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
14. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. B... tendant à l'application combinée des articles 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Séverine Decaux et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2024.
2
No 24MA00491