La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/12/2024 | FRANCE | N°23MA00911

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 20 décembre 2024, 23MA00911


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon, par deux requêtes introductives d'instance enregistrées sous les n°s 2003603 et 2101735 :



- d'annuler la décision du maire de Pignans du 15 octobre 2020 portant changement d'affectation ;



- d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire adressée le 25 février 2021 et de condamner la commune de Pignans à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation

des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime.



Par un jugement n°s...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon, par deux requêtes introductives d'instance enregistrées sous les n°s 2003603 et 2101735 :

- d'annuler la décision du maire de Pignans du 15 octobre 2020 portant changement d'affectation ;

- d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire adressée le 25 février 2021 et de condamner la commune de Pignans à lui verser la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime.

Par un jugement n°s 2003603 et 2101735 du 10 février 2023, le tribunal administratif de Toulon, après avoir joint les deux requêtes dont il était saisi, a rejeté les demandes de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 14 avril 2023, M. A..., représenté par la SELAS Archippe Travart Villalard, agissant par Me Travart, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon, en tant qu'il a rejeté, à son article 1er, l'ensemble de ses demandes ;

2°) d'annuler la décision du 15 octobre 2020 du maire de Pignans portant changement d'affectation ;

3°) d'annuler la décision par laquelle le maire de Pignans a rejeté sa demande indemnitaire et de condamner la commune de Pignans à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime, majorée des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Pignans la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le jugement méconnaît les articles L. 10 et R. 741-2 du code de justice administrative, à défaut de mentionner les nom et prénom des juges qui ont rendu la décision et de comporter leur signature ;

- il est entaché d'une erreur de fait, d'une dénaturation des faits et des pièces du dossier, d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation ;

- il n'a pas pris en compte les éléments nouveaux figurant dans ses mémoires du 11 décembre 2022 et du 22 décembre 2022 qui n'ont pas été communiqués ;

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant de la décision de changement d'affectation :

- elle est entachée de plusieurs vices de procédure à défaut d'avoir fait l'objet d'une déclaration préalable de vacance de poste et en l'absence de communication de son dossier ;

- elle est entachée d'une erreur de droit, le changement d'affectation n'ayant pas été effectué dans l'intérêt du service et constituant une sanction non prévue à l'échelle des peines ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir.

S'agissant de la demande d'indemnisation des préjudices résultant du harcèlement moral :

- il a subi une dégradation de ses conditions de travail, constitutive d'une situation de harcèlement moral ;

- ses préjudices doivent être indemnisés à hauteur de 100 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2023, la commune de Pignans, représentée par la SELARL Mauduit Lopasso Goirand et associés, agissant par Me Lopasso, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- les moyens soulevés par M. A... à l'encontre de la décision portant changement d'affectation ne sont pas fondés ;

- les faits invoqués par le requérant ne révèlent aucune situation de harcèlement moral et ne sauraient donner lieu à une indemnisation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi du 22 avril 1905 portant fixation du budget des dépenses et des recettes de l'exercice 1905 ;

- le décret n° 88-547 du 6 mai 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Lopasso représentant la commune de Pignans.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., titulaire du grade d'agent de maîtrise exerçant ses fonctions au sein de la commune de Pignans, occupait depuis septembre 2018 le poste de responsable adjoint du service technique. Par une décision du 15 octobre 2020 que le requérant a contesté, il a été affecté au poste de conducteur d'engins de voirie et d'agent d'appui technique voirie, bâtiments publics et espaces communaux. Par une demande indemnitaire du 25 février 2021, M. A... a, par ailleurs, sollicité la réparation des préjudices causés par la situation de harcèlement moral dont il estime avoir été victime, à hauteur de 100 000 euros. Cette demande a été implicitement rejetée. Celui-ci relève appel du jugement du 10 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses requêtes tendant à l'annulation de ces deux décisions et à la condamnation de la commune de Pignans à l'indemniser des différents préjudices qu'il estime avoir subis.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 10 du code de justice administrative : " Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus (...) ". En l'espèce, le jugement attaqué fait figurer, sur la première page, les noms du rapporteur et du rapporteur public, ainsi que, sur l'avant-dernière page, les noms et initiales du président de la formation du jugement et de l'assesseur qui a siégé dans cette formation, ce qui suffisait en l'espèce, dès lors que les dispositions précitées ne font obligation que de mentionner le nom des juges ayant rendu le jugement et non leur prénom. Sur la minute du jugement, figurent en outre la signature du président de la formation de jugement et du rapporteur du dossier, lesquels sont clairement identifiés. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait irrégulier à défaut de comporter les nom, prénom et signature des premiers juges ne peut qu'être écarté.

3. Aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. ". Il résulte du jugement attaqué que ce dernier comporte le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont il fait application. Dès lors, ce jugement n'est pas entaché d'irrégularité.

4. Si M. A... soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait, d'une dénaturation des faits et des pièces du dossier, d'une erreur de droit et d'appréciation, de tels moyens, qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à affecter la régularité de ce jugement. Ils doivent, par suite, être écartés.

5. Aux termes du troisième alinéa de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ". Aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close (...) ". Enfin, l'article R. 613-3 de ce code dispose que : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction ".

6. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a, dans l'instance n° 2003603 concernant son recours en annulation de la décision du maire de Pignans du 15 octobre 2020 portant changement d'affectation, produit un mémoire complémentaire enregistré par le greffe du tribunal administratif de Toulon le 11 décembre 2022, soit postérieurement à la date de clôture de l'instruction fixée par ordonnance au 6 décembre 2022. Le requérant n'établit pas qu'il n'aurait pas été mesure de faire état, avant la clôture de l'instruction, de ses observations écrites portant notamment sur l'absence d'une réorganisation des services de la commune et l'existence d'une sanction disciplinaire déguisée prise à son encontre, ainsi que des enregistrements audio réalisés par ses soins à l'insu de ses interlocuteurs. Si M. A... soutient qu'une enquête pénale en cours lui interdisait de communiquer les enregistrements audio qu'il avait réalisés lui-même, aucun élément ne l'établit. Dans ces conditions, le tribunal, qui avait, par ailleurs, laissé à M. A... un délai suffisant avant cette clôture pour prendre connaissance du mémoire de la commune de Pignans communiqué le 19 novembre 2021, n'a pas entaché son jugement d'irrégularité en ne rouvrant pas l'instruction après la production de ce nouveau mémoire.

7. En revanche, s'agissant de la demande de M. A... dans l'instance n° 2101735 concernant sa demande de réparation des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime, il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a produit un mémoire enregistré le 22 décembre 2022, soit avant la clôture de l'instruction fixée au 23 décembre 2022. Le tribunal administratif, qui n'a pas communiqué ce mémoire à la commune de Pignans, l'a visé sans l'analyser. Cependant, ce mémoire, portant notamment sur des enregistrements audio de conversations entre le requérant et ses supérieurs hiérarchiques, comportait des éléments nouveaux sur lesquels les premiers juges étaient susceptibles de fonder leur décision. Il suit de là que M. A... est fondé à soutenir que le jugement a été rendu à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation en tant qu'il porte sur les conclusions indemnitaires dirigées contre la commune de Pignans.

8. Il y a lieu, par voie de conséquence, de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions indemnitaires de M. A... et par la voie de l'effet dévolutif s'agissant des conclusions dirigées contre la décision du 15 octobre 2020 du maire de Pignans portant changement d'affectation.

Sur la décision d'affectation du 15 octobre 2020 :

9. Les dispositions de l'article 41 de la loi du 26 janvier 1984, aux termes desquels " Lorsqu'un emploi permanent est créé ou devient vacant, l'autorité territoriale en informe le centre de gestion compétent qui assure la publicité de cette création ou de cette vacance, à l'exception des emplois susceptibles d'être pourvus exclusivement par voie d'avancement de grade. (...) ", ne s'appliquent pas à l'administration dans le cas où elle prononce une mutation dans l'intérêt du service, ce qui est le cas en l'espèce au vu des éléments exposés au point 14. En tout état de cause, M. A... n'a été privé d'aucune garantie du fait de l'absence de cette publicité, alors qu'il a été le premier informé de la disponibilité de ce poste par la décision de changement de son affectation. Par suite, M. A... ne peut utilement soutenir que la décision est entachée d'un vice de procédure au motif que le poste sur lequel il a été affecté n'a pas fait l'objet d'une publication.

10. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les ouvriers et employés des administrations ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardés, dans leur avancement d'ancienneté ".

11. En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où l'agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui occupait depuis septembre 2018 le poste de responsable adjoint du service technique, a fait l'objet d'une mesure conservatoire de suspension de fonctions à compter du 31 juillet 2020 puis a été affecté, par une décision du 15 octobre 2020, au poste de conducteur d'engins de voirie et d'agent d'appui technique dans le domaine de la voirie, des bâtiments publics et des espaces communaux. Cette décision de mutation a entraîné une perte de responsabilités, en particulier en matière de management, ainsi qu'une perte de revenus du fait de la suppression de la nouvelle bonification indiciaire. Il suit de là que la décision litigieuse constitue une mesure prise en considération de la personne du requérant, qui devait nécessairement être précédée de la communication de son dossier individuel. Or, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été informé, au cours d'entretiens individuels tels que ceux qui se sont tenus en particulier en juillet 2020 et le 8 octobre 2020, du souhait du maire d'un nécessaire changement de fonctions de l'agent. Ces éléments ressortent notamment des courriers du 31 juillet 2020 et du 15 octobre 2020 adressés par le maire de Pignans à M. A.... Le requérant, qui indique lui-même dans ses écritures avoir été informé de sa nouvelle affectation lors de l'entretien du 8 octobre 2020 avec le maire de Pignans, doit dès lors être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier individuel. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à consulter son dossier individuel dans le cadre d'une décision prise en considération de la personne et portant changement d'affectation doit être écarté.

13. Aux termes de l'article 1er du décret 6 mai 1988 portant statut particulier du cadre d'emplois des agents de maîtrise territoriaux : " Les agents de maîtrise constituent un cadre d'emplois technique de catégorie C au sens de l'article 13 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée. / Ce cadre d'emplois comprend les grades d'agent de maîtrise et d'agent de maîtrise principal. (...) ". Aux termes de l'article 2 de ce décret : " Les agents de maîtrise sont chargés de missions et de travaux techniques comportant notamment le contrôle de la bonne exécution de travaux confiés à des entrepreneurs ou exécutés en régie, l'encadrement de fonctionnaires appartenant aux cadres d'emplois techniques de catégorie C, ainsi que la transmission à ces mêmes agents des instructions d'ordre technique émanant de supérieurs hiérarchiques. / Ils peuvent également participer, notamment dans les domaines de l'exploitation des routes, voies navigables et ports maritimes, à la direction et à l'exécution de travaux, ainsi qu'à la réalisation et à la mise en œuvre du métré des ouvrages, des calques, plans, maquettes, cartes et dessins nécessitant une expérience et une compétence professionnelle étendues. (...) ".

14. Ainsi qu'il a été dit au point 12, la mesure contestée a entraîné pour l'agent une perte de responsabilités et de rémunération et constitue ainsi une mesure prise en considération de la personne de M. A.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier que le changement d'affectation litigieux est intervenu à la suite d'un changement de municipalité et que le nouveau maire s'est entretenu avec l'ensemble des agents du service technique, dans l'optique d'une réorganisation des services de la commune. A cet égard, la décision de suspension conservatoire prise à son encontre, formalisée par un courrier du 31 juillet 2020 et qui n'a au demeurant pas été contestée par le requérant, souligne que les témoignages des agents ont mis en évidence une situation particulièrement tendue au sein du service, en lien avec le management de M. A.... Ces éléments sont confirmés par le courrier du 15 octobre 2020 adressé par le maire au requérant, qui fait suite à un entretien du 8 octobre 2020, informe l'agent de la fin de la mesure de suspension et lui précise qu'il ne sera pas réaffecté sur le poste de responsable adjoint qu'il occupait en raison des difficultés managériales constatées. Ils ne sont en outre pas sérieusement contredits par le requérant, qui se borne à soutenir que son changement d'affectation serait motivé par un manquement, allégué par le maire, à son obligation de réserve au cours de la campagne des élections municipales. Il ressort en outre des pièces du dossier, en particulier de la fiche du poste " conducteur d'engins voirie et agent d'appui technique voirie bâtiments publics et espaces communaux " jointe à ce courrier, que le requérant a été réaffecté sur un poste correspondant à son grade d'agent de maîtrise, consistant notamment à intervenir sur la voirie à l'aide d'un véhicule technique selon un planning et des consignes de travail, à réaliser l'entretien et la maintenance de ce véhicule, à recenser les défectuosités constatées sur la voirie et les biens communaux, et à élaborer, suite à ce recensement, un planning détaillé des travaux à réaliser en identifiant les urgences. Enfin, si les enregistrements audio produits par le requérant peuvent, même s'ils ont été enregistrés à l'insu de ses interlocuteurs, être régulièrement pris en compte par le juge, sans préjudice des éventuelles poursuites disciplinaires ou pénales susceptibles d'être engagées à l'encontre de l'agent, ceux-ci, qui portent en particulier sur des conversations qui se seraient tenues avec le maire et sa première adjointe, évoquent essentiellement les capacités professionnelles de l'agent et le nouveau poste auquel il sera affecté, tout en soulignant la situation préoccupante au sein du service technique, liée aux méthodes managériales employées par M. A... et dénoncées par la majorité des vingt-quatre agents qu'il encadrait. Ces conversations n'apportent en tout état de cause aucun élément de nature à établir que le changement d'affectation de M. A... aurait été décidé pour un motif étranger à l'intérêt du service. Ainsi, les éléments précités sont de nature à établir que son changement d'affectation, décidé dans l'intérêt du service, ne révèle pas d'intention de l'administration de le sanctionner. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision en litige constitue une sanction déguisée fautive.

15. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent, le moyen tiré du détournement de pouvoir doit être écarté.

Sur les agissements constitutifs de harcèlement moral :

16. Aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur origine, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, de leur âge, de leur patronyme, de leur situation de famille ou de grossesse, de leur état de santé, de leur apparence physique, de leur handicap ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race. " Aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

17. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

18. Ainsi qu'il a été dit au point 14, il ne ressort pas des pièces du dossier, au vu des éléments apportés par la commune, que le changement d'affectation de M. A..., s'il s'est accompagné d'une diminution de ses responsabilités et de sa rémunération, ait constitué, dans les circonstances où il est intervenu, une mesure revêtant le caractère d'une sanction disciplinaire déguisée. Si l'agent s'est vu retirer ses précédentes responsabilités, il est constant qu'il a été par la suite affecté au poste de conducteur d'engins de voirie et d'agent d'appui technique dans le domaine de la voirie, des bâtiments publics et des espaces communaux, dont les missions correspondent à son grade. Le requérant n'est pas davantage fondé à soutenir que la mesure de suspension prise à son encontre à titre conservatoire afin d'apaiser les relations de travail au sein du service technique, et qu'il n'a au demeurant jamais contesté, révèle une mise à l'écart illégale en l'absence de poursuite disciplinaire, alors qu'aucun texte n'enferme dans un délai déterminé l'exercice de l'action disciplinaire et n'oblige l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'engager une telle procédure à l'encontre d'un fonctionnaire ayant fait l'objet d'une mesure de suspension. De surcroît, M. A... n'exerçant plus des fonctions ouvrant droit au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire, le retrait de cette bonification qui lui était précédemment servie découle de la simple application des textes en vigueur dans le cadre de ses nouvelles fonctions.

19. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14, les enregistrements audio produits ne révèlent en tout état de cause pas une volonté de nuire à M. A... par des faits constitutifs de harcèlement.

20. S'agissant du respect des mesures sanitaires permettant de faire face à l'épidémie de covid-19, il ne résulte pas de l'instruction que le requérant n'aurait pas disposé du matériel nécessaire pour se protéger durant l'exercice de ses fonctions et qu'il aurait, au titre des mesures sanitaires mises en œuvre au sein de la commune, été traité différemment des autres agents. De plus, la commune de Pignans établit qu'elle a mis à la disposition de ses agents des masques et des solutions hydroalcooliques et a organisé un plan de continuité des services tenant compte de l'épidémie de Covid-19. Si le requérant soutient qu'un changement de bureau a été envisagé dans des locaux qui se sont révélés être insalubres, il n'est pas contesté que ce déménagement n'est en tout état de cause jamais intervenu. De surcroît, il est constant que les chaussures de sécurité sollicitées au début du mois d'août 2020 par l'agent, qui souhaitait des chaussures de sécurité mieux adaptées à la marche que celles dont il disposait jusqu'alors, lui ont été en tout état de cause fournies, et que le retard de leur livraison, intervenu au début du mois d'octobre 2020, ne saurait établir une intention de dégrader les conditions de travail de l'intéressé. A cet égard, il ressort d'un courriel de la secrétaire générale de la commune du 4 août 2020, qui n'est pas sérieusement contesté, que M. A... disposait d'un accès à un ordinateur au sein du service technique, d'un téléphone et était autorisé à utiliser le véhicule du service. Enfin, si M. A..., alors suspendu de ses fonctions de responsable adjoint du service technique, se plaint de la suppression de sa messagerie professionnelle alors qu'il devait réaliser une mission sur l'état des biens communaux demandée par le maire, cette circonstance, aussi regrettable soit-elle, constitue un fait isolé et ne révèle pas, au vu des éléments qui précèdent, une volonté de nuire à sa situation professionnelle.

21. La circonstance que M. A... soit suivi pour un syndrome anxio-dépressif qui serait en lien avec l'exercice de ses fonctions ne suffit pas à établir, à lui seul, la réalité des faits de harcèlement moral dont il fait état.

22. Il suit de là que les éléments de faits soumis par M. A... dans la présente instance, même pris dans leur ensemble, s'ils révèlent une situation conflictuelle entre le requérant et la commune, ne sont pas susceptibles de caractériser l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral à son encontre. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de la commune de Pignans serait engagée du fait de tels agissements.

23. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé, d'une part, à demander la condamnation de la commune de Pignans à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation des préjudices subis résultant du harcèlement moral dont il s'estime victime, d'autre part, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté le surplus de sa demande.

Sur les frais liés au litige :

24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Pignans qui, dans la présente instance, n'est pas partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.

25. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la commune de Pignans et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2003603 et n° 2101735 du 10 février 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires présentées par M. A..., tendant à condamner la commune de Pignans à lui payer la somme de 100 000 euros.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Toulon par M. A... tendant à condamner la commune de Pignans à lui payer la somme de 100 000 euros et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : M. A... versera à la commune de Pignans une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la commune de Pignans.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 décembre 2024.

Le rapporteur,

signé

N. DANVEAULa présidente,

signé

C. FEDI

La greffière,

signé

M. C...

La République mande et ordonne au préfet du Var en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N° 23MA009112


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00911
Date de la décision : 20/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-03-04-06 Travail et emploi. - Conditions de travail. - Médecine du travail.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : ARCHIPPE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-20;23ma00911 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award