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10/01/2025 | FRANCE | N°22MA03052

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 10 janvier 2025, 22MA03052


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... B... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de déclarer le centre hospitalier intercommunal (CHI) du bassin de Thau responsable des conséquences de la tentative de suicide commise le 17 novembre 2009 par Mme C... A..., et de condamner le centre hospitalier à payer, d'une part, à Mme B..., en sa qualité de tutrice légale de sa fille, Mme C... A..., des indemnités pour un montant total de 650 000 euros ; d'autre part, à Mme B... et à M. E.

.., fils de Mme A..., des indemnités se montant, respectivement, à 200 000 euros et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... B... et M. D... E... ont demandé au tribunal administratif de Montpellier de déclarer le centre hospitalier intercommunal (CHI) du bassin de Thau responsable des conséquences de la tentative de suicide commise le 17 novembre 2009 par Mme C... A..., et de condamner le centre hospitalier à payer, d'une part, à Mme B..., en sa qualité de tutrice légale de sa fille, Mme C... A..., des indemnités pour un montant total de 650 000 euros ; d'autre part, à Mme B... et à M. E..., fils de Mme A..., des indemnités se montant, respectivement, à 200 000 euros et 50 000 euros en réparation de leurs préjudices personnels.

Par un jugement n° 1903584 du 29 mars 2021, le tribunal administratif de Montpellier a condamné le CHI du bassin de Thau à payer à Mme B... en sa qualité de tutrice légale de sa fille, Mme C... A..., une somme de 255 600 euros et pour elle-même une somme de 6 000 euros et à M. E..., une somme de 3 600 euros, a mis à la charge du CHI les frais de l'expertise et une somme de 1 500 euros au titre des frais du litige et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par un arrêt n° 22MA03052 du 10 novembre 2023, la cour, statuant après renvoi du Conseil d'Etat, a :

- annulé le jugement n° 1903584 du 29 mars 2021 du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il n'a que partiellement fait droit aux conclusions des requérants,

- porté la somme que le CHI du bassin de Thau a été condamnée à payer à Mme A... à 339 900 euros,

- rejeté les conclusions présentées devant le tribunal administratif de Montpellier par Mme B... et par M. E... en leur nom personnel en tant qu'elles excèdent les sommes de 6 000 euros et de 3 600 euros,

- rejeté les conclusions présentées devant la cour par Mme B... et par M. E... en leur nom personnel,

- condamné le CHI du bassin de Thau à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault la somme de 144 930,64 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2023, et de la capitalisation des intérêts à compter du 8 juin 2024, une rente annuelle d'un montant de 72 657,22 euros et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

- ordonné, avant de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'indemnisation des pertes de revenus et du préjudice d'incidence professionnelle, une expertise confiée à un médecin psychiatre.

Par une ordonnance du 16 février 2024, la présidente de la cour a désigné M. F... H... en qualité d'expert.

Le rapport de l'expert a été enregistré au greffe de la cour le 9 octobre 2024.

Par une lettre du 10 octobre 2024, les parties ont été informées de la possibilité qui leur était offerte de produire, dans le délai de quinze jours, des observations.

Par un mémoire enregistré le 16 octobre 2024, Mme B... et M. E..., représentés par le cabinet Corem, agissant par Me Knispel, demandent à la cour :

- à titre principal, de condamner le CHI du bassin de Thau au paiement de la somme de 310 000 euros au titre de l'indemnisation des préjudices de perte de gains professionnels et d'incidence professionnelle subis par Mme B... ;

- à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise afin de déterminer les probabilités de reprise d'une activité professionnelle par une personne souffrant d'un état dépressif récurrent ou persistant majeur de forme mélancolique ;

- en tout état de cause, de mettre à la charge du CHI du Bassin de Thau les dépens et la somme de 20 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les conclusions du rapport d'expertise, qui considèrent que Mme A... est inapte de manière définitive et absolue à la reprise d'une activité professionnelle, sont contestables ;

- le taux de perte de chance de reprendre une activité professionnelle doit être estimé à 50 % et doit être appliqué au taux de perte de chance d'éviter un handicap lourd à hauteur de 60 % ;

- son préjudice professionnel s'élève à la somme totale de 310 000 euros ;

- à défaut, une nouvelle expertise doit être ordonnée.

Par un mémoire, enregistré le 23 octobre 2024, le CHI du bassin de Thau, représenté par la SARL Le Prado-Gilbert, conclut aux mêmes fins que ses précédentes écritures.

Il fait valoir que les préjudices professionnels invoqués sont dépourvus de tout lien avec une faute du centre hospitalier et ne sont que la conséquence de l'état initial de la victime.

Par une ordonnance du 30 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 novembre 2024.

Un mémoire, présenté par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault le 22 novembre 2024 et produit après la clôture de l'instruction, n'a pas été communiqué.

Vu :

- l'ordonnance du 26 janvier 2021 du président du tribunal administratif de Montpellier liquidant et taxant à la somme de 2 000 euros les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur H... ;

- l'ordonnance du 14 octobre 2024 du président de la cour liquidant et taxant à la somme de 2 000 euros les frais et honoraires de l'expertise confiée au docteur H... ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Knispel, représentant Mme B... et M. E....

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêt n° 22MA03052 du 10 novembre 2023, la cour a ordonné, avant de statuer sur les conclusions de la requête tendant à l'indemnisation des pertes de revenus et du préjudice d'incidence professionnelle invoqués par les requérants, une expertise confiée à un médecin psychiatre, en vue de préciser si l'état de santé de Mme A... la rendait inapte de manière définitive et absolue à la reprise de son activité professionnelle ou, à défaut, de toute autre activité professionnelle lui donnant droit à une rémunération. Il a également été demandé de préciser, dans l'hypothèse où cet état de santé ne rendrait pas Mme A... inapte de manière définitive et absolue à la reprise d'une activité professionnelle, à partir de quelle date elle aurait pu reprendre son activité professionnelle. Le rapport de l'expert a été enregistré au greffe de la cour le 9 octobre 2024.

Sur les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle :

2. Il résulte de l'instruction, et, notamment, du rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif de Montpellier, que l'état de santé de Mme A... peut être regardé comme stabilisé au terme d'une période de trois ans d'évolution de son état végétatif, démarrant le 17 novembre 2009 et se terminant le 17 novembre 2012. Les requérants sollicitent l'indemnisation des pertes de gains professionnels futurs à compter de l'année 2013 et du préjudice d'incidence professionnelle subis par Mme A... du fait de la faute commise par le CHI du bassin de Thau lors de la prise en charge psychiatrique et médico-psychologique de celle-ci.

3. Le rapport d'expertise précité précise que Mme A..., qui était professeure d'espagnol titulaire à Sète, présente, du fait des graves séquelles liées à l'anoxie cérébrale prolongée subie, un état grabataire qui la rend inapte à l'exercice de toute activité professionnelle. Il ressort de ce même rapport, ainsi que de l'expertise psychiatrique complémentaire réalisée à la demande de la cour, que Mme A... souffrait d'un trouble majeur de l'humeur caractérisé par un état dépressif récurrent ou persistant de forme mélancolique, reconnu comme une affection de longue durée et comportant un risque suicidaire très élevé. Il est précisé que Mme A... souffrait de ces troubles dépressifs depuis 1994, qu'elle était placée, au moment de son hospitalisation résultant d'une décompensation aiguë de son trouble psychiatrique, en congé de longue maladie d'une durée de six mois et qu'un traitement antidépresseur lui avait été prescrit depuis six semaines. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'expert psychiatre s'est prononcé spécifiquement sur l'aptitude professionnelle de Mme A... au regard de son état de santé et de la sévérité de ses troubles, sans établir de conclusion similaire pour n'importe quel autre patient qui serait atteint de la même pathologie psychiatrique. Il souligne à cet égard, en s'appuyant sur les antécédents ci-dessus évoqués et sans être utilement contredit, que le tableau clinique sévère et évolutif, sans rémission possible, présenté par Mme A... à la date de son hospitalisation rendait celle-ci inapte de manière définitive et absolue à l'exercice de toute activité professionnelle, et ce même en l'absence de faute du CHI du bassin de Thau. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une mesure de contre-expertise, la faute commise par le CHI du bassin de Thau ne peut être regardée comme ayant été à l'origine, de manière suffisamment certaine et directe, d'une perte de revenus professionnels pour la victime et d'un préjudice d'incidence professionnelle indemnisables.

4. Il résulte de ce qui précède que Mme B... et M. E... ne sont pas fondés à demander l'indemnisation des préjudices relatifs à la perte de revenus et à l'incidence professionnelle subis par Mme A.... Il n'y a, dès lors, pas lieu de majorer la somme que le CHI du bassin de Thau a été condamné à payer à Mme A..., représentée par Mme B..., par l'arrêt de la cour du 10 novembre 2023, à hauteur de 339 900 euros.

Sur l'action en remboursement de la MGEN et de l'Etat :

5. La mutuelle générale de l'éducation nationale (MGEN) auprès de laquelle la victime est affiliée réclame, sur le fondement de l'article L. 224-9 du code de la mutualité et par la production d'un relevé détaillé des prestations servies et d'une attestation d'imputabilité établie par son médecin conseil, le remboursement des prestations échues ou à échoir au profit de Mme A... au titre des pertes de gains professionnels, pour un montant total de 126 482,13 euros. Par ailleurs, la rectrice de région académique Occitanie a présenté pour le compte du ministre de l'éducation nationale une demande de remboursement des salaires versés à Mme A... ainsi que des charges patronales payées au titre de la période du 10 novembre 2009 au 15 novembre 2014. Toutefois, il résulte de ce qui a été exposé au point 3 que le préjudice invoqué au titre des pertes de gains professionnels n'a pas pour origine directe et certaine la faute commise par le CHI du bassin de Thau au cours de l'hospitalisation de Mme A.... Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer, d'une part, sur la recevabilité des conclusions présentées par la MGEN, d'autre part, sur la fin de non-recevoir opposée par le CHI du Bassin de Thau tirée de l'irrecevabilité des conclusions de la rectrice d'académie, les demandes présentées par la MGEN et la rectrice de région académique Occitanie ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

6. Dans les circonstances de l'espèce et eu égard à l'arrêt de la cour du 10 novembre 2023, les frais de l'expertise effectuée le 16 décembre 2019 par le Docteur H..., taxés et liquidés à la somme de 2 000 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2021, sont laissés à la charge définitive du CHI du bassin de Thau. Par ailleurs, les frais de l'expertise effectuée le 10 juin 2024 par le même médecin psychiatre, taxés et liquidés à la somme de 2 000 euros par ordonnance du président de la cour du 14 octobre 2024, sont mis à la charge définitive du CHI du bassin de Thau.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à l'arrêt de la cour du 10 novembre 2023, de mettre à la charge du CHI du bassin de Thau une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme B... et M. E... et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la MGEN et de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault présentées au même titre.

D É C I D E :

Article 1er : Le surplus de la requête de Mme B... et M. E... est rejeté.

Article 2 : Les conclusions présentées par la rectrice de région académique Occitanie et la MGEN et le surplus des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault sont rejetés.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 000 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Montpellier du 26 janvier 2021, sont laissés à la charge définitive du CHI du bassin de Thau.

Article 4 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 000 euros par ordonnance du président de la cour du 14 octobre 2024, sont mis à la charge définitive du CHI du bassin de Thau.

Article 5 : Le CHI du bassin de Thau versera à Mme B... et à M. E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... B..., à M. D... E..., au centre hospitalier intercommunal du bassin de Thau, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Hérault, à la mutuelle générale de l'Education nationale, au ministre de l'éducation nationale et à la rectrice de la région académique Occitanie.

Copie du présent arrêt sera adressée à M. F... H..., expert.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 janvier 2025.

N° 22MA03052 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA03052
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation. - Responsabilité pour faute simple : organisation et fonctionnement du service hospitalier.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : KNISPEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;22ma03052 ?
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