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10/01/2025 | FRANCE | N°24MA00476

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 10 janvier 2025, 24MA00476


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société La Poste à lui verser la somme de 205 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont il estime avoir été victime.



Par un jugement n° 2005876 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistré

s les 26 février et 16 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Semeriva, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société La Poste à lui verser la somme de 205 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral dont il estime avoir été victime.

Par un jugement n° 2005876 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 février et 16 juillet 2024, M. C..., représenté par Me Semeriva, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2023 ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de la société La Poste une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier faute d'être signé ;

- il a été victime de retraits abusifs de jours de congés ; si deux lui ont été restitués c'est à la suite de sa réclamation auprès du siège, tandis que d'autres jours ne lui ont jamais été restitués ; la règle appliquée par son employeur à cet égard est illégale et il n'est au demeurant pas démontré qu'elle est appliquée à tous ;

- il a subi un déclassement à son retour de " temps partiel aménagé sénior " ; le poste qui lui a été confié était 2 à 3 niveaux inférieur au précédant ;

- il a été empêché de candidater sur un poste à Aix-en-Provence ; les informations sur ce poste lui ont été refusées et il a été questionné sur ses motivations à occuper des fonctions managériales ;

- les règles internes de l'entreprise n'ont pas été respectées quant au refus qui a été initialement opposé à sa demande de temps partiel ; celui-ci n'a fait l'objet d'aucune motivation et aucun entretien n'a été organisé ; l'octroi du temps partiel a été anormalement tardif ;

- il a dû s'adresser au directeur départemental avec l'assistance d'une organisation syndicale et subir, à la différence de tous les autres, une épreuve professionnelle devant un jury pour que sa reclassification sur des fonctions de niveau supérieur CA1 (III-2) soit, en 1995, admise ; le retard à lui reconnaitre le bénéfice de son concours de A... a eu des répercussions sur la suite de sa carrière ;

- il n'a pu obtenir un avis du service médiation, en méconnaissance de l'article 4 de la charte ; il n'a pu obtenir l'aide des nombreuses personnes sollicitées malgré l'obligation qui était la leur ;

- le médecin du travail ne l'a reçu qu'après plusieurs refus et alors que son employeur n'avait pas organisé les visites périodiques obligatoires ;

- le médecin du travail a rendu un avis contradictoire avec son premier avis quant à l'imputabilité au service de sa pathologie ; cette imputabilité lui a été refusé malgré de nombreux éléments, produits à l'instance, en justifiant ; cela a eu des conséquences sur sa pension de retraite ;

- le bénéfice de la prime " Macron " lui a été indûment refusé en 2019 ; il n'a pas été en congé maladie pendant 6 semaines en 2018 ;

- l'information sur la date à laquelle il pourrait déposer sa demande de retraite avec une durée de cotisation complète ne lui a été donnée que très tardivement ;

- son employeur a refusé de monétiser la totalité de son compte épargne temps au moment de sa mise à la retraite ;

- l'indemnité que la société La Poste a été condamnée à lui verser dans un autre litige, notamment pour préjudice moral, a été versée sous forme d'une indemnité de congés payés, soumise aux prélèvements sociaux et à l'impôt sur le revenu ;

- la société La Poste a elle-même reconnu sa responsabilité ; celle-ci doit être engagée, même si la qualification de harcèlement ne pouvait pas être retenue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2024, la société La Poste, représentée par Me Andreani, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Tosi, représentant la société La Poste.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., fonctionnaire depuis 1978, a pris sa retraite le 1er septembre 2021. Il recherche la responsabilité de son employeur, la société La Poste, à raison des faits de harcèlement dont il estime avoir été victime. Il relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille ayant rejeté sa demande tendant à obtenir la condamnation de la société La Poste à lui verser une somme de 205 000 euros en réparation des préjudices subis à ce titre.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été dûment signé conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. La circonstance que l'ampliation de ce jugement qui a été notifiée au requérant ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur sa régularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / (...) ".

4. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

5. En premier lieu, si M. C... évoque les difficultés qu'il aurait rencontrées pour obtenir, à la suite de sa réussite à un concours de " conducteur chefs de la distribution ", dit " A... ", sa reclassification au grade de cadre de niveau III.2, celles-ci sont essentiellement liées à la volonté de M. C... de relever de la " catégorie active " pour ses droits à retraite et au caractère intermédiaire du poste de A.... Il indique d'ailleurs qu'elles se sont présentées de façon générale à l'ensemble des collègues se trouvant, dans le département des Bouches-du-Rhône, dans la même situation. Elles ne sauraient, à elles seules, faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Or, celles-ci sont survenues entre 1993 et 1997, sans que le requérant ne réagisse par la suite, ni qu'elles soient suivies d'autres agissements dont ce dernier aurait été conduit à se plaindre. Les autres éléments évoqués par M. C... sont en effet tous postérieurs à 2015.

6. En deuxième lieu, M. C... a bénéficié, entre le 1er septembre 2013 et le 31 juillet 2016, d'un " temps partiel aménagé sénior ". Ce dispositif lui a permis, entre le 31 décembre 2013 et le 31 juillet 2016, de libérer son poste de travail et d'exercer des fonctions comportant exclusivement des activités de soutien et d'appui, dans la limite de 70 % d'un temps plein. N'ayant pas choisi de partir à la retraite à l'issue de ce temps, il a repris une activité opérationnelle non aménagée. S'il a alors été affecté, en gardant son grade, à des fonctions d'encadrant différentes de celles qu'il exerçait précédemment, il ne ressort d'aucun élément que ces fonctions de " responsable d'équipe " ne correspondaient pas à son grade et auraient été équivalentes à celles qu'il occupait avant sa réussite au concours de A... évoqué ci-dessus. Dès lors, il n'est pas fondé à critiquer ce positionnement.

7. Si, en troisième lieu, au cours du mois d'octobre 2016, M. C... a requis des informations exclusivement matérielles sur un poste d'encadrant courrier à Aix-en-Provence en indiquant qu'il occupait les mêmes fonctions à Marseille et que ce poste pourrait le rapprocher de son domicile, il ne ressort pas de la réponse qui lui a été faite par le responsable de production d'Aix-en-Provence, qui souhaitait légitimement, au préalable, mieux comprendre ses motivations par rapport au poste et au management d'équipes, qu'il aurait été empêché ou même dissuadé de présenter sa candidature.

8. En quatrième lieu, le 30 novembre 2016, M. C... a sollicité le bénéfice d'un temps partiel à 50 % à compter du 1er février 2017. Si un refus lui a, dans un premier temps, été opposé, le message de son directeur, du 12 décembre 2016, mettait en exergue l'incohérence des différentes démarches de M. C..., mais lui rappelait surtout que le bon fonctionnement de l'établissement nécessitait que le poste de cadre qu'il occupait soit exercé à temps complet. Cette réponse était ainsi dûment motivée. Si la procédure interne aurait requis l'organisation d'un entretien, le dialogue n'a pas été rompu à cet égard, dès lors que M. C... a obtenu le temps partiel sollicité, auquel il n'avait aucun droit, dès le 1er octobre 2017, soit seulement huit mois plus tard. Il ne saurait être soutenu que les conditions du refus initial auraient constitué un indice d'harcèlement moral ou auraient été de nature à engager la responsabilité de l'employeur.

9. En cinquième lieu, d'une part, les deux jours de congés acquis au titre de l'année 2016 et écrêtés en 2017 ont été restitués à M. C..., certes sur réclamation. D'autre part, si M. C... a été privé d'autres jours de congés, c'est en raison de l'application d'une doctrine illégale arrêtée par la société La Poste pour l'ensemble de ses agents à temps partiel, sans qu'aucun élément ne permette de conclure que M. C... aurait fait l'objet d'un traitement spécifique. Il ne saurait dès lors être soutenu que l'employeur du requérant aurait adopté à ce sujet, qui fait parallèlement l'objet d'un autre contentieux, un comportement discriminant ou susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral.

10. En sixième lieu, si M. C... n'est pas satisfait des termes du rapport établi par le service médiation de l'entreprise le 4 avril 2018, qui apporte selon lui des réponses inappropriées à sa saisine, et si ledit service n'a pas estimé utile de prolonger son action à son égard, il n'en résulte pas que les principes d'indépendance et de neutralité s'appliquant à toute médiation auraient été méconnus, ni, a fortiori, que le positionnement de la médiatrice aurait pu, en lui-même, caractériser des faits de harcèlement.

11. Alors même qu'il n'a pas été absent six semaines pour maladie au cours de l'année 2018, M. C... ne justifie pas, en septième lieu, qu'il aurait été indûment privé de la prime dite " Macron ", prévue sous conditions de ressources.

12. En huitième lieu, la réponse à sa demande de simulation de retraite du 23 mai 2019, intervenue le 11 février 2020, n'a pas été particulièrement tardive.

13. En neuvième lieu, M. C... a été placé en arrêt de travail à partir du 13 mai 2019, puis en disponibilité d'office pour maladie ordinaire à partir du 13 mai 2020 jusqu'à sa mise à la retraite. S'il soutient que cet arrêt était imputable au travail, il indique lui-même que sa réclamation à cet égard a été rejetée, conformément à l'avis de la commission de réforme. Alors qu'il n'a pas contesté cette décision, il ne saurait prétendre qu'elle participerait à son harcèlement, de même que l'avis rendu par le médecin du travail à ce sujet, au seul motif qu'il ne va pas dans le même sens que d'autres avis médicaux et qu'il n'est pas en sa faveur. Ce dernier avis n'est d'ailleurs pas discordant de celui émis par le même médecin le 4 juillet 2019, qui relevait seulement que son état pouvait " justifier actuellement de la poursuite du repos " sans aucunement se prononcer sur une imputabilité au travail.

14. En dixième lieu, le requérant a été reçu par deux fois, à sa demande, par la médecin du travail au cours des mois de juillet 2019 et août 2021. S'il prétend qu'il n'aurait pas bénéficié du suivi normal du service de médecine de prévention, son employeur indique, dans un courrier du 11 septembre 2020 qui n'est à cet égard pas contredit, qu'il a bénéficié de visites de pré-reprise et de reprise en 2017.

15. Si M. C... se plaint, en onzième lieu, de la somme à laquelle les jours qu'il avait épargnés sur son compte épargne temps lui ont été payés lors de son départ en retraite, il ressort des échanges de courriers électroniques qu'il produit qu'une régularisation devait lui être versée à la fin du mois d'octobre 2021. Il ne donne aucune indication à cet égard.

16. En douzième et dernier lieu, les conditions d'exécution du jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille dans un litige distinct relatif aux jours de congés dont il a été privé en 2017, mentionné ci-dessus au point 9, ne sauraient par ailleurs être évoquées dans la présente instance.

17. S'il ressort de l'ensemble de ces éléments que M. C... n'a pas compris ou accepté le traitement de sa situation administrative par son employeur, les faits qu'il invoque, pris isolément ou dans leur ensemble, ne sont pas de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. Mise à part l'erreur commise s'agissant du calcul de ses congés annuels, qui fait l'objet d'un autre contentieux, ces éléments ne révèlent par ailleurs aucune faute de la part de la société La Poste dans la gestion de la carrière de son agent, celle-ci ayant d'ailleurs pris soin de répondre aux nombreuses sollicitations de ce dernier. Contrairement à ce qu'indique M. C..., il ne résulte pas du courrier qui lui a été adressé le 25 janvier 2022 par son employeur, que celui-ci, reconnaissant ses ressentis, aurait admis l'existence de fautes.

18. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société La Poste qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de ladite société.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société La Poste au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C... et à la société La Poste.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.

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N° 24MA00476

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00476
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. - Contentieux de la fonction publique. - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SELARL ANDREANI-HUMBERT-COLLIN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;24ma00476 ?
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