Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la société La Poste à lui verser la somme totale de 70 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du retrait et de la privation d'un certain nombre de jours de congés dont il estime avoir été victime en 2017 et 2018 et qui relèvent, selon lui, d'un harcèlement moral.
Par un jugement n° 2005874 du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société La Poste à verser à M. B... une indemnité de 2 720 euros et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 février et 22 août 2024, M. B..., représenté par Me Semeriva, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2023 en tant qu'il n'a pas fait droit au surplus de sa demande ;
2°) de faire droit à l'intégralité de sa demande de première instance, en assortissant le montant de la condamnation des intérêts au taux légal et de leur capitalisation ;
3°) de mettre à la charge de la société La Poste une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier faute d'être signé ;
- les premiers juges ont omis de répondre à ses écritures en ce qu'il soutenait que les retraits répétés de congés qu'il a subis au cours de l'année 2017 n'étaient pas de simples erreurs mais constituaient des faits de harcèlement moral ;
- les jours de congés dus au titre de l'année 2016, qui lui ont été restitués, avaient été retirés de façon arbitraire, en se connectant sur son compte personnel ; il n'a pu les récupérer qu'au prix de nombreuses démarches ;
- pareillement, les 5 jours qui lui ont été retirés au titre de l'année 2017 ne l'ont pas été en raison de son passage à temps partiel ; l'allocation initiale de 26,5 jours de congés pour l'année 2017 en tenait compte ; il doit être intégralement indemnisé de ces jours ;
- la règle prévue en interne, de recalcul systématique du solde de congés après chaque prise de congés, d'après la quotité de travail de l'agent, est illégale ;
- elle a conduit à ce que seulement 3,5 jours lui soient attribués au titre de l'année 2018 ;
- au total 11 jours lui ont été arbitrairement retirés et doivent être indemnisés ; aucune restitution n'a eu lieu le 1er octobre 2018 ou le 1er octobre 2019 ;
- de façon générale, son préjudice moral doit être mieux indemnisé, eu égard au comportement gravement fautif de son employeur, qui l'a notamment empêché de prendre des congés en 2018 ; il n'a pas été victime de simples erreurs mais a subi un harcèlement venant sanctionner sa demande de travail à temps partiel.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2024, la société La Poste, représentée par Me Andreani, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er du jugement du 22 décembre 2023 et de rejeter la demande de première instance de M. B... ;
3°) de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;
- les premiers juges n'ont pas pris en compte le fait que M. B... a bénéficié de jours complémentaires en 2018, compensant ceux perdus en 2017, du fait des changements intervenus dans son temps de travail.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 ;
- le décret n° 82-624 du 20 juillet 1982 ;
- le décret n° 84-972 du 26 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Tosi, représentant la société La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., fonctionnaire depuis 1978, recherche la responsabilité de son employeur, la société La Poste, à raison du retrait et de la privation d'un certain nombre de jours de congés dont il estime avoir été victime en 2017 et 2018 et qui relèvent, selon lui, d'un harcèlement moral. Par son jugement du 22 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la société La Poste à lui verser la somme de 720 euros en réparation du préjudice financier subi du fait de la privation de six jours de congés au titre de l'année 2017 ainsi qu'une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des erreurs commises dans la gestion des congés de l'intéressé. Il a rejeté le surplus de sa demande. M. B... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas plus amplement fait droit à sa demande, et la société La Poste sollicite, par la voie de l'appel incident, son annulation en tant qu'il a prononcé une condamnation à son encontre.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. A l'appui de sa demande, M. B... soutenait que le comportement de son employeur, notamment par sa gestion intentionnellement erronée de ses congés, caractérisait un harcèlement moral. Le tribunal, qui s'est borné à retenir des erreurs commises sur le calcul de ses congés, ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité, son jugement doit être annulé.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif.
Sur la demande indemnitaire :
En ce qui concerne les droits à congés de M. B... et son préjudice matériel :
4. En premier lieu, si la société La Poste avait initialement écrêté deux jours de congés acquis par M. B... au titre de l'année 2016, et non pris au 30 avril 2017, il est constant que ces jours lui ont été restitués au mois de décembre 2017.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'Etat : " Tout fonctionnaire de l'Etat en activité a droit, dans les conditions et sous les réserves précisées aux articles ci-après, pour une année de service accompli du 1er janvier au 31 décembre, à un congé annuel d'une durée égale à cinq fois ses obligations hebdomadaires de service. Cette durée est appréciée en nombre de jours effectivement ouvrés. / Un jour de congé supplémentaire est attribué à l'agent dont le nombre de jours de congé pris en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre est de cinq, six ou sept jours ; il est attribué un deuxième jour de congé supplémentaire lorsque ce nombre est au moins égal à huit jours. / (...) ". L'article 4 du décret du 20 juillet 1982 fixant les modalités d'application pour les fonctionnaires de l'ordonnance n° 82-296 du 31 mars 1982 relative à l'exercice des fonctions à temps partiel précise : " Les fonctionnaires autorisés à travailler à temps partiel ont droit aux congés auxquels peuvent prétendre les fonctionnaires accomplissant un service à temps plein. / La durée des congés annuels des intéressés est égale à cinq fois leurs obligations hebdomadaires de service. / (...) ".
6. En l'espèce, il est constant que M. B... travaillait, jusqu'au 1er octobre 2017, selon une obligation de service hebdomadaire de 6 jours ouvrés, ouvrant droit à 30 jours de congés annuels. Il avait ainsi droit, pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2017, à 22,5 jours de congés annuels (30 / 12 x 9). Dès lors qu'il a été placé en temps partiel, à 50 %, entre le 1er octobre 2017 et le 30 septembre 2019, il avait droit, pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2017, à 3,75 jours (30 /12 x 50 % x 3). Son nombre de jours de congés pour l'année 2017 s'élevait ainsi à 26,25 jours, arrondis à 26,5 jours, sans qu'il n'y ait lieu de moduler ce nombre en fonction de celui des jours de congés posés par l'agent avant son passage à temps partiel ainsi que prévu illégalement par le guide DTRH GAPP EJS établi par l'employeur, mis à jour au cours du mois d'août 2017.
7. Il est constant que M. B... a posé, sur l'ensemble de l'année, 18 jours de congés à imputer sur ce quota, et disposait ainsi d'un solde de congés annuels, compte-tenu de 4,5 jours supplémentaires acquis par ailleurs et non discutés par les parties, de 13 jours au 31 décembre 2017 (26,5 + 4,5 - 18), lui permettant d'en basculer 10 sur son compte épargne temps, et de conserver un solde positif de 3 jours, plutôt que le solde négatif de 2,5 jours dont se prévaut son employeur, soit une différence de 5,5 jours.
8. Contrairement à ce qu'indique la société La Poste, M. B... a été, durant l'intégralité de l'année 2018, à temps partiel à 50 %. Son droit à congés annuel s'élevait ainsi à 15 jours, auxquels auraient dû être ajoutés les 3 jours reportés acquis au titre de l'année 2017, à prendre avant le 30 avril 2018, soit un total de 18 jours, et non de 27,5 jours ainsi qu'initialement crédités par l'employeur sur la base d'un service à temps plein. Il est constant que 9 jours ont été posés avant le 12 juin 2018, dont les 3 jours à poser avant le 30 avril, et que son solde aurait ainsi dû, à cette date, s'élever à 9 jours, et non à 3,5 jours ainsi que mentionné sur le compte de M. B.... La différence de 5,5 jours était ainsi égale à celle constatée à la fin de l'année 2017.
9. Il est constant que cet écart a empêché M. B... de prendre ces 5,5 jours au cours de l'année 2018, ou de les basculer sur son compte épargne temps et d'en être indemnisé. La société La Poste ne justifie pas les avoir recrédités sur ledit compte. Il y a lieu, par suite d'indemniser M. B... du préjudice matériel subi de ce fait en lui allouant une somme de 660 euros, correspondant à 120 euros par jour.
En ce qui concerne son préjudice moral :
10. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable au litige : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / (...) ".
11. Si M. B... soutient que les conditions dans lesquelles ces jours de congés ont été gérés et décomptés par son employeur ne relèvent pas d'une simple erreur, mais d'un harcèlement moral dont il a été victime, il est constant d'une part, que les deux jours évoqués au titre de l'année 2016 lui ont été restitués, certes sur réclamation, et que les autres jours ont été omis en raison de l'application d'une doctrine illégale arrêtée par la société La Poste pour l'ensemble de ses agents à temps partiel, sans que M. B... ne fasse l'objet d'un traitement spécifique. Il ne saurait dès lors être soutenu que l'employeur du requérant aurait adopté à son égard un comportement discriminant ou susceptible de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral. En revanche, M. B... a subi un préjudice moral du fait des nombreuses démarches qu'il a dû accomplir pour faire valoir ses droits et de l'incertitude dans laquelle il a été placé à ce sujet. Il y a lieu de l'indemniser, à cet égard, à hauteur d'une somme de 2 060 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Poste doit être condamnée à verser à M. B... la somme de 2 720 euros.
Sur les intérêts et les frais liés au litige :
13. M. B... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 2 720 euros à compter du 3 février 2020, date de réception de sa demande préalable par la société La Poste. La capitalisation des intérêts a été demandée le 26 février 2024. A cette date, au cas où le jugement du 22 décembre 2023 n'aurait pas encore été exécuté, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-3 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de l'une quelconque des parties.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2023 est annulé.
Article 2 : La société La Poste est condamnée à verser à M. B... la somme de 2 720 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 3 février 2020. Les intérêts échus à la date du 26 février 2024, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates, au cas où le jugement du 22 décembre 2023 n'aurait pas encore été exécuté, pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la société La Poste.
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2025.
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N° 24MA00477
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