Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 par lequel le préfet des Hautes-Alpes a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel la décision d'éloignement pourra être mise à exécution, d'autre part, d'enjoindre sous astreinte à l'administration de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa situation.
Par un jugement n° 2401437 du 29 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 26 juin 2024 sous le n° 24MA01651, M. B..., représenté par Me Bataillé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 mai 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Hautes-Alpes de lui délivrer un titre de séjour, subsidiairement de réexaminer sa situation en lui délivrant dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la motivation des décisions attaquées, particulièrement de l'obligation de quitter le territoire français, est insuffisante ;
- elles révèlent que sa situation n'a pas fait l'objet d'un examen sérieux et particulier ;
- sa demande aurait dû être examinée sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et non de son article L. 422-23 ;
- aucune menace grave à l'ordre public ne résulte de sa présence ; en particulier ses documents d'état civil n'ont jamais été qualifiés de faux par une juridiction et il n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale ;
- subsidiairement, ses actes d'état civil sont présumés valides en application de l'article 47 du code civil ; l'administration n'apporte pas la preuve qu'ils sont entachés d'irrégularité ; il a été pris en charge par l'aide sociale à l'enfance à l'âge de seize ans et justifiait suivre une formation qualifiante depuis plus de six mois ; les dispositions de l'article L. 422-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont été méconnues.
La procédure a été communiquée au préfet des Hautes-Alpes qui n'a pas produit d'observations.
II°) Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2024 sous le n° 24MA02023, M. B..., représenté par Me Bataillé, demande à la cour :
1°) d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du 29 mai 2024 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement risque d'entrainer des conséquences difficilement réparables pour lui ;
- l'arrêté contesté est illégal à raison des motifs exposés dans l'instance n° 24MA01651.
Un mémoire en défense, présenté par le préfet des Hautes-Alpes, a été enregistré le 17 décembre 2024, postérieurement à la clôture de l'instruction, et n'a pas été communiqué.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, dans l'instance n° 24MA02023, par une décision du 26 juillet 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- et les observations de Me Bataillé, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par sa première requête, enregistrée sous le n° 24MA01651, M. B..., ressortissant guinéen se disant né le 20 août 2005, relève appel du jugement du 29 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2024 du préfet des Hautes-Alpes lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays à destination duquel la mesure d'éloignement pourra être mise à exécution, d'autre part à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour ou de réexaminer sa demande. Par sa seconde requête, enregistrée sous le n° 24MA02023, il demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement. Ces deux requêtes sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 422-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...) ". Alors qu'il soutient être né le 20 août 2005, M. B... était nécessairement âgé de plus de seize ans lorsqu'il a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance, pour la première fois, par une ordonnance de placement provisoire du 3 février 2022. Il ne pouvait dès lors se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 422-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 435-3 du même code : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".
4. Ainsi que le soutient M. B..., eu égard à sa situation, sa demande devait nécessairement être regardée comme présentée sur le fondement de ces dispositions. La préfecture des Hautes-Alpes lui a d'ailleurs délivré une attestation de dépôt d'une demande " d'admission exceptionnelle au séjour " et des récépissés de demande de titre portant la mention " travailleur temporaire ".
5. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française.
6. Selon l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1°Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; / (...) La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil ". Selon cet article : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
7. La délivrance à un étranger d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect par l'étranger des conditions qu'il prévoit, en particulier concernant l'âge de l'intéressé, que l'administration vérifie au vu notamment des documents d'état civil produits par celui-ci. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
8. L'analyse documentaire conduite par les services de la police nationale le 14 décembre 2022 a conclu que l'extrait d'acte de naissance produit par M. B..., délivré le 2 février 2022, était non conforme aux prescriptions de la législation guinéenne applicables, dès lors qu'il comportait des abréviations et des dates rédigées en chiffres, que le timbre humide du document était imprimé et son en-tête résultait d'un montage. De la même manière, elle a relevé que le jugement supplétif en date du 17 janvier 2022 comportait également un timbre humide imprimé, ne présentait pas la formule " Au nom du peuple Guinéen " prévue par l'article 555 du code de procédure civile guinéen, mentionnait l'article 201 du code civil guinéen non applicable eu égard à la date de naissance alléguée, et qu'il était entaché d'une incohérence en prévoyant une transcription sur les registres de l'état civil pour l'année 2013. Elle a également conclu que ce document était irrégulier.
9. Il ressort toutefois du jugement maintenant le placement de l'intéressé en assistance éducative, rendu le 15 avril 2022 par le juge des enfants près le tribunal judiciaire de Marseille, que le rapport de l'évaluation éducative et sociale conduite par l'association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône, établi le 28 janvier 2022, concluait que le jeune homme apparaissait " manifestement mineur ". Aucun test osseux n'a de ce fait été réalisé. M. B... critique par ailleurs l'analyse documentaire évoquée précédemment, en relevant notamment qu'elle n'a été faite qu'à partir de copies et sans que la méthodologie et des éléments de comparaison ne soient fournis, que l'article 555 du code de procédure civile guinéen ne serait pas applicable aux jugements supplétifs, et que l'article 201 du code civil guinéen concernerait précisément l'hypothèse des recours à de tels jugements, en l'absence de déclaration de naissance dans le délai légal. Le préfet n'a, ni en première instance, ni en appel, discuté ces éléments. Enfin, une carte d'identité consulaire a été délivrée à M. B... le 4 août 2022, ainsi qu'un passeport le 13 avril 2024, mentionnant sa naissance le 20 août 2005. Si l'administration indique que le code barre de cette carte ne renvoie à aucune donnée, elle ne fournit pas de précision à cet égard et ne conteste pas l'authenticité du passeport, qui s'il a été délivré postérieurement à l'arrêté en litige, étaye des faits antérieurs. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la minorité de M. B... lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance doit être regardée comme établie.
10. Il ressort de la décision attaquée que, pour refuser à l'intéressé la délivrance du titre de séjour qu'il sollicitait, le préfet s'est uniquement fondé sur le caractère frauduleux des documents mentionnés au point 8 et sur l'absence conséquente de justification de l'état civil de M. B.... Il résulte de ce qui vient d'être exposé au point 9 que l'arrêté est à cet égard entaché d'erreur de fait. Dès lors, cette erreur de fait est de nature à entacher d'illégalité la décision litigieuse.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de l'arrêté du 25 janvier 2024.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
12. L'annulation prononcée par le présent arrêt n'implique pas que soit délivré au requérant, ainsi qu'il le demande, un titre de séjour mais implique seulement que le préfet des Hautes-Alpes, conformément aux dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, procède au réexamen de la situation de M. B... au regard du droit au séjour. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de délivrer à l'intéressé, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions aux fins de sursis de la requête n° 24MA02023 :
13. Le présent arrêt statuant sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement contesté, il n'y a plus lieu pour la cour de statuer sur les conclusions aux fins de sursis à exécution dudit jugement.
Sur les frais liés aux instances :
14. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans l'instance n° 24MA02023. Par suite, son avocat, Me Bataillé, peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Bataillé de la somme de 1 500 euros à ce titre. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dans l'instance n° 24MA01651.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24MA02023 tendant au sursis à l'exécution du jugement du 29 mai 2024 du tribunal administratif de Marseille.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 29 mai 2024 et l'arrêté du préfet des Hautes-Alpes du 25 janvier 2024 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet des Hautes-Alpes de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à Me Bataillé une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête n° 24MA01651 est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Joël Bataillé.
Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Alpes et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Gap.
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 janvier 2025.
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N° 24MA01651, 24MA02023
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