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24/01/2025 | FRANCE | N°24MA00281

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 24 janvier 2025, 24MA00281


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 10 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, la décision implicite de la ministre en charge du travail rejetant son recours hiérarchique contre cette autorisation ainsi que la décision expresse de cette ministre du 17 novembre 2021 en tant que, après avoir annulé la décision de l'inspectrice du travail, elle a également autorisé son licenciement.



Par un jugement n° 2109092, 2200227 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 10 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, la décision implicite de la ministre en charge du travail rejetant son recours hiérarchique contre cette autorisation ainsi que la décision expresse de cette ministre du 17 novembre 2021 en tant que, après avoir annulé la décision de l'inspectrice du travail, elle a également autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2109092, 2200227 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail et de la décision implicite de la ministre et a rejeté le surplus de la demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2024, Mme B..., représentée par Me Fassié, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler la décision de la ministre en charge du travail, en tant qu'elle a autorisé son licenciement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 10 mars 2021 est entachée d'incompétence ;

- le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté par l'inspectrice dès lors que les noms des personnes l'accusant de harcèlement moral ne lui ont pas été communiqués ; la transmission tardive de ces éléments, postérieurement à la décision de l'inspectrice et à une date où elle n'était plus dans l'entreprise, n'est pas susceptible de régulariser la procédure à cet égard ;

- les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre sont insuffisamment motivées quant à l'anonymisation effectuée ;

- une représentante syndicale de la CGT, en raison d'un conflit syndical prévalant dans la société et d'une animosité personnelle, avait la volonté de lui nuire ; elle est à l'origine de la pétition du 29 septembre 2020 ; les signatures ont été obtenues auprès de ses connaissances, par complaisance ou pression ; seuls 15 salariés l'ont signée, certains non placés sous son management ;

- l'enquête qui a été conduite par l'employeur l'a été de façon partiale ; seuls des témoignages à charge, péremptoires, pour certains rédigés en des termes identiques, sont fournis ; ceux-ci ont été recueillis auprès de salariés ayant nourri des ressentiments à son encontre et ayant signé ladite pétition ; la société a refusé d'auditionner les salariés qui souhaitaient témoigner en sa faveur ;

- les salariés entendus par l'inspectrice du travail, certains à leur demande, ont signé la pétition et sont les mêmes que ceux entendus par l'employeur ; aucun autre salarié n'a été entendu ;

- aucun harcèlement ne lui a jamais été reproché ; elle n'a suivi des formations qu'au même titre que tous les encadrants du magasin ; elle n'a jamais fait l'objet d'une sanction ; les comptes rendus de ses entretiens annuels révèlent qu'elle donnait toute satisfaction quant à ses compétences managériales ;

- elle n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés, ainsi que cela résulte des nombreux témoignages qu'elle verse au dossier ; le doute sur leur matérialité doit lui profiter ;

- ces faits, dont il n'est pas établi qu'ils auraient eu un impact sur la santé de salariés, ne justifient en tout état de cause pas son licenciement, eu égard à son ancienneté, à ses états de service et à l'absence de toute alerte ou sanction antérieure ;

- les règles de prescription empêchent que des évènements survenus en 2010 et 2013 soient pris en compte ; en tout état de cause, il ne saurait être considéré que des dysfonctionnements dans ses pratiques professionnelles ont été constatés à cette période ;

- elle était particulièrement investie dans ses mandats d'élue et de déléguée syndicale, ces dernières fonctions étant très récentes ; Mme A..., également représentante du personnel et appartenant au même syndicat, a été licenciée en même temps qu'elle ; une discrimination en raison de ces mandats est présumée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, la SAS Monoprix Exploitation, représentée par Me Fourcade, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

La procédure a été communiquée à la ministre en charge du travail qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Fouquoire, substituant Me Fourcade, représentant la SAS Monoprix Exploitation.

Considérant ce qui suit :

1. Employée par la société Monoprix depuis 1991, Mme B... y a occupé, à compter du 1er décembre 2008, le poste de chef de département caisse, sous statut cadre, d'abord au sein du magasin de la Canebière à Marseille, puis, depuis 2013, au sein de celui de la rue de la République, dans la même ville. Elle était, en dernier lieu, membre titulaire et secrétaire adjointe du comité social économique d'établissement, ainsi que déléguée syndicale. Elle relève appel du jugement du 14 décembre 2023 en ce que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre en charge du travail du 17 novembre 2021, ayant autorisé son licenciement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité externe :

2. Si, en premier lieu, Mme B... soutient que l'inspectrice du travail n'aurait pas été compétente pour prendre la décision du 10 mars 2021 statuant initialement sur la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur, il est constant que, sur le recours hiérarchique de la requérante, la ministre en charge du travail a, par sa décision du 17 novembre 2021, annulé la décision de l'inspectrice du travail. La circonstance que cette décision aurait été entachée d'incompétence est dès lors inopérante.

3. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 2121-11 du code du travail : " l'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire (...) ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.

4. D'autre part, si aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire, il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.

5. En l'espèce, il est constant que Mme B... a eu accès, au cours de l'enquête conduite par l'inspectrice du travail, à l'ensemble des attestations rédigées par les salariés de l'entreprise à son sujet, annexées à la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur. L'ensemble des personnes apportant leur témoignage était dûment identifié. Au cours de l'instruction du recours hiérarchique, il lui a en outre été communiqué, par courrier électronique du 9 juillet 2021, le rapport interne rédigé par la direction de l'établissement, annoté de telle sorte que les auteurs des propos repris dans le " verbatim " du rapport soient identifiés. Les paroles recueillies par l'inspectrice du travail au cours de ses entretiens ont également été désanonymisées. Ces éléments étaient globalement similaires à ceux qui figuraient dans les attestations dont Mme B... avait eu communication auparavant et elle a pu présenter ses observations sur ceux-ci par courrier électronique du 12 juillet 2021. Dès lors, il ne saurait être contesté que, si l'inspectrice du travail n'a pas respecté les obligations de l'enquête contradictoire et si la ministre en charge du travail a pour ce motif annulé sa décision, l'autorité hiérarchique a pallié les manquements de procédure constatés avant de statuer à son tour sur la demande d'autorisation de licenciement. Le moyen tiré de la méconnaissance des obligations de l'enquête contradictoire doit par suite être écarté, alors même que la décision de licenciement a été prise par son employeur avant que Mme B... ne dispose de tous ces éléments.

6. En troisième lieu, d'une part, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 2, la circonstance que la décision de l'inspectrice du travail aurait été insuffisamment motivée n'est pas susceptible d'avoir une incidence sur la légalité de la décision de la ministre. D'autre part, cette dernière décision, prise en toute transparence notamment quant à l'identité des personnes ayant témoigné, n'avait pas à justifier de ce que l'accès de Mme B... à certains éléments aurait été limité.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.

8. Le 29 septembre 2020, une lettre collective a été adressée à la directrice de l'établissement par certains personnels de caisse, dénonçant de la part de Mme B... notamment une pression psychologique, des propos dénigrants et une forme de harcèlement moral. Si cette pétition a été remise par une élue d'un autre syndicat, n'exerçant pas dans ce magasin et avec laquelle Mme B... indique avoir des relations conflictuelles, d'une part, cette personne a un mandat de représentation au sein du comité social économique central, lui conférant une légitimité à intervenir dans un conflit au sein du magasin de la rue de la République, d'autre part, la direction a entrepris, à la suite de la réception de cette lettre, une enquête interne approfondie. Il ressort du compte rendu de cette enquête, conduite entre le 10 octobre et le 28 novembre 2020, que 21 entretiens ont été menés, non seulement avec tous les signataires de la pétition, mais aussi avec " tous les employés du secteur caisse ", sauf ceux qui étaient absents, et toute personne qui souhaitait être reçue. Ont ainsi été entendus 67 % des salariés de l'établissement, déduction faite du personnel encadrant, de celui en longue absence, et de celui ne connaissant pas Mme B.... Si la requérante produit l'attestation d'une collègue qui n'aurait pas été entendue malgré ses demandes, il ressort de la contre-enquête et des pièces du dossier que cette personne a été placée en congé pour maladie à partir du 30 octobre 2020. Les entretiens ont été conduits, en présence de la directrice, par les autres membres du comité social économique de l'établissement, à l'exception de l'autre élue également concernée par la pétition. Il ne saurait dès lors être soutenu que cette enquête a été conduite de façon partiale par son employeur.

9. Si Mme B... se prévaut de ce qu'elle a toujours été bien évaluée et n'a pas été astreinte à suivre des formations dédiées, contrairement à ce que soutient son employeur, un courrier d'alerte lui a néanmoins été adressé par ce dernier le 2 mai 2013 quant à certaines difficultés similaires liées à son management, rencontrées au sein du magasin de la Canebière. Il ressort par ailleurs du rapport de l'évaluation conduite au début de l'année 2020 que les " attitudes et comportements managériaux " y ont été évalués comme " en cours d'acquisition ", malgré sept ans d'expérience dans ce poste d'encadrement, et que la directrice de l'établissement y a mentionné, parmi les axes de développement, le " management bienveillant (équité dans l'équipe, formaliser son management...) ". Le 7 octobre 2019, une salariée de son équipe avait en effet dénoncé subir des faits de harcèlement et demandé sa mutation pour cette raison.

10. La requérante se plaint de ce que l'inspectrice du travail n'a auditionné que des salariés ayant signé la lettre collective du 29 septembre 2020 et produit par ailleurs des attestations louant ses qualités de manageuse, par lesquelles certains des salariés qu'elle a encadrés indiquent n'avoir subi ni observé aucun harcèlement. Toutefois, il ressort du compte rendu de l'enquête interne mentionnée ci-dessus que 16 des 21 personnes entendues à cette occasion ont estimé que Mme B... n'était pas juste et équitable avec l'ensemble de l'équipe, quant à l'octroi des pauses ou au langage employé par exemple, et qu'elle exerçait des pressions psychologiques sur les membres de celle-ci, particulièrement à travers une remise en cause de leurs capacités, 14 mentionnant en outre des moqueries. Il a notamment été rapporté, à ce dernier égard, que Mme B..., en présence d'autres collaborateurs, appelait certaines des hôtesses de caisse " la grosse ", dénigrait leur odeur, leur voix lors d'annonces micro ou riait ouvertement de leur lenteur. Il ne saurait dès lors, eu égard à la teneur, la précision et la multiplicité de ces déclarations qui, contrairement à ce qu'indique la requérante, ne sont pas rédigées en termes identiques, être soutenu qu'un doute existerait sur leur pertinence ou qu'elles n'émaneraient que de personnels nourrissant une rancœur à son encontre en raison de l'exercice normal de ses fonctions de manageur. Certains salariés ont d'ailleurs subi de réelles souffrances psychologiques, justifiant des arrêts de travail pour maladie. Dès lors, alors même que Mme B... avait une importante ancienneté dans l'entreprise, y avait démontré son investissement et n'avait pas fait l'objet de sanctions antérieures, la ministre n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation en estimant que le caractère inadapté de son management, résultant de " pressions, humiliations, mesures de rétorsions et inégalités de traitement ", était établi et justifiait à lui seul, de par sa gravité, le licenciement de l'intéressée.

11. Si Mme B... soutient qu'il ne pouvait être fait référence à des évènements similaires survenus la concernant en 2010 et 2013 au sein du magasin de la Canebière, il est constant que la ministre n'a en tout état de cause pas assis sa décision sur de telles considérations qu'elle n'évoque pas.

12. Mme B... fait valoir qu'elle s'est mobilisée dans le cadre de ses mandats, notamment à l'arrivée de la nouvelle directrice de l'établissement, et que sa collègue, également licenciée à la suite de la même pétition, est aussi investie d'un mandat de représentation et appartient au même syndicat qu'elle. Toutefois, il ne résulte pas de ces circonstances, eu égard aux éléments exposés ci-dessus au point 10, que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec l'exercice de ses mandats.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre en charge du travail du 17 novembre 2021 ayant autorisé son licenciement.

Sur les frais liés au litige :

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la SAS Monoprix Exploitation.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la SAS Monoprix Exploitation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et à la SAS Monoprix Exploitation.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 janvier 2025.

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N° 24MA00281

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