Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 5 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement, la décision implicite de la ministre en charge du travail rejetant son recours hiérarchique contre cette autorisation ainsi que la décision expresse de cette ministre du 17 novembre 2021 en tant que, après avoir annulé la décision de l'inspectrice du travail, elle a également autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2109186, 2200226 du 14 décembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail et de la décision implicite de la ministre et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 13 février 2024, Mme B..., représentée par Me Fassié, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2023 ;
2°) d'annuler la décision de la ministre en charge du travail du 17 novembre 2021 en tant qu'elle a autorisé son licenciement, ensemble la décision rendue par l'inspectrice du travail le 5 mars 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision du 5 mars 2021 est entachée d'incompétence ;
- le caractère contradictoire de la procédure n'a pas été respecté dès lors que les noms des personnes l'accusant de harcèlement sexuel et leurs attestations ne lui ont pas été intégralement communiqués en temps utile avant son licenciement, ni même avant l'intervention de la décision de la ministre ;
- les décisions de l'inspectrice du travail et de la ministre sont insuffisamment motivées quant à l'anonymisation effectuée ;
- une représentante syndicale de la CGT, en raison d'un conflit syndical prévalant dans la société et d'une animosité personnelle à l'encontre de sa supérieure, avait la volonté de lui nuire ; elle et est à l'origine de la pétition du 29 septembre 2020 ;
- l'enquête qui a été conduite par l'employeur l'a été de façon partiale ; seuls des témoignages à charge, peu précis, sont fournis ; certains sont mensongers, ainsi que cela résulte des démentis émanant d'un salarié décrit comme victime ; ceux-ci ont été recueillis auprès de salariés hostiles à son égard, ayant signé la pétition ; la société a refusé d'auditionner les salariés qui souhaitaient témoigner en sa faveur ;
- elle n'a jamais fait l'objet d'une sanction ; les comptes rendus de ses entretiens annuels révèlent qu'elle donnait toute satisfaction ; aucune alerte ne lui a préalablement été adressée ;
- elle n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés, ainsi que cela résulte des nombreux témoignages qu'elle verse au dossier ; le doute sur leur matérialité doit lui profiter ;
- elle était particulièrement investie dans son mandat d'élue ; sa supérieure, également représentante du personnel et appartenant au même syndicat, a été licenciée en même temps qu'elle ; une discrimination en raison de ce mandat est présumée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2024, la SAS Monoprix Exploitation, représentée par Me Fourcade, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
La procédure a été communiquée à la ministre en charge du travail qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Fouquoire, substituant Me Fourcade, représentant la SAS Monoprix Exploitation.
Considérant ce qui suit :
1. Employée par la société Monoprix depuis 2016, Mme B... occupait, depuis le 1er mars 2019, un poste de chargée de service caisse-accueil, au sein du magasin de la rue de la République à Marseille. Elle était membre titulaire et secrétaire du comité social économique d'établissement. Elle relève appel du jugement du 14 décembre 2023 en ce que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre en charge du travail du 17 novembre 2021 ayant autorisé son licenciement et a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail.
Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne la décision de l'inspectrice du travail :
2. Si Mme B... sollicite, dans la présente instance, à nouveau l'annulation de la décision rendue par l'inspectrice du travail le 5 mars 2021, il est constant que cette annulation a été prononcée par la ministre en charge du travail par une décision devenue définitive à cet égard et que le tribunal administratif a constaté à juste titre, dans le jugement attaqué qui n'est sur ce point pas critiqué, qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur ces conclusions. Par suite, les conclusions d'appel afférentes à cette décision doivent nécessairement être rejetées.
Sur le bien-fondé du jugement en ce qui concerne la décision de la ministre :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Si, en premier lieu, Mme B... soutient que l'inspectrice du travail n'aurait pas été compétente pour prendre la décision du 5 mars 2021 statuant initialement sur la demande d'autorisation de licenciement présentée par son employeur, il résulte de ce qui vient d'être exposé que cette circonstance, à la supposer exacte, serait en tout état de cause inopérante.
4. En deuxième lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 2121-11 du code du travail : " l'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire (...) ". Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément à ces dispositions impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
5. D'autre part, si aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire, il en va toutefois autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.
6. En l'espèce, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme B... a eu accès, au cours de l'enquête conduite par l'inspectrice du travail, à l'ensemble des attestations rédigées par les salariés de l'entreprise à son sujet, ainsi qu'à celle rédigée par M. F..., responsable d'exploitation de la société Star-Service, prestataire de livraison pour le magasin, rapportant les propos d'un de ses livreurs. Celles-ci étaient annexées à la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur. L'ensemble des personnes apportant leur témoignage était dûment identifié. Au cours de l'instruction du recours hiérarchique, il lui a en outre été communiqué, par courrier électronique du 9 juillet 2021, le rapport interne rédigé par la direction de l'établissement, annoté de telle sorte que les auteurs des propos repris dans le " verbatim " du rapport soient identifiés. Les paroles recueillies par l'inspectrice du travail au cours de ses entretiens ont également été désanonymisées. Ces éléments étaient globalement similaires à ceux qui figuraient dans les attestations dont Mme B... avait eu communication auparavant et cette dernière a pu présenter ses observations sur ceux-ci le jour même. En outre, par courrier électronique complémentaire du 9 novembre 2021, les services de la ministre lui ont fait part du témoignage manquant de M. A..., livreur employé par la société Star-Service, également recueilli par l'inspectrice du travail, en lui laissant la possibilité de présenter des observations jusqu'au 15 novembre suivant. Dès lors, il ne saurait être contesté que, si l'inspectrice du travail n'a pas respecté les obligations de l'enquête contradictoire et si la ministre en charge du travail a pour ce motif annulé sa décision, l'autorité hiérarchique a pallié les manquements de procédure constatés avant de statuer à son tour sur la demande d'autorisation de licenciement. Le moyen tiré de la méconnaissance des obligations de l'enquête contradictoire doit par suite être écarté, alors même que la décision de licenciement a été prise par son employeur avant que Mme B... ne dispose de tous ces éléments.
7. En troisième lieu, d'une part, eu égard aux éléments exposés au point 2, la circonstance que la décision de l'inspectrice du travail aurait été insuffisamment motivée n'est pas susceptible d'avoir une incidence sur la légalité de la décision de la ministre. D'autre part, cette dernière décision, prise en toute transparence notamment quant à l'identité des personnes ayant témoigné, n'avait pas à justifier de ce que l'accès de Mme B... à certains éléments aurait été limité.
En ce qui concerne la légalité interne :
8. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des salariés qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Il doit aussi vérifier qu'il n'est pas en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec son appartenance syndicale.
9. Le 29 septembre 2020, une lettre collective a été adressée à la directrice de l'établissement par certains personnels de caisse, dénonçant notamment de la part de Mme B... des comportements déviants et un climat malsain. Si cette pétition a été remise par une élue d'un autre syndicat, n'exerçant pas dans ce magasin et avec laquelle Mme B... indique que sa cheffe de caisse avait des relations conflictuelles, d'une part, cette personne a un mandat de représentation au sein du comité social économique central, lui conférant une légitimité à intervenir dans un conflit au sein du magasin de la rue de la République, d'autre part, la direction a entrepris, à la suite de la réception de cette lettre, une enquête interne approfondie. Il ressort du compte rendu de cette enquête, conduite entre le 10 octobre et le 28 novembre 2020, que 21 entretiens ont été menés, non seulement avec tous les signataires de la pétition, mais aussi avec " tous les employés du secteur caisse ", sauf ceux qui étaient absents, et toute personne qui souhaitait être reçue. Ont ainsi été entendus 67 % des salariés de l'établissement, déduction faite du personnel encadrant, de celui en longue absence, et de celui ne connaissant pas Mme B.... Si cette dernière produit l'attestation d'une collègue qui n'aurait pas été entendue malgré ses demandes, il ressort de la contre-enquête et des pièces du dossier que cette personne a été placée en congé pour maladie à partir du 30 octobre 2020. Les entretiens ont été conduits, en présence de la directrice, par les autres membres du comité social économique de l'établissement, à l'exception de l'autre élue également concernée par la pétition. Il ne saurait dès lors être soutenu que cette enquête a été conduite de façon partiale par son employeur.
10. La requérante fait valoir qu'elle a toujours été bien évaluée et n'a jamais reçu d'alerte quant à un comportement déviant de sa part. Elle produit par ailleurs des attestations louant ses qualités professionnelles, par lesquelles certains de ses collègues indiquent n'avoir jamais subi ou observé de geste ou parole déplacé de sa part, ni a fortiori de harcèlement sexuel. Toutefois, il ressort du compte rendu de l'enquête interne mentionnée ci-dessus que 14 des 21 personnes entendues ont estimé que Mme B... avait un " comportement déviant et inadapté avec les hommes laissant supposer du harcèlement sexuel ". Il a notamment été rapporté, à cet égard, que Mme B... envoyait des messages à connotation sexuelle aux livreurs intervenant dans le magasin, leur touchait les fesses ou les muscles, faisait des commentaires physiques à leur sujet et les aguichait, tout comme d'autres hommes intervenant dans le magasin. Si beaucoup de ces attestations évoquent notamment le comportement qu'elle aurait eu auprès de M. D..., caissier, la seule circonstance que ce dernier a attesté ne pas avoir subi " de gestes déplacés ou d'allusions de caractère sexuel " de la part de Mme B... ne suffit pas à ôter toute valeur aux autres déclarations faites par ces témoins. Celles-ci sont précises et multiples, et rien ne permet de conclure qu'elles émanent de personnes ayant nourri une rancœur quelconque à l'encontre de l'intéressée pour un autre motif. Elles viennent en réalité étayer les déclarations faites par deux victimes directes du comportement de la requérante. D'une part, M. E..., caissier, a indiqué que Mme B... faisait très régulièrement des allusions sexuelles dans ses conversations, avait à plusieurs reprises fait des commentaires sur ses fesses, lui avait caressé le bras, et l'avait dirigé vers un site où figurait des photos d'elle en tenue légère. D'autre part, M. A..., livreur employé par la société Star-Service a témoigné auprès de l'inspectrice du travail de ce que Mme B... lui avait fait des avances par téléphone et avait eu, à plusieurs reprises des gestes déplacés, le conduisant à demander à son employeur de l'affecter sur un autre magasin. Cette demande a été confirmée par une attestation de son responsable. Dès lors, la ministre n'a pas entaché sa décision d'erreur d'appréciation en estimant que Mme B... avait fait subir aux salariés de sexe masculin de l'entreprise Monoprix ou des entreprises sous-traitantes " des attouchements, attitudes et réflexions à caractère sexuel non désirés " et en concluant que ce comportement, qui relève à tout le moins du harcèlement sexuel comme elle l'indique, justifiait à lui seul, de par sa gravité, le licenciement de l'intéressée.
11. Mme B... fait valoir qu'elle s'est mobilisée dans le cadre de son mandat, notamment à l'arrivée de la nouvelle directrice de l'établissement, et que sa collègue, également licenciée à la suite de la même pétition, est aussi investie d'un mandat de représentation et appartient au même syndicat qu'elle. Toutefois, il ne résulte pas de ces circonstances, eu égard aux éléments exposés ci-dessus au point 10, que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec l'exercice de son mandat.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la ministre en charge du travail du 17 novembre 2021 ayant autorisé son licenciement.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions au bénéfice de la SAS Monoprix Exploitation.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la SAS Monoprix Exploitation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, et à la SAS Monoprix Exploitation.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 janvier 2025.
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N° 24MA00305
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