Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 16 janvier 2020 par laquelle le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a refusé de reconnaître comme imputable au service la blessure qu'il a reçue le 9 septembre 2018 et d'enjoindre au préfet de la zone de défense et de sécurité Sud de procéder à un nouvel examen de sa demande.
Par un jugement n° 2001848 du 22 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 17 janvier 2023 et le 8 janvier 2025, M. D..., représenté par Me Benhamou, demande à la Cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 22 décembre 2022 ;
2°) d'annuler cette décision du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud du 16 janvier 2020 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser l'intégralité de ses salaires manquants compte tenu de son placement à demi-traitement entre le mois de juillet 2019 et le mois de septembre 2021 ainsi que l'intégralité des congés annuels qui n'ont pas été décomptés du fait de l'absence de reconnaissance de blessure en service, sur la période comprise entre le 9 septembre 2018 et le mois de septembre 2021 date de reprise à temps plein de l'intéressé ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué, qui reprend les erreurs de fait affectant la décision litigieuse, n'est pas suffisamment motivé ;
- la décision en litige a été prise par une autorité incompétente, faute pour la délégation de signature produite de préciser son objet, son étendue et d'être publiée ;
- cette mesure n'est pas motivée, en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- en considérant, pour rejeter sa demande, qu'il s'est prévalu de sa qualité de policier après l'agression dont il a été victime, le préfet a commis une erreur de fait ;
- son accident est présumé imputable au service puisque, d'une part, il est intervenu verbalement pour mettre fin à la prise à partie d'un individu par deux autres, et d'autre part, il s'est prévalu de sa qualité de fonctionnaire de police au cours de l'agression qu'il a subie, et alors que le préfet de police de Paris a reconnu imputable au service l'agression subie au même moment par son frère, également policier et que les circonstances particulières invoquées par le ministre ne sont pas établies ;
- la décision méconnaît le principe constitutionnel d'égalité entre fonctionnaires.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2024, le ministre de l'intérieur et des
outre-mer, conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que :
- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;
- sa connaissance de l'établissement de nuit qu'il fréquentait, et son niveau d'alcoolémie constituent des circonstances particulières détachant l'agression du service et traduisent de sa part un manque de discernement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Benhamou, représentant M. D....
Considérant ce qui suit :
1. Le 9 septembre 2018, M. D..., gardien de la paix affecté au commissariat de police du deuxième arrondissement de Marseille, a été victime de coups de feu et d'agressions physiques alors qu'il sortait d'un établissement de nuit, situé dans le même arrondissement, avec son frère, également policier, quant à lui en poste en région parisienne. Le 5 octobre 2018, M. D... a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette agression. Mais par une décision du 16 janvier 2020, prise après avis défavorable de la commission de réforme du 19 décembre 2019, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a rejeté sa demande. Par un jugement du 22 décembre 2022, dont M. D... relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit enjoint au préfet de zone de procéder à un nouvel examen de sa demande d'imputabilité.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En indiquant qu' " il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport établi le 6 novembre 2018 par la capitaine de police, cheffe du commissariat du 2ème arrondissement de Marseille, comme de la déposition du 8 octobre 2018 effectuée par l'intéressé, que la blessure par balle est survenue à un moment de l'altercation où le requérant n'avait pas encore exposé sa carte professionnelle, qu'il n'a montrée qu'ultérieurement pour tenter d'obtenir l'aide de tiers en vue d'interpeller ses agresseurs ", le tribunal a suffisamment motivé son jugement en ce qui concerne la détermination du moment, au cours de son agression, auquel M. D... s'est prévalu de sa qualité de policier. Le moyen de l'intéressé tiré de l'insuffisance de motivation du jugement pris dans cette mesure est donc à écarter.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, Mme B... A..., directrice des ressources humaines, a reçu du préfet de la zone de défense et de sécurité Sud, par un arrêté du 12 septembre 2019, publié au recueil des actes de l'Etat n° 13-2019-22 du 14 septembre 2019, délégation, en cas d'absence ou d'empêchement de M. Codaccioni, secrétaire général adjoint pour l'administration du ministère de l'intérieur de la zone de défense et de sécurité Sud, pour signer tous arrêtés, décisions, lettres et notes établis par la direction des ressources humaines, notamment pour la gestion administrative et financière des personnels de la police nationale. Le moyen tiré par M. D..., qui ne conteste pas l'absence ou l'empêchement du secrétaire général adjoint pour l'administration du ministère de l'intérieur de la zone de défense et de sécurité Sud, de l'incompétence du signataire de l'arrêté en litige, pour cause de défaut de délégation de signature, suffisamment précise quant à son objet et à son étendue, ne peut dès lors qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, il y a lieu d'écarter le moyen tiré par M. D... du défaut de motivation de l'arrêté en litige, par adoption des motifs retenus à bon droit et avec suffisamment de précision par les premiers juges, au point 3 de leur jugement.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, dans sa rédaction en vigueur au jour de l'accident dont M. D... demande de reconnaître l'imputabilité au service : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 35./Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ;(...)". L'article 19 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale précise, en outre, que : " Le fonctionnaire actif des services de la police nationale a le devoir d'intervenir de sa propre initiative pour porter aide à toute personne en danger, pour prévenir ou réprimer tout acte de nature à troubler la sécurité et l'ordre publics et protéger l'individu et la collectivité contre les atteintes aux personnes et aux biens. / Ses obligations ne disparaissent pas après l'accomplissement des heures normales de service ; il doit notamment déférer aux réquisitions qui lui sont adressées. / Dans tous les cas où le fonctionnaire intervient en dehors des heures normales de service soit de sa propre initiative, soit en vertu d'une réquisition, il est considéré comme étant en service ". L'article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure dispose que : " Lorsque les circonstances le requièrent, le policier ou le gendarme, même lorsqu'il n'est pas en service, intervient de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger.". Et l'article 113-3 de l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi de la police nationale ajoute que :
" Les fonctionnaires actifs de la police nationale sont tenus, même lorsqu'ils ne sont pas en service, d'intervenir de leur propre initiative pour porter assistance à toute personne en danger, pour prévenir ou réprimer tout acte de nature à troubler l'ordre public et protéger l'individu et la collectivité contre les atteintes aux personnes et aux biens. Tout accident ou blessure survenus en de telles circonstances sont considérés comme intervenus en service ".
6. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service, le caractère d'un accident de service.
7. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement de la déclaration d'accident établie par M. D... le 5 octobre 2018, dans les mêmes termes que celle de son frère, et confirmée par son rapport du 8 octobre 2018, que si ce n'est qu'après avoir essuyé des coups de feu, qui ont blessé le requérant à la cuisse droite et son frère au thorax, que ceux-ci ont présenté leurs cartes professionnelles de policiers, notamment aux agents de sécurité de l'établissement de nuit devant lequel l'agression a eu lieu pour que ceux-ci leur viennent en aide, M. D... a ensuite été l'objet de coups et de jets de mobiliers par d'autres individus également présents sur les lieux, lorsque son frère et lui tentaient d'appréhender leurs agresseurs. Or, d'une part, il ne résulte d'aucune des dispositions législatives et réglementaires applicables aux missions et obligations des fonctionnaires actifs de la police nationale, que leur intervention, de leur propre initiative, destinée à prévenir ou réprimer tout trouble à l'ordre public, même lorsqu'ils ne sont pas en service, devrait être précédée en toute circonstance de la déclinaison de leur identité professionnelle. Il n'est pas contesté que M. D..., ainsi qu'il le déclare, est intervenu avec son frère, en sortant de l'établissement de nuit, vers 5 heures, verbalement dans un premier temps pour calmer les esprits de deux individus ayant pris à partie une troisième personne. Cette intervention, bien que réalisée en dehors des heures normales de service, doit ainsi être considérée, en application des dispositions réglementaires citées au point 5, comme en service, eu égard à sa finalité, alors même qu'à cette occasion M. D... n'a pas décliné sa qualité de policier. D'autre part et en tout état de cause, M. D... a sollicité l'imputabilité au service de cette agression au titre non seulement de sa blessure par balle, mais également des lésions et contracture paravertébrale dues aux coups et jets de mobiliers, et commis après qu'il a fait état de sa qualité de policier. Par suite, pour refuser de faire droit à la demande de M. D... tendant à la reconnaissance de l'imputabilité au service de son agression, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud ne pouvait, sans commettre une erreur de fait et une erreur d'appréciation, considérer que l'agent n'avait fait état de sa qualité de policier qu'après cette agression.
8. Néanmoins, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport de la cheffe du commissariat du deuxième arrondissement de Marseille du 6 novembre 2018, et du rapport du directeur départemental de la sécurité publique des Bouches-du-Rhône du 16 avril 2019, et il n'est du reste pas sérieusement contesté, que l'établissement de nuit dans lequel s'était rendu M. D... et son frère, tous deux policiers, et situé dans l'arrondissement de Marseille d'affectation du requérant, était défavorablement connu des services de police et qu'au moment de son intervention, M. D... présentait un taux d'alcoolémie de 1, 59 g /l, et pour cette raison ne se rappelait pas précisément les circonstances de l'agression lors de ses premières déclarations à la police. Dans de telles circonstances, le fait pour M. D... d'avoir pris l'initiative d'intervenir pour mettre fin à un trouble à l'ordre public alors qu'il se trouvait sous l'empire d'un état alcoolique, et n'était pas en pleine possession de sa faculté de discernement, constitue de sa part, une faute personnelle, détachable du service, ainsi que le soutient le ministre de l'intérieur pour la première fois en cause d'appel. L'agression dont il a été victime le 9 septembre 2018 ne peut donc pour cette raison présenter le caractère d'un accident de service, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le préfet de police de Paris a reconnu l'imputabilité au service de cette agression en ce qui concerne le frère du requérant. Un tel motif, qui est de nature à justifier légalement la décision de refus d'imputabilité au service de cet événement et sur le fondement duquel le préfet de zone aurait pris la même décision, peut par conséquent être substitué au motif qu'il a initialement retenu, une telle substitution ne privant pas M. D... d'une garantie procédurale.
10. Enfin, dès lors en tout état de cause qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le frère de M. D... présentait lors de leur agression le même degré d'imprégnation alcoolique et partant la même faculté de discernement que l'intéressé, la circonstance qu'à la différence de celui-ci, il a pu obtenir du préfet de police de Paris la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette agression n'est pas de nature à entacher la décision en litige d'une illégalité au regard du principe d'égalité entre fonctionnaires d'un même corps.
11. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 16 janvier 2020 refusant l'imputabilité au service de son agression et à ce qu'il soit enjoint au préfet de zone de réexaminer sa demande. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris ses prétentions pécuniaires, d'ailleurs nouvelles en appel, et ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.
N° 23MA001562