Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... et M. C... A... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision implicite par laquelle le grand port maritime de Marseille a refusé de faire droit à leur demande du 21 septembre 2021 tendant à la formalisation d'une convention d'occupation du domaine public pour un cabanon situé 44 plage de Carteau à Port Saint-Louis du Rhône et de condamner le grand port maritime de Marseille à leur verser la somme de 38 100 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'ils estimaient avoir subis.
Par un jugement n° 2200656 du 16 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé la décision implicite de refus de formalisation d'une convention d'occupation du domaine public, d'autre part, rejeté les conclusions indemnitaires présentées par MM. A... et, enfin, rejeté comme étant irrecevables les conclusions reconventionnelles présentées par le grand port maritime de Marseille tendant à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 3 301,66 euros, avec intérêts au taux légal au titre des redevances d'occupation non perçues au cours des années 2018 à 2022.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 16 juillet 2024, M. D... A... et M. C... A..., représentés par Me Vicquenault, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a rejeté leurs conclusions indemnitaires ;
2°) de condamner le grand port maritime de Marseille à leur verser la somme de 46 168,14 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis, avec intérêts au taux légal à compter de la réception de leur demande d'indemnisation et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du grand port maritime de Marseille le paiement d'une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est entaché d'irrégularité dès lors qu'il a omis de statuer sur le fondement de la responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques ;
- le grand port maritime de Marseille a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, à l'origine des préjudices matériel et moral dont ils demandent réparation.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 août 2024, le grand port maritime de Marseille, représenté par Me Morabito, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête de MM. A... ;
2°) de mettre à la charge solidaire de MM. A... le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vincent,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Olmier, substituant Me Morabito, pour le grand port maritime de Marseille.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A... a été autorisé à occuper temporairement une surface de 48 m² sur la berge Sud du canal Saint-Louis à Port Saint-Louis du Rhône (44 plage de Carteau) pour y construire un cabanon destiné à remiser des engins de pêche du 1er juillet 1958 au 30 juin 1963. Une convention a été signée le 15 janvier 2001 avec le port autonome de Marseille, pour une durée de 30 ans à compter du 1er janvier 1998, pour un usage d'habitation d'un cabanon d'une superficie de 82,62 m². M. B... A... étant décédé le 6 janvier 2012, ses héritiers, MM. D... et C... A..., ont adressé au grand port maritime de Marseille, par une lettre en date du 4 mai 2012 réceptionnée le 15 mai suivant, une demande de transfert de l'autorisation dont bénéficiait leur père. Par lettres et courriers électroniques datés des 30 octobre 2012, 3 avril 2015, 10 juillet 2015, 13 juillet 2017, 3 avril 2019, 12 juin 2020 et 12 février 2021, le grand port maritime les a informés qu'il ne pouvait être donné suite à leur demande de transfert dans l'attente de la procédure de délimitation, par l'Etat, du domaine public maritime. Par une lettre en date du 21 septembre 2021, MM. A... ont, par l'intermédiaire de leur conseil, demandé au grand port maritime de Marseille de formaliser une convention d'occupation du domaine public. Par une lettre en date du 24 janvier 2022, ils ont également adressé à celui-ci une demande indemnitaire tendant à la réparation des préjudices matériel et moral qu'ils estiment avoir subis. Des décisions implicites de rejet sont nées sur ces demandes. Par un jugement n° 2200656 du 16 mai 2024, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, annulé la décision implicite de refus de formalisation d'une convention d'occupation du domaine public, d'autre part, rejeté les conclusions indemnitaires présentées par MM. A... et, enfin, rejeté comme étant irrecevables les conclusions reconventionnelles présentées par le grand port maritime de Marseille tendant à la condamnation des requérants à lui verser la somme de 3 301,66 euros, avec intérêts au taux légal, au titre des redevances d'occupation dues au titre des cinq dernières années. MM. A... interjettent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions indemnitaires. Le grand port autonome de Marseille ne forme pas d'appel incident.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article L. 2122-6 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre. / Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans le présent paragraphe, les prérogatives et obligations du propriétaire (...) ". Aux termes de l'article L. 2122-7 du même code dans sa rédaction alors applicable : " Le droit réel conféré par le titre, les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier ne peuvent être cédés, ou transmis dans le cadre de mutations entre vifs ou de fusion, absorption ou scission de sociétés, pour la durée de validité du titre restant à courir, y compris dans le cas de réalisation de la sûreté portant sur lesdits droits et biens et dans les cas mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 2122-8, qu'à une personne agréée par l'autorité compétente, en vue d'une utilisation compatible avec l'affectation du domaine public occupé. / Lors du décès d'une personne physique titulaire d'un titre d'occupation constitutif de droit réel, celui-ci peut être transmis, dans les conditions mentionnées à l'alinéa précédent, au conjoint survivant ou aux héritiers sous réserve que le bénéficiaire, désigné par accord entre eux, soit présenté à l'agrément de l'autorité compétente dans un délai de six mois à compter du décès ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 2122-22 dudit code : " La transmission à l'héritier des immeubles mentionnés à l'article L. 2122-7 et du droit réel sur le domaine public dont était titulaire une personne physique est subordonnée à l'agrément du pétitionnaire par l'autorité qui a délivré ce titre ". Enfin, aux termes de l'article R. 2122-23 du même code : " La demande de l'agrément prévu à l'article R. 2122-22 est adressée à cette autorité compétente par pli recommandé avec demande d'avis de réception dans un délai de six mois à compter du décès. Elle comporte : 1° Les nom, prénoms, profession, nationalité et domicile du demandeur ; 2° Les documents établissant la consistance du droit réel sur le domaine public dont le défunt était titulaire à la date de son décès ; 3° Un acte de notoriété établissant la qualité du demandeur ; 4° Le cas échéant, un acte notarié ou enregistré établissant l'absence d'opposition des autres héritiers à la demande d'agrément ; 5° Des justifications de la capacité technique et financière du demandeur à être substitué au défunt dans les droits et obligations que ce dernier tenait, à la date de son décès, du droit réel dont il était titulaire à cette date. / Si le demandeur envisage de modifier l'utilisation de l'immeuble, sa demande en fait état avec toutes justifications appropriées, notamment compte tenu de l'affectation de cet immeuble au domaine public. / Le silence gardé, pendant un délai de trois mois à compter de la date de réception de la demande, par l'autorité compétente vaut agrément de la transmission du droit réel dont le défunt était titulaire à la date de son décès et, le cas échéant, de l'immeuble. / Toutefois, seul un agrément exprès peut autoriser le demandeur à modifier ultérieurement l'utilisation de l'immeuble ".
En ce qui concerne la faute :
3. Il résulte de l'instruction que, par une lettre en date du 4 mai 2012 réceptionnée le 15 mai suivant, soit dans le délai de six mois imparti par les dispositions précitées, MM. A... ont demandé le transfert de la convention d'occupation du domaine public dont était jusqu'alors bénéficiaire leur père. Il n'est pas contesté, par ailleurs, qu'ils avaient joint à cette demande l'ensemble des pièces requises par les dispositions de l'article R. 2122-23 du code général de la propriété des personnes publiques. Par suite, en application des dispositions de l'avant-dernier alinéa dudit article, ils étaient bénéficiaires, dès le 15 août 2012, d'un agrément les autorisant à occuper le domaine public. Il résulte cependant de l'instruction qu'alors qu'ils étaient bénéficiaires d'un tel agrément, le grand port maritime de Marseille leur a, par l'ambiguïté de ses multiples courriers, laissé penser, pendant dix années, et alors au demeurant qu'il n'a plus émis de titre exécutoire afférent à l'occupation de ce cabanon à compter de 2013, qu'ils ne bénéficiaient pas d'une telle autorisation. En n'informant pas les requérants, qu'en dépit d'une absence de formalisation d'une convention d'occupation temporaire du domaine public, ceux-ci étaient néanmoins bénéficiaires d'un agrément les autorisant à occuper ledit domaine et en les induisant ainsi en erreur, le grand port maritime de Marseille a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
En ce qui concerne les préjudices et le lien de causalité avec la faute :
4. En premier lieu, si les requérants sollicitent une indemnisation au titre des préjudices qu'ils ont subis du fait d'un squat de leur cabanon et de vols dans celui-ci entre janvier 2018 et juillet 2019, ce chef de préjudice, dont le montant n'est au demeurant nullement justifié, ne présente pas de lien de causalité avec la faute du grand port maritime de Marseille.
5. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les requérants n'ont pas été empêchés, malgré la mauvaise information qui leur a été donnée par le grand port maritime de Marseille, de se rendre sur les lieux. Il résulte d'ailleurs des factures d'eau et d'électricité produites que celles-ci font apparaître, même si elles sont peu importantes, des consommations. Il résulte également du procès-verbal de dépôt de plainte de M. C... A... en date du 30 mars 2019, que les requérants se sont rendus dans le cabanon au moins jusqu'en 2017. Cependant, ils sont fondés à prétendre à une indemnisation du fait du préjudice moral subi en raison de l'absence de jouissance paisible du bien. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire une juste appréciation du préjudice subi à ce titre par les requérants, qui ont été mal informés par le grand port maritime de Marseille pendant dix années, en condamnant ce dernier à leur verser la somme globale de 5 000 euros.
6. En dernier lieu, et en tout état de cause au regard de l'occupation précitée, MM. A... ne sont pas fondés à solliciter le remboursement de redevances d'occupation que le grand port maritime de Marseille serait susceptible de leur réclamer au titre des années d'occupation non facturées, dans la limite de la prescription quinquennale, ce préjudice présentant, en l'absence d'émission d'un titre exécutoire, un caractère purement éventuel.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par ledit jugement, le tribunal administratif de Marseille a, dans la mesure précitée, rejeté leurs conclusions indemnitaires.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
8. La somme de 5 000 euros sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception par le grand port maritime de Marseille de la demande indemnitaire en date du 24 janvier 2022.
9. La capitalisation des intérêts a été demandée le 16 juillet 2024, date d'introduction de la requête d'appel. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date.
Sur les frais d'instance :
10. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par le grand port maritime de Marseille doivent, dès lors, être rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du grand port maritime de Marseille le paiement de la somme globale de 2 000 euros qui sera versée à MM. A... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2200656 du tribunal administratif de Marseille du 16 mai 2024 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par MM. A....
Article 2 : Le grand port maritime de Marseille est condamné à verser à MM. A... la somme globale de 5 000 euros. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la réception, par le grand port maritime de Marseille, de la demande indemnitaire du 24 janvier 2022. Les intérêts échus à la date du 16 juillet 2024 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le grand port maritime de Marseille versera à MM. A... la somme globale de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à M. C... A... et au grand port maritime de Marseille.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2025, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 avril 2025.
N° 24MA01839 2
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