Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Solotra Hermann a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 14 septembre 2015 par laquelle l'inspectrice du travail a refusé d'autoriser le licenciement de M. C... E..., ensemble la décision implicite et la décision expresse du 13 mai 2016 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social portant rejet de son recours hiérarchique.
Par un jugement n° 1601397 du 3 avril 2018, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 1er juin 2018, et un mémoire complémentaire, enregistré le 13 décembre 2019, la société Solotra Hermann, représentée par Me B..., doit être regardée comme demandant à la cour :
1°) d'annuler jugement n° 1601397 du 3 avril 2018 du tribunal administratif de Nancy ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 14 septembre 2015, ensemble la décision expresse du 13 mai 2016 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, portant rejet de son recours hiérarchique ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement de première instance est insuffisamment motivé ;
- le principe du contradictoire et le respect des droits de la défense ont été méconnus ;
- les décisions attaquées sont entachées d'un vice de procédure dès lors que l'inspectrice du travail, qui a eu un rôle de conseil du salarié protégé et qui est intervenue dans la réalisation des faits reprochés, n'était pas impartiale ;
- l'extrême gravité des propos tenus et leur impact sur les autres salariés justifiaient l'autorisation de licenciement sollicitée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 juin 2018, M. C... E..., représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la requérante de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par la société Solotra Hermann ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 décembre 2019, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens invoqués par la société Solotra Hermann ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Seibt, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., substituant Me B..., pour la société Solotra Hermann et de Me A... pour M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Spécialisée dans le domaine de l'affrètement et de l'organisation des transports, la société Solotra Hermann a recruté M. C... E... le 6 avril 1998 en qualité de chauffeur manutentionnaire, d'abord sur la base d'un contrat à durée déterminée, puis, à compter du 1er août 1998, sur la base d'un contrat à durée indéterminée. Ce dernier y bénéficie de la protection attachée à ses mandats représentatifs de délégué syndical, de délégué du personnel, de membre du comité d'entreprise, de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de conseiller prud'homal. Reprochant à son salarié d'avoir, le 18 mai 2015, rédigé et diffusé un tract syndical, dont le contenu présentait un caractère injurieux et diffamatoire à l'égard d'un autre salarié de l'entreprise, son employeur a sollicité auprès de l'inspection du travail, le 13 juillet 2015, l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Par une décision du 14 septembre 2015, l'inspectrice du travail par intérim de la 11ème section de l'unité de contrôle à l'unité territoriale des Vosges a refusé de faire droit à cette demande. Par un courrier du 12 novembre 2015, reçu le 16 novembre suivant, la société Solotra Hermann a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Par une décision expresse du 13 mai 2016, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a confirmé la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, intervenue le 16 mars 2016. La société Solotra Hermann a saisi le tribunal administratif de Nancy d'une demande tendant à l'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 14 septembre 2015 et de la décision du ministre du 13 mai 2016, qui s'est substituée à la décision implicite de rejet du recours hiérarchique. Elle relève appel du jugement n° 1601397 du 3 avril 2018 qui rejette sa demande et met à sa charge le versement à M. E... de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement de première instance :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que les premiers juges, au point 3 de leur jugement, ont non seulement indiqué que " le seul exercice de sa mission de conseil d'un salarié exerçant des fonctions représentatives ne faisait pas obstacle à ce que l'inspectrice du travail se prononce ensuite sur la demande d'autorisation de licenciement de ce salarié, dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle a pris publiquement position sur le litige opposant M. E... à son employeur ", mais également souligné que, " dans ces conditions, la circonstance que l'inspectrice du travail a conseillé à M. E... de ne pas diffuser le tract syndical qu'il lui avait soumis pour avis et d'en modifier le contenu ne suffit pas à établir que la procédure aurait été menée en violation du principe d'impartialité ". Ils ont ainsi répondu au moyen tiré de la méconnaissance par l'inspectrice du travail du principe d'impartialité et suffisamment motivé leur jugement sur ce point. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que ce jugement serait entaché d'irrégularité pour ce motif.
3. En second lieu, si la requérante fait valoir que " le défaut d'accès à ce rapport constituait une violation du contradictoire et du respect des droits de la défense qui devait conduire là encore à censure ", elle ne précise pas le rapport auquel elle n'aurait pas pu accéder. Dans ces conditions, un tel moyen n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre à la cour d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, il ne peut être accueilli.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. En premier lieu, contrairement aux allégations de la société Solotra Hermann, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspectrice du travail a participé à la réalisation des faits reprochés au salarié, dès lors qu'elle n'a contribué, ni à la rédaction, ni à la diffusion du tract litigieux. Tout au plus, s'est-elle bornée à conseiller à M. E... de ne pas le diffuser et d'en modifier le contenu. En outre, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que l'inspectrice du travail aurait pris publiquement position sur le litige opposant M. E... à son employeur avant de rejeter la demande de licenciement du salarié. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision du 14 septembre 2015 serait entachée d'un vice de procédure en raison du défaut d'impartialité de l'inspectrice du travail.
4. En second lieu, en vertu des dispositions pertinentes du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
5. Il ressort des pièces du dossier que, le 18 mai 2015, M. E... a rédigé un tract syndical dont le contenu était manifestement injurieux et diffamatoire à l'égard d'un autre salarié de l'entreprise et qu'il l'a communiqué pour avis, avant de procéder à une plus large diffusion, à une dizaine de salariés de son entreprise et à l'inspection du travail. La rédaction et la communication d'un tel document, qui excède le cadre de la polémique syndicale, présentent un caractère fautif. Toutefois, eu égard à l'absence d'antécédents disciplinaires de l'intéressé, au caractère limité de la diffusion du tract, à la circonstance que les passages litigieux ont, sur les conseils de l'inspectrice du travail, immédiatement été retirés et au contexte de conflit social opposant la direction de l'entreprise à une partie des salariés, les faits reprochés à M. E... ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier une mesure de licenciement. Par suite et alors que le salarié a d'ailleurs été relaxé des poursuites pénales engagées à son encontre par un jugement du tribunal correctionnel d'Epinal du 10 décembre 2015, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Nancy du 16 décembre 2016, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Solotra Hermann n'est fondée, ni à demander l'annulation des décisions en litige, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la requérante le versement à M. E... de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Solotra Hermann est rejetée.
Article 2 : La société Solotra Hermann versera à M. E... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Me B... pour la société Solotra Hermann et à Me A... pour M. C... E... en application des dispositions de l'article 13 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée et à la ministre du travail.
N° 18NC01628 2