Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... M... veuve D..., M. N... D..., Mme H... D..., M. I... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à leur verser la somme totale de 1 057 828,07 euros en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès, le 10 avril 2012, de M. L... D....
La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, mise en cause, a demandé à ce tribunal de condamner le centre hospitalier régional universitaire de Nancy à lui verser la somme de 11 686,22 euros en remboursement de ses débours et au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a conclu à sa mise hors de cause et subsidiairement à ce que soit ordonnée une expertise complémentaire.
Par un jugement n° 1601634 du 5 avril 2018, le tribunal administratif de Nancy a condamné, d'une part, l'ONIAM à verser à Mme C... D... une somme de 211 321,57 euros, à Mme H... D..., à M. N... D..., à M. B... D... et à M. I... D... une somme de 5 850 euros chacun, d'autre part, le CHRU de Nancy à verser à Mme C... D... une somme de 24 319,74 euros, sous déduction de la provision versée de 12 500 euros, à Mme H... D..., à M. N... D..., à M. B... D... et à M. I... D... une somme de 650 euros chacun, enfin à la CPAM de Meurthe-et-Moselle une somme de 256,36 euros au titre de ses débours et de 106 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour :
I.- Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 18NC01623, le 31 mai 2018, le 3 août 2018 et le 24 mai 2019, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 avril 2018 et, à titre principal, de le mettre hors de cause ;
2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de rejeter les conclusions incidentes des consorts D... ;
4°) de mettre les dépens à la charge de la partie perdante.
Il soutient que :
- le décès de M. D... est dû à une faute du CHRU de Nancy qui a décidé, malgré l'absence d'urgence, de réaliser l'intervention chirurgicale le 9 avril 2012 et, partant, d'utiliser comme curare la célocurine à l'origine du choc anaphylactique dont il a été victime ;
- la responsabilité du CHRU de Nancy peut également être engagée en raison d'un mauvais fonctionnement du service ;
- il est contradictoire de considérer que le patient aurait pu éviter l'intervention chirurgicale s'il avait été informé des risques tout en estimant qu'il existait une urgence vitale à opérer ;
- le tribunal a fait une juste appréciation des préjudices subis par les ayants droit de M. D....
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2018, Mme C... M... veuve D..., M. N... D..., Mme H... D..., M. I... D... et M. B... D..., représentés par Me Joffroy, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du 5 avril 2018 ;
2°) de condamner le CHRU de Nancy à verser à Mme C... D... la somme totale de 982 882 euros, à M. N... D... et Mme H... D... la somme de 22 000 euros chacun et à M. I... D... et M. B... D... la somme de 15 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de M. L... D... ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
4°) à titre infiniment subsidiaire de réformer le jugement du 5 avril 2018 en condamnant le CHRU de Nancy et l'ONIAM à verser à Mme C... D... la somme totale de 982 882 euros, à M. N... D... et à Mme H... D... la somme de 22 000 euros chacun et à M. I... D... et à M. B... D... la somme de 15 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de M. L... D... ;
5°) de mettre à la charge du CHRU de Nancy la somme de 7 000 euros à Mme C... D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le CHRU de Nancy a commis une faute d'imprudence en l'absence d'urgence à opérer M. D... ; des antalgiques auraient pu lui être administrés pour calmer la douleur ;
- les rapports médicaux produits par le CHRU de Nancy ne sont pas de nature à remettre en cause l'expertise ;
- le risque d'une cellulite infectieuse n'est pas établi et, en outre, le diagnostic était incomplet au moment où M. D... a été conduit au bloc opératoire ;
- les choix effectués par le CHRU de Nancy sont à l'origine du dommage, même si le choc anaphylactique constitue un aléa ;
- la faute du CHRU ne lui a pas seulement fait perdre une chance d'échapper au risque qui s'est réalisé ; elle est la cause du décès de M. D... ;
- si la perte de chance devait être retenue, elle serait de 100 % ;
- il n'est pas établi que M. D... a reçu une information concernant le risque d'un choc anaphylactique lié à l'utilisation du curare ;
- Mme C... D... a supporté les frais funéraires de 4 946,07 euros, son préjudice d'affection est évalué à 35 000 euros et son préjudice financier est estimé à 947 882 euros ou au moins 577 111,15 euros ;
- le préjudice d'affection des parents de M. D... et de ses deux frères est évalué respectivement à 22 000 et 15 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2018, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucune faute n'a été commise concernant le choix thérapeutique dès lors qu'une intervention chirurgicale, sous anesthésie, s'imposait dans les plus brefs délais ; l'urgence justifiait d'opérer sans reporter l'opération au lendemain ;
- l'intervention en urgence constituait un choix thérapeutique conforme aux données médicales et scientifiques compte tenu des circonstances ;
- la procédure d'anesthésie retenue, indépendamment du choix d'opérer le patient en urgence, s'imposait tant pour l'intubation que l'anesthésiant utilisé ;
- le rapport bénéfices/risques n'était pas défavorable au patient ;
- il ressort du rapport d'expert que l'obligation d'information a été remplie ; en tout état de cause, la perte de chance ne saurait excéder 10 % ;
- une nouvelle expertise ne se justifie pas compte tenu des avis de différents experts.
II.- Par une requête, enregistrée sous le n° 18NC01667 le 5 juin 2018, complétée par un mémoire, enregistré le 6 juin 2018, Mme C... D..., M. N... D..., Mme H... D..., M. I... D... et M. B... D..., représentés par Me Joffroy, demandent à la cour :
1°) de réformer le jugement du 5 avril 2018 ;
2°) à titre principal de condamner le CHRU de Nancy à verser à Mme C... D... la somme totale de 982 882 euros, à M. N... D... et Mme H... D... la somme de 22 000 euros chacun et à M. I... D... et M. B... D... la somme de 15 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de M. L... D... ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
4°) à titre infiniment subsidiaire, de réformer le jugement du 5 avril 2018 en condamnant le CHRU de Nancy et l'ONIAM à verser à Mme C... D... la somme totale de 982 882 euros, à M. N... D... et Mme H... D... la somme de 22 000 euros chacun et à M. I... D... et M. B... D... la somme de 15 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils ont subi du fait du décès de M. L... D... ;
5°) de mettre à la charge du CHRU de Nancy la somme de 7 000 euros à verser à Mme C... D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le CHRU de Nancy a commis une faute d'imprudence en l'absence d'urgence à opérer M. D... ; des antalgiques auraient pu lui être administrés pour calmer la douleur ;
- les rapports médicaux produits par le CHRU de Nancy ne sont pas de nature à remettre en cause l'expertise ;
- le risque d'une cellulite infectieuse n'est pas établi et en outre le diagnostic était incomplet au moment où M. D... a été conduit au bloc opératoire ;
- les choix effectués par le CHRU de Nancy sont à l'origine du dommage, même si le choc anaphylactique constitue un aléa ;
- la faute du CHRU ne lui a pas seulement fait perdre une chance d'échapper au risque qui s'est réalisé ; elle est la cause du décès de M. D... ;
- si la perte de chance devait être retenue, elle serait de 100 % ;
- il n'est pas établi que M. D... a reçu une information concernant le risque d'un choc anaphylactique lié à l'utilisation du curare ;
- Mme C... D... a supporté les frais funéraires de 4 946,07 euros, son préjudice d'affection est évalué à 35 000 euros et son préjudice financier est estimé à 947 882 euros ou au moins 577 111,15 euros ;
- les préjudices d'affection des parents de M. D... et de ses deux frères sont évalués respectivement à 22 000 et 15 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 novembre 2018, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- aucune faute n'a été commise concernant le choix thérapeutique dès lors qu'une intervention chirurgicale, sous anesthésie, s'imposait dans les plus brefs délais ;
- l'intervention en urgence constituait un choix thérapeutique conforme aux données médicales et scientifiques compte tenu des circonstances ;
- la procédure d'anesthésie retenue, indépendamment du choix d'opérer le patient en urgence, s'imposait tant pour l'intubation que l'anesthésiant utilisé ;
- le rapport bénéfices/risques n'était pas défavorable au patient ;
- il ressort du rapport d'expert que l'obligation d'information a été remplie ; en tout état de cause, la perte de chance ne saurait excéder 10 % ;
- le tribunal n'a pas sous-estimé les préjudices des requérants.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 août 2018 et le 20 décembre 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Saumon, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 avril 2018 et, à titre principal, de le mettre hors de cause ;
2°) à titre subsidiaire d'ordonner une expertise ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de rejeter la requête d'appel des consorts D... ;
4°) de mettre les dépens à la charge de la partie perdante.
Il soutient que :
- le décès de M. D... est dû à une faute du CHRU de Nancy qui a décidé, malgré l'absence d'urgence, de réaliser l'intervention chirurgicale le 9 avril 2012 et partant d'utiliser la célocurine à l'origine du choc anaphylactique dont il a été victime ;
- la responsabilité du CHRU de Nancy peut également être engagée en raison d'un mauvais fonctionnement du service ;
- il est contradictoire de considérer que le patient aurait pu éviter l'intervention chirurgicale s'il avait été informé des risques tout en estimant qu'il existait une urgence vitale à opérer ;
- le tribunal a fait une juste appréciation des préjudices subis par les ayants-droit de M. D....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Barteaux,
- les conclusions de Mme Haudier, rapporteur public,
- et les observations de Me Lipp pour les consorts D....
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., né en 1978, s'est présenté le 9 avril 2012, en raison de douleurs, depuis deux jours, au niveau de la cuisse gauche, au service des urgences du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy. Constatant la présence d'un abcès de la face postéro-interne de la cuisse gauche, les médecins ont préconisé en urgence une intervention chirurgicale. Pour éviter un risque de régurgitation, l'anesthésiste a décidé de procéder à une anesthésie générale avec intubation en séquence rapide nécessitant l'utilisation de la célocurine, curare recommandé lorsque le patient, comme en l'espèce, n'est pas à jeun. Dans les suites immédiates de l'anesthésie, M. D... a présenté un choc anaphylactique, entraînant un arrêt cardio-respiratoire puis, en dépit de tentatives de réanimation, son décès le 10 avril 2012 vers 2 heures du matin. Saisie par l'épouse du défunt, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Meurthe-et-Moselle a désigné un expert, spécialisé en anesthésie-réanimation, qui, dans son rapport déposé le 10 juillet 2015, a conclu à une faute d'imprudence du CHRU de Nancy, consistant à avoir privilégié l'intervention chirurgicale immédiate, en l'absence d'urgence, nécessitant l'emploi du curare à l'origine du choc anaphylactique. La CRCI a retenu la responsabilité du CHRU de Nancy et l'a invité à proposer une indemnisation. L'assureur du CHRU de Nancy ayant refusé de faire une offre d'indemnisation, Mme D..., les parents et les deux frères de M. D... ont demandé au tribunal administratif de Nancy de condamner le CHRU de Nancy à les indemniser des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M. L... D.... La caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle, mise en cause, a également demandé à ce tribunal de condamner le CHRU de Nancy à lui rembourser ses débours. L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), mis en cause par le tribunal, a conclu à sa mise hors de cause et subsidiairement à ce que soit ordonnée une expertise complémentaire.
2. Par un jugement du 5 avril 2018, dont l'ONIAM et les consorts D... font appel, le tribunal administratif de Nancy a condamné, d'une part, l'ONIAM à verser à Mme C... D... une somme de 211 321,57 euros, à Mme H... D..., à M. N... D..., à M. B... D... et à M. I... D... une somme de 5 850 euros chacun, d'autre part, le CHRU de Nancy à verser à Mme C... D... une somme de 24 319,74 euros, sous déduction de la provision versée de 12 500 euros, à Mme H... D..., à M. N... D..., à M. B... D... et à M. I... D... une somme de 650 euros chacun, enfin à la CPAM de Meurthe-et-Moselle une somme de 256,36 euros au titre de ses débours et de 106 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Sur les conclusions tendant à la réalisation d'une nouvelle expertise :
3. Le rapport d'expertise établi par l'expert désigné par la CRCI et les autres documents médicaux produits par les parties, dont elles ont pu débattre, sont de nature à permettre à la cour d'apprécier si le CHRU de Nancy a commis une faute dans la prise en charge de M. D... et si les préjudices des consorts D... sont de nature à leur ouvrir droit à une réparation au titre de la solidarité nationale. Dans ces conditions, une nouvelle mesure d'expertise ne présenterait pas d'utilité.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la responsabilité du CHRU de Nancy :
S'agissant des fautes invoquées à l'encontre du centre hospitalier :
4. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute ".
5. Les requérants, qui ne remettent pas en cause l'indication opératoire de l'abcès et la procédure d'anesthésie par intubation avec l'emploi de la célocurine en l'absence d'estomac vide, font valoir qu'en décidant de procéder immédiatement à l'intervention chirurgicale le 9 avril 2012, en l'absence d'urgence vitale ou fonctionnelle, comme l'a relevé l'expert désigné par la CRCI de Lorraine, nécessitant de recourir à la célocurine, curare préconisé en cas d'intubation à séquence rapide d'un patient qui, comme en l'espèce, n'était pas à jeun, et à l'origine du choc anaphylactique dont a été victime M. D..., le CHRU de Nancy a commis une faute d'imprudence.
6. Si l'expert désigné par la CRCI de Lorraine a estimé qu'il n'existait pas d'urgence vitale ou fonctionnelle à réaliser immédiatement cette intervention dès lors que des antalgiques auraient pu être prescrits à M. D... pour calmer la douleur et que l'indication d'une évacuation et d'un drainage de l'abcès en urgence a constitué une imprudence compte tenu " d'un taux de survenue d'accidents anaphylactiques graves bien connu ayant entraîné une restriction sévère des indications de la célocurine ", il résulte toutefois de l'instruction, notamment des avis d'experts sollicités par le CHRU de Nancy, que cette intervention en urgence se justifiait, en raison notamment de la prise d'ibuprofène en automédication par M. D... et de son surpoids créant un risque de cellulite infectieuse susceptible de compromettre son pronostic vital. Si un autre expert sollicité par les consorts D... estime que l'intervention n'était pas à réaliser dans le cadre d'une urgence vitale, l'attente pouvant être une solution alternative recommandable selon lui, il souligne qu'elle ne pouvait être différée qu'à la condition d'une surveillance étroite du patient.
7. De plus, si la célocurine présentait un taux de choc anaphylactique un peu plus élevé que d'autres curares, il résulte de l'instruction que l'autorisation de mise sur le marché préconisait son emploi dans le cadre de la procédure d'intubation dite d'induction en séquence rapide, en l'absence de substitut, et dans le cadre d'une intervention programmée de courte durée.
8. Enfin, si l'échographie demandée par l'un des médecins du CHRU de Nancy n'a pas pu être réalisée, il ne résulte pas de l'instruction que la réalisation de cet examen, dont l'objet était de déterminer l'étendue et la localisation de l'abcès, aurait été de nature à modifier le choix thérapeutique retenu eu égard au tableau clinique que présentait M. D... lors de son admission aux urgences et du risque infectieux.
9. Dans ces conditions, en décidant de procéder en urgence à l'évacuation de l'abcès et à son drainage, le CHRU de Nancy n'a pas commis de faute d'imprudence ou dans l'organisation des services de nature à engager sa responsabilité.
S'agissant de la perte de chance résultant d'un défaut d'information :
10. Les premiers juges ont estimé qu'il n'était pas établi que le CHRU de Nancy avait satisfait à son obligation d'information à l'égard de M. D... concernant le risque de choc anaphylactique en cas d'intubation en séquence rapide avec l'utilisation d'un curare et que ce manquement lui a fait perdre une chance de 10 % d'éviter le décès survenu. En l'absence de contestation des parties sur ce point, il y a lieu de confirmer cette faute et le taux de perte de chance.
En ce qui concerne les préjudices :
11. Les parties ne contestent pas que, comme l'a jugé le tribunal, l'accident médical dont a été victime M. D... ouvre droit à la réparation au titre de la solidarité nationale des préjudices subis par Mme D... et autres consécutifs au décès de M. D..., sous déduction de la part d'indemnité à la charge du CHRU de Nancy. La part de responsabilité incombant au CHRU de Nancy étant de 10 % ainsi qu'il a été indiqué au point 10, l'ONIAM est tenu de verser à Mme D... et autres une indemnité correspondant à 90 % de la réparation des préjudices qu'ils ont subis à la suite du décès de M. D....
S'agissant des préjudices de Mme D..., épouse de la victime :
12. Compte tenu de l'absence de contestation par l'ONIAM et le CHRU de Nancy, il y a lieu de confirmer l'évaluation des frais d'obsèques supportés par Mme D... à hauteur de 4 946,07 euros.
13. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Le préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affecté à l'entretien de la famille.
14. Il résulte de l'instruction qu'au début de l'année 2012 M. D... percevait un salaire d'un montant mensuel de 2 218 euros, soit un revenu annuel de 26 616 euros. Si Mme D... fait valoir que son défunt époux aurait pu percevoir un salaire mensuel de 3 500 euros, elle ne l'établit pas avec suffisamment de certitude. Les salaires perçus par Mme D... s'élevaient en 2012 à la somme annuelle de 34 273 euros. Par ailleurs, en retenant que la victime consommait une fraction de 40 % de ces revenus, le tribunal n'a pas fait une estimation excessive de cette part, en l'absence d'enfant. Ainsi, en déduisant cette part, soit 24 355,60 euros, du revenu disponible du foyer de 60 889 euros et en retirant de ce revenu celui de 34 273 euros de Mme D..., la perte annuelle de revenus de l'épouse est de 2 260,40 euros.
15. Pour la période comprise entre le décès de M. D... et le 23 juillet 2020, date du présent arrêt, soit une durée de 8 ans et 3 mois, le préjudice économique de Mme D... s'établit à la somme de 18 648,30 euros.
16. Pour la période future, compte tenu du barème de capitalisation de la Gazette du palais de 2018 fixant à 33,173 le coefficient à retenir pour M. D..., qui aurait eu 42 ans à la date de la liquidation, le préjudice s'établit à 79 984,25 euros. Par suite, le préjudice économique de Mme D... s'élève à la somme totale de 98 632,55 euros.
17. Il résulte de l'instruction que la CPAM a versé à Mme D... la somme de 8 075,62 euros au titre du capital décès. Par suite le préjudice économique qui n'a pas été entièrement réparé s'élève à la somme de 90 556,93 euros.
18. Compte tenu de la part de responsabilité incombant respectivement à l'ONIAM et au CHRU de Nancy, soit respectivement 90 % et 10 %, les indemnités leur incombant au titre du préjudice économique s'élèvent à 81 501,24 euros et 9 055,69 euros. Il s'ensuit que Mme D... n'est pas fondée à se plaindre de ce que le tribunal administratif a limité les sommes mises à la charge de l'ONIAM et du CHRU de Nancy à ce titre respectivement à 184 370,11 euros et 21 325,13 euros.
19. La CPAM n'ayant pas fait appel, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CHRU de Nancy une indemnité complémentaire à celle déjà accordée par les premiers juges au titre de ses débours.
20. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme D... à la suite du décès de son époux en portant la somme accordée par les premiers juges de 25 000 à 30 000 euros dont 27 000 euros sont mis à la charge de l'ONIAM et 3 000 euros sont mis à la charge du CHRU de Nancy.
S'agissant des préjudices d'affection subis par les parents et frères de M. D... :
21. Il ne résulte pas de l'instruction qu'en évaluant à la somme de 6 500 euros chacun l'indemnisation du préjudice d'affection subi par les deux frères de M. D... à la suite de son décès, les premiers juges auraient fait une insuffisante appréciation de ce chef de préjudice. En revanche, les premiers juges ont sous-évalué le préjudice des parents de M. D... en leur accordant la somme de 6 500 euros qu'il y a lieu de porter à 10 000 euros chacun.
22. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts D... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité, d'une part, aux sommes de 24 319,74 euros et 650 euros les indemnités mises à la charge du CHRU de Nancy à verser respectivement à Mme C... D... et à chacun des parents de M. D... qui doivent être portées à 24 819,74 euros, sous déduction de la somme de 12 500 euros allouée à titre de provision par le juge des référés du tribunal, et 1 000 euros et, d'autre part, aux sommes de 211 321,57 euros et 5 850 euros les indemnités mises à la charge de l'ONIAM respectivement à Mme C... D... et à chacun des parents de M. D... qui doivent être portée à 215 821,57 euros et 9 000 euros. En revanche, l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ne l'ont pas mis hors de cause.
Sur les dépens :
23. La présente instance n'a pas donné lieu à des dépens. Par suite, les conclusions présentées à ce titre doivent être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
24. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Nancy la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C... D... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les sommes de 211 321,57, 5 850 euros et 5 850 euros que l'ONIAM a été condamné à verser à Mme C... D..., à Mme H... D... et à M. N... D... sont portées respectivement à 215 821,57 euros, 9 000 euros et 9 000 euros.
Article 2 : Les sommes de 24 319,74 euros, 650 euros et 650 euros que le CHRU de Nancy a été condamné à verser à Mme C... D..., à Mme H... D... et à M. N... D... sont portées respectivement à 24 819,74 euros, sous déduction de la somme de 12 500 euros allouée à titre de provision par le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, 1 000 euros et 1 000 euros.
Article 3 : Le jugement n° 1601634 du tribunal administratif de Nancy du 5 avril 2018 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le CHRU de Nancy versera à Mme C... D... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier régional universitaire de Nancy et à la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe-et-Moselle.
N° 18NC01623, 18NC01667 2