Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
Le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, le syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et le syndicat CFDT Interco Moselle ont demandé chacun au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la délibération du 19 décembre 2017 par laquelle le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a réglementé l'exercice du droit de grève des sapeurs-pompiers professionnels exerçant au sein de cet établissement.
Par un jugement n° 1802839, 1803964 et 1804282 du 26 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé partiellement les dispositions des lettres d. et g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017, a mis à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle le versement au syndicat CFDT Interco Moselle de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 avril 2019, et un mémoire complémentaire, enregistré le 18 mai 2020, le service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Moselle, représenté par Me Keller, doit être regardé comme demandant à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1802839, 1803964 et 1804282 du tribunal administratif de Strasbourg du 26 février 2019 en tant qu'il a annulé partiellement les dispositions des lettres d. et g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017 et mis à sa charge le versement au syndicat CFDT Interco Moselle de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter les demandes présentées en première instance par le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, le syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et le syndicat CFDT Interco Moselle ;
3°) de mettre à la charge du syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, du syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et du syndicat CFDT Interco Moselle le versement d'une somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne comporte pas la signature manuscrite des membres de la formation de jugement ayant siégé lors de l'audience publique du 26 février 2019 ;
- les dispositions du dernier alinéa de la lettre d. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017, qui ne sont que conditionnelles, ne sont entachées d'aucune illégalité, dès lors que l'obligation de présentation sur le lieu de travail au premier rassemblement du matin pendant les jours de grève, qu'elles instituent, d'une part, lui permet de s'assurer de la présence d'un nombre suffisant d'agents afin de garantir la mise en place d'un service minimum effectif, d'autre part, ne concerne que les agents de garde et ceux n'ayant pas informé leur hiérarchie, quarante-huit heures avant, de leur intention de participer au mouvement de grève ;
- les dispositions des deux derniers alinéas de la lettre g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017 ne sont entachées d'aucune illégalité, dès lors que, d'une part, l'obligation faite aux agents de la garde descendante de demeurer en poste en fin de service jusqu'à ce que leur relève soit présente en unité, malgré leur souhait de se joindre au mouvement de grève, ne porte pas, compte tenu de la nécessité de maintenir opérationnel en toute circonstance un service de lutte contre l'incendie, une atteinte excessive au droit de grève et, d'autre part, le dépassement du volume horaire de travail, qui pourrait en résulter, se justifie au regard de l'exigence de continuité de ce service public.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 février 2020, le syndicat CFDT Interco Moselle, représenté par Me Cochereau, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mars 2020, le syndicat CGT des agents du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, représenté par Me Ponseele, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le requérant ne sont pas fondés.
La requête a été régulièrement communiquée au syndicat national des
sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle, qui n'a pas défendu dans la présente instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n°85-565 du 30 mai 1985 ;
- le décret n° 2001-1382 du 31 décembre 2001 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Meisse,
- les conclusions de M. Barteaux, rapporteur public,
- et les observations de Me Keller pour le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, de Me Ponseele pour le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle et de Me Cochereau pour le syndicat CFDT Interco Moselle.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 19 décembre 2017, publiée le 22 décembre suivant, le conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Moselle a adopté un règlement relatif à la mise en œuvre de l'exercice du droit de grève des sapeurs-pompiers professionnels exerçant au sein de cet établissement. Par trois courriers des 11 janvier, 8 février et 19 février 2018, le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, le syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et le syndicat CFDT Interco Moselle ont demandé chacun le retrait de cette délibération. Les 26 février et 27 avril 2018, le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle a refusé d'inscrire à l'ordre du jour du conseil d'administration le retrait ainsi sollicité. Le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, le syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et le syndicat CFDT Interco Moselle ont saisi chacun le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de la délibération du 19 décembre 2017. Le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle relève appel du jugement n° 1802839, 1803964 et 1804282 du 26 février 2019, en tant qu'il annule partiellement les dispositions des lettres d. et g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ". Aux termes du premier alinéa de l'article R. 741-8 du même code : " Si le président de la formation est rapporteur, la minute est signée, en outre, par l'assesseur le plus ancien dans l'ordre du tableau. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement de première instance contesté a été signée par la présidente de la formation de jugement, par le rapporteur et par la greffière d'audience. La circonstance que l'ampliation de ce jugement, qui a été notifiée à la partie appelante, ne comporterait pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement de première instance doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. D'une part, aux termes du septième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : " Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ". Aux termes de l'article 10 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Les fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent. ".
5. En indiquant, dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'Assemblée constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève constitue l'une des modalités, et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte. En l'absence de la complète législation ainsi annoncée par la Constitution, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour conséquence d'exclure les limitations qui doivent être apportées à ce droit, comme à tout autre, en vue d'en éviter un usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public. Si, en l'état de la législation, il appartient à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la nature et l'étendue de ces limites pour les services placés sous son autorité, seuls les organes dirigeants d'un établissement public, agissant en vertu des pouvoirs généraux d'organisation des services placés sous leur autorité, sont, sauf dispositions contraires, compétents pour déterminer ces limitations pour les services publics dont ils sont chargés. Si ces autorités sont compétentes pour apporter de telles limitations, c'est dans la mesure où les solutions alternatives à l'exercice d'un tel pouvoir font défaut.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 723-2 du code de la sécurité intérieure : " Les sapeurs-pompiers professionnels, qui relèvent des services départementaux d'incendie et de secours, sont des fonctionnaires territoriaux soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans les conditions fixées par l'article 117 de cette dernière loi, ainsi qu'aux dispositions de l'article L. 1424-9 du code général des collectivités territoriales. ". Aux termes de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales : " Les services d'incendie et de secours sont chargés de la prévention, de la protection et de la lutte contre les incendies. / Ils concourent, avec les autres services et professionnels concernés, à la protection et à la lutte contre les autres accidents, sinistres et catastrophes, à l'évaluation et à la prévention des risques technologiques ou naturels ainsi qu'aux secours d'urgence. / Dans le cadre de leurs compétences, ils exercent les missions suivantes : 1° La prévention et l'évaluation des risques de sécurité civile ; 2° La préparation des mesures de sauvegarde et l'organisation des moyens de secours ; 3° La protection des personnes, des biens et de l'environnement ; 4° Les secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes ainsi que leur évacuation. ".
7. Les missions de sécurité et de secours incombant à un service départemental d'incendie et de secours en vertu de ces dernières dispositions imposent que ses moyens d'intervention en personnels et en matériels soient pleinement opérationnels en permanence et sans interruption, fût-elle momentanée.
8. En premier lieu, aux termes du dernier alinéa du d. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017 : " En période où un mouvement de grève national ou local est en cours, l'ensemble des agents composant les gardes montantes et descendantes pourront être amenés à se présenter au 1er rassemblement du matin qui a lieu exceptionnellement au croisement de poste sur décision du centre opérationnel ". Par ces dispositions réglementaires, l'autorité compétente, eu égard aux obligations de continuité du service public d'incendie et de secours découlant de l'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales, a entendu s'assurer, lors des jours de grève, de la présence d'un nombre suffisant d'agents afin de garantir la mise en place d'un service minimum.
9. Le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle fait valoir que les dispositions en cause, qui présentent un caractère conditionnel, ne concerne que les agents de garde et ceux n'ayant pas informé leur hiérarchie, quarante-huit heures avant le début mouvement de grève, de leur intention d'y participer. Toutefois, la portée ainsi donnée par l'administration à l'obligation de présentation sur le lieu de travail ne résulte pas de ces dispositions, qui énoncent une obligation générale applicable à " l'ensemble des agents composant les gardes montantes et descendantes ". Dans ces conditions, en imposant aux agents en grève de se présenter à leur poste de travail, les dispositions réglementaires en cause portent une atteinte excessive au droit de grève des personnes concernées et sont en conséquence entachées d'illégalité. Par suite, le moyen ne peut qu'être écarté.
10. En second lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 31 décembre 2001, relatif au temps de travail des sapeurs-pompiers professionnels : " La durée de travail effectif journalier définie à l'article 1er ne peut pas excéder 12 heures consécutives. Lorsque cette période atteint une durée de 12 heures, elle est suivie obligatoirement d'une interruption de service d'une durée au moins égale ". Aux termes de l'article 3 du même décret : " Par dérogation aux dispositions de l'article 2 relatives à l'amplitude journalière, une délibération du conseil d'administration du service d'incendie et de secours peut, eu égard aux missions des services d'incendie et de secours et aux nécessités de service, et après avis du comité technique, fixer le temps de présence à vingt-quatre heures consécutives. / (...) / Ce temps de présence est suivi d'une interruption de service d'une durée au moins égale. ".
11. Par ailleurs, aux termes des deux derniers alinéas des dispositions de la lettre g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017 : " En cas de nécessité absolue et sur ordre de l'officier supérieur CODIS, des agents de la garde descendante pourront être maintenus en service jusqu'à ce que leur relève soit présente en unité. Cette mesure doit rester exceptionnelle et le service mettra tout en œuvre pour rappeler du personnel dans les plus brefs délais. / En fonction de l'effectif nécessaire devant être maintenus, un tirage au sort pourra être réalisé en présence de l'ensemble des agents de la garde descendante et du chef du centre ou de son représentant afin de déterminer les agents qui seront maintenus en service. ".
12. Les dispositions précédemment citées, qui prévoient la possibilité, dans certains cas, de maintenir les agents de la garde descendante en poste jusqu'à ce que leur relève soit présente en unité, ne fixent aucune limite à la durée de service des personnels concernés et sont susceptibles de conduire, en cas de grève et en ce qui concerne ces effectifs, au dépassement du volume horaire fixé par le décret du 31 mai 2001. Le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle se borne à faire valoir qu'un tel dispositif vise à prévenir les risques de désorganisation dans la constitution de l'équipe du service minimum, résultant notamment des retards dans la prise de service des personnels rappelés et que les dépassements demeureront exceptionnels et limités dans le temps. Or, s'il appartient à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même la nature et l'étendue des limitations au droit de grève pour les services dont l'organisation lui incombe, elle ne saurait, dans l'exercice d'une telle compétence, contrevenir aux dispositions règlementaires régissant les durées de travail et de repos applicables aux agents. Dans ces conditions et alors que l'existence d'un préavis de 48 heures doit permettre au service départemental d'incendie et de secours de la Moselle d'anticiper le nombre d'agents nécessaires à la constitution de l'équipe du service minimum, les dispositions réglementaires en cause, qui se bornent à prévoir que le maintien en poste des agents de la garde descendante doit demeurer exceptionnel et s'achever dans les plus brefs délais, sans fixer de limite précise à la durée de leur service, sont entachées d'illégalité. Par suite, le moyen doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le service départemental d'incendie et de secours n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a prononcé l'annulation partielle des dispositions des lettres d. et g. du b) du point 3) du règlement du 19 décembre 2017 et à demander le rejet des demandes présentées en première instance par le syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, par le syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et par le syndicat CFDT Interco Moselle.
Sur les frais de justice :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du syndicat CGT des personnels du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, du syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle et du syndicat CFDT Interco Moselle, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, les sommes réclamées par le service départemental d'incendie et de secours de la Moselle au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les défendeurs en application des mêmes dispositions.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le syndicat CFDT Interco Moselle et par le syndicat CGT des agents du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au service départemental d'incendie et de secours de la Moselle, au syndicat CFDT Interco Moselle, au syndicat CGT des agents du service départemental d'incendie et de secours de la Moselle et au syndicat national des sapeurs-pompiers et des personnels administratifs, techniques et spécialisés de la Moselle.
N° 19NC01266 5