Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 7 juillet 2020 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.
Par un jugement n° 2001634 du 2 février 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mars 2021, Me Lima B..., représentée par Me Garcia, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2001634 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 2 février 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 7 juillet 2020 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de cinquante euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans l'attente un récépissé de demande de titre de séjour l'autorisant à travailler ou une autorisation provisoire de séjour.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée ;
- la décision en litige est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'un vice de procédure en l'absence de consultation de la commission du titre de séjour ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 313-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît également les dispositions de l'article L. 314-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lues en combinaison avec les stipulations de l'article 12 de la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994, relative à la circulation et au séjour des personnes ;
- elle méconnaît encore les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît enfin les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- le préfet de l'Aube a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne lui accordant pas un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;
- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2022, le préfet de l'Aube conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... est une ressortissante camerounaise, née le 3 décembre 1993. Elle a déclaré être entrée en France le 12 septembre 2017 sous couvert de son passeport revêtu d'un visa de court séjour de trente jours, valable du 11 septembre 2017 au 11 septembre 2018. Le 14 décembre 2018, elle a été mise en possession d'un titre de séjour portant la mention " étudiant ", valable du 12 novembre 2018 au 11 novembre 2019. Le 12 novembre 2019, elle a sollicité auprès des services de la préfecture de l'Aube la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de l'obtention, le 12 juin 2019, d'un mastère spécialisé en " management des achats internationaux et innovation ", délivré par l'école " Kedge Business School " de Talence, et de la signature, le 16 septembre 2019, d'un contrat de travail à durée indéterminée en vue de l'occupation d'un emploi d' " assistante achat " au sein d'une entreprise spécialisée dans la robinetterie industrielle et les matériels de lutte contre l'incendie. Toutefois, à la suite de l'avis défavorable de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est du 4 février 2020, le préfet de l'Aube, par un arrêté du 7 juillet 2020, a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Elle relève appel du jugement n° 2001634 du 2 février 2021, qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. D'une part, aux termes de l'article 4 de la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 : " Les nationaux de chacun des États contractants désireux d'exercer sur le territoire de l'autre État une activité professionnelle salariée doivent (...), pour être admis sur le territoire de cet État, justifier de la possession : 1° D'un certificat médical délivré par tout médecin agréé, en accord avec les autorités sanitaires du pays d'origine, par le représentant compétent du pays d'accueil et visé par celui-ci ; 2° D'un contrat de travail visé par le ministère chargé du travail dans les conditions prévues par la législation de l'État d'accueil. ". Aux termes de l'article 11 de la même convention : " Pour tout séjour sur le territoire français devant excéder trois mois, les nationaux camerounais doivent posséder un titre de séjour. / (...) / Ces titres de séjour sont délivrés conformément à la législation de l'État d'accueil. ". Aux termes de l'article 14 de la même convention : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application des législations respectives des deux États sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par la présente Convention. ". Il résulte de la combinaison de ces stipulations que la convention franco-camerounaise du 24 janvier 1994 renvoie à la législation nationale pour la délivrance des titres de séjour. Ainsi, les ressortissants camerounais souhaitant exercer une activité salariée en France doivent solliciter un titre de séjour en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 313-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Une carte de séjour temporaire portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " d'une durée de validité de douze mois, non renouvelable, est délivrée à l'étranger qui justifie : 1° Soit avoir été titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " délivrée sur le fondement des articles L. 313-7, L. 313-18 ou L. 313-27 et avoir obtenu dans un établissement d'enseignement supérieur habilité au plan national un diplôme au moins équivalent au grade de master ou figurant sur une liste fixée par décret ; (...) / II.- La carte de séjour temporaire prévue au I est délivrée à l'étranger qui justifie d'une assurance maladie et qui : 1° Soit entend compléter sa formation par une première expérience professionnelle, sans limitation à un seul emploi ou à un seul employeur. Pendant la durée de la carte de séjour temporaire mentionnée au premier alinéa du I, son titulaire est autorisé à chercher et à exercer un emploi en relation avec sa formation ou ses recherches, assorti d'une rémunération supérieure à un seuil fixé par décret et modulé, le cas échéant, selon le niveau de diplôme concerné. / A l'issue de cette période de douze mois, l'intéressé pourvu d'un emploi ou d'une promesse d'embauche satisfaisant aux conditions énoncées au premier alinéa du présent 1° est autorisé à séjourner en France au titre de la carte de séjour pluriannuelle mentionnée aux 1°, 2°, 4° ou 9° de l'article L. 313-20 ou de la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10, sans que lui soit opposable la situation de l'emploi ; (...) ". Aux termes de l'article R. 311-11-1 du même code, alors en vigueur : " Pour l'application du 1° du I de l'article L. 313-8, l'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " présente à l'appui de sa demande, outre les pièces prévues aux articles R. 311-2-2 et R. 313-1, les pièces suivantes : 1° La carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant les mentions " étudiant " ou " étudiant-programme de mobilité " en cours de validité dont il est titulaire ; 2° Un diplôme, obtenu dans l'année, au moins équivalent au grade de master ou figurant sur une liste fixée par décret. La présentation de ce diplôme peut être différée au moment de la remise de la carte de séjour temporaire. La liste des diplômes au moins équivalents au grade de master est établie par arrêté du ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ; 3° La justification qu'il bénéficie d'une assurance maladie ; (...) ". Aux termes de l'article D. 5221-21-1 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable : " Le seuil de rémunération mentionné aux 2° et 3° de l'article R. 5221-21 et au 1° du II de l'article L. 313-8 et à l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est fixé à une fois et demie le montant de la rémunération minimale mensuelle. ".
4. Contrairement aux allégations du préfet de l'Aube, il ressort des pièces du dossier, spécialement des mentions figurant sur le récépissé de demande de carte de séjour délivré à l'intéressée le 31 janvier 2020, que Mme B... a entendu compléter sa formation par une première expérience professionnelle en France et a sollicité, en conséquence, la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " en application des dispositions de l'article L. 313-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'est pas contesté que la requérante, qui justifie bénéficier d'une assurance-maladie, a obtenu, le 12 juin 2019, un mastère spécialisé en " management des achats internationaux et innovation ", diplôme au moins équivalent au grade de master, et que son titre de séjour " étudiant ", dont les effets ont été prolongés jusqu'au 30 avril 2020, était toujours en cours de validité à la date de sa demande. Ainsi, Mme B... doit être regardée comme remplissant l'ensemble des conditions pour bénéficier d'une carte de séjour " recherche d'emploi ou création d'entreprise " d'une durée de validité de douze mois, non renouvelable, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la requérante a été recrutée, le 16 septembre 2019, dans le cadre d'un contrat à durée indéterminé, sur un poste d' " assistante achat " à un niveau de rémunération ne lui permettant pas, à l'expiration de ce délai de douze mois, d'être admise au séjour en qualité de salariée sur le fondement des dispositions, alors en vigueur, de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ces conditions, en refusant de faire à la demande de l'intéressée, le préfet de l'Aube a méconnu les dispositions de l'article L. 313-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, la décision du 7 juillet 2020 portant refus de délivrance d'un titre de séjour doit être annulée. Par voie de conséquence, les décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination, qui se trouvent dépourvues de base légale, doivent également être annulées.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... est fondée à demande l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aube du 7 juillet 2020 et à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de l'Aube, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " en application des dispositions désormais applicables des articles L. 422-10 et L 422-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2001634 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 2 février 2021 est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de l'Aube du 7 juillet 2020 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Aube de délivrer à Mme B... une carte de séjour portant la mention " recherche d'emploi ou création d'entreprise " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 7 avril 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Laubriat, président de la chambre,
- M. Meisse, premier conseiller,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 avril 2022.
Le rapporteur,
signé
E. MEISSE
Le président,
signé
A. LAUBRIAT
La greffière,
signé
C. JADELOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière :
signé
C. JADELOT
N°21NC00724 2