Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Firalis a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler la décision du 7 juillet 2017 du coordinateur du projet " Fight HF " l'informant de la résiliation de l'accord de consortium du projet et la décision implicite du 14 octobre 2017 rejetant son recours auprès du commissariat général à l'investissement. Elle a également demandé au même tribunal d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle le coordinateur du projet " Fight HF " a implicitement rejeté sa réclamation indemnitaire, et de condamner in solidum le consortium " Fight HF " et ses membres à lui verser la somme de 10 337 606 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de la décision de l'exclure du consortium.
Par un jugement nos 1703241, 1801056 du 21 janvier 2020, le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes, et l'a condamnée à verser à la société Inotrem la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour recours abusif.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 22 mars 2020, 8 février, 17 mars et 3 mai 2021, la société Firalis, représentée par la SELARL Froment-Meurice et associés, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 1703241, 1801056 du tribunal administratif de Nancy du 21 janvier 2020 ;
2°) d'annuler la décision implicite née le 14 octobre 2017 par laquelle le commissaire général à l'investissement a rejeté son recours contre la décision du 7 juillet 2017 du coordinateur du projet " Fight HF " l'informant de la résiliation de l'accord de consortium du projet ;
3°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles ;
4°) d'annuler la décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire du 6 février 2018 et de condamner in solidum le consortium " Fight HF " et ses membres à lui verser la somme de 10 137 606 euros en réparation du préjudice subi ;
5°) de mettre à la charge du consortium " Fight HF " la somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la reprise des relations contractuelles :
- la mesure de résiliation, qui n'a pas été prise par le comité stratégique sur proposition du comité de pilotage, comme le prévoit l'article 6.1.2 de l'accord de consortium, est entachée d'incompétence et d'irrégularité ;
- elle ne pouvait pas être valablement prise sur le fondement de l'article 13.5 de l'accord de consortium, en l'absence de décision du financeur d'arrêter le financement du projet ;
- la décision de l'agence nationale de la recherche au vu de laquelle la mesure de résiliation a été prise est entachée d'incompétence, d'erreur de fait et d'erreur d'appréciation ;
- la mesure de résiliation est entachée de détournement de pouvoir ;
- aucun motif sérieux ne fait obstacle à la reprise des relations contractuelles ;
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :
- la mesure de résiliation est fautive ;
- elle a droit au remboursement des dépenses engagées pour le projet, ainsi qu'à l'indemnisation des préjudices résultant de son éviction ;
En ce qui concerne la condamnation pour recours abusif :
- son recours devant le tribunal ne présentait pas un caractère abusif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 septembre 2020, la société Schiller Medical, représentée par la SELAS Olszak et Lévy, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 2 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 octobre 2020 et 8 mars 2021, l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), représenté par la SCP Waquet-Farge-Hazan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 4 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 17 novembre 2020, 5 mars et 6 avril 2021, le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'institut national de la recherche en informatique et en automatique (INRIA), représentés par la SCP Herald, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 3 000 euros à verser à chacun d'entre eux sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2020, l'Université de Paris, représentée par la SCP Saidji et Moreau, demande à la cour de la mettre hors de cause, subsidiairement de rejeter la requête, et en tout état de cause à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2021, l'Université de Lorraine, représentée par Me Jeandon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 1 500 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2021, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (APHP), représentée par la SCP Boivin et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 5 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier, 8 mars et 6 mai 2021, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, représenté par la SELARL Delsol avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les conclusions de la société Firalis tendant à l'annulation de la mesure de résiliation sont irrecevables et qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 janvier, 8 mars et 6 mai 2021, le centre hospitalier universitaire de Nancy, représenté par la SELARL Delsol avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les conclusions de la société Firalis tendant à l'annulation de la mesure de résiliation sont irrecevables et qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2021, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), représenté par la SELARL Awen avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Firalis la somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Firalis n'est fondé.
Par lettre du 1er mars 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour était susceptible de fonder sa décision sur le moyen relevé d'office, tiré de ce que, l'accord de consortium du 27 octobre 2016 ayant atteint son terme et n'étant ainsi plus susceptible d'être exécuté, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Firalis tendant à ce que soit ordonnée la reprise des relations contractuelles.
Le 8 mars 2022, l'INSERM a présenté des observations à la suite de cette information.
Le 11 mars 2022, la société Firalis a présenté des observations à la suite de cette information..
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, et notamment son article 8 ;
- la convention du 27 juillet 2010 " Investissements d'avenir, convention Etat-ANR Action : " instituts hospitalo-universitaires " mettant en œuvre l'article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010 relative au programme d'investissements d'avenir ;
- le règlement du 29 janvier 2015 relatif aux modalités d'attribution des aides au titre des appels à projets " recherche hospitalo-universitaire en santé " ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rees, président,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bouchet, pour la société Firalis, de Me Cousin, pour le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'institut national de recherche en informatique et en automatique et de Me Leraisnable, substituant Me Le Port, pour le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.
Une note en délibéré, présentée par la société Firalis, a été enregistrée le 15 avril 2022.
Considérant ce qui suit :
1. En 2015, plusieurs établissements publics et sociétés privées, dont la société Firalis, se sont regroupés pour participer à l'appel à projets " Recherche hospitalo-universitaire en santé " lancé par l'agence nationale de la recherche (ANR) dans le cadre d'un programme d'investissements d'avenir institué par l'article 8 de la loi du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010. Après que leur projet, intitulé " Fight HF " (fighting heart failure), ait été retenu, le Premier ministre, par une décision du 3 août 2015, a autorisé l'ANR à " contractualiser sur le projet Fight HF dans la limite d'une participation des investissements d'avenir à hauteur d'une subvention de 9 000 000 euros sur la durée du contrat ". Le 27 octobre 2016, les partenaires du projet ont conclu un " accord de consortium " ayant pour objet de préciser le cadre de leur collaboration, et indiquant notamment que la coordination du projet est attribuée à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et que M. A... est désigné comme coordonnateur pour représenter ce dernier dans ses tâches d'établissement coordonnateur. Par courrier du 7 juillet 2017, M. A... a informé la société Firalis de la résiliation de l'accord de consortium en application de son article 13.5. Un nouvel " accord de consortium " a été conclu en août 2017 entre les mêmes partenaires, à l'exception de la société Firalis. Estimant avoir ainsi été évincée du projet, cette dernière a formé un recours auprès du commissaire général à l'investissement, que ce dernier a implicitement rejeté le 14 octobre 2017. Elle a également présenté une réclamation indemnitaire au coordinateur du projet " Fight HF ", qui l'a implicitement rejetée le 6 février 2018.
2. La société Firalis relève appel du jugement du 21 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Nancy a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions des 7 juillet et 14 octobre 2017, et de la décision du 6 février 2018, et à la condamnation in solidum du consortium " Fight HF " et de ses membres à lui verser la somme de 10 337 606 euros à titre d'indemnisation.
Sur les conclusions aux fins d'annulation de la décision du commissaire général à l'investissement du 14 octobre 2017 :
3. La société Firalis ne soulève aucun moyen de légalité à l'encontre de cette décision, ses conclusions tendant à son annulation ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les conclusions tendant à la reprise des relations contractuelles :
4. Si, en principe, les parties à un contrat administratif ne peuvent pas demander au juge l'annulation d'une mesure d'exécution de ce contrat, mais seulement une indemnisation du préjudice qu'une telle mesure leur a causé, elles peuvent, eu égard à la portée d'une telle mesure, former un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles. Lorsqu'un tribunal administratif a rejeté une demande tendant à la reprise des relations contractuelles et que, postérieurement à son jugement, le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d'appel ou pendant l'instance d'appel, la cour saisie doit constater que le contrat n'est plus susceptible d'être exécuté et que le litige n'a pas ou n'a plus d'objet.
5. A la lumière de l'ensemble des écritures de la société Firalis, ses conclusions dirigées contre la décision du 7 juillet 2017, dont elle n'est, en tout état de cause, pas recevable à demander l'annulation, doivent être regardées comme tendant à la reprise des relations contractuelles.
6. Selon son article 3.1, l'accord de consortium conclu le 27 octobre 2016 devait prendre fin le 31 octobre 2020, postérieurement à la date du jugement attaqué et à la saisine de la cour. Par ailleurs, les relations contractuelles nées de ce contrat ne sauraient être reprises dans le cadre de l'accord de consortium conclu en août 2017, dès lors que celui-ci constitue un contrat distinct, auquel la requérante n'est pas partie. Le contrat conclu le 27 octobre 2016 n'étant ainsi plus susceptible d'être exécuté, il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions de la requérante tendant à la reprise des relations contractuelles.
Sur les conclusions indemnitaires :
7. Selon la requérante, la résiliation de l'accord a causé l'échec d'une levée de fonds initialement prévue au premier semestre de l'année 2017, une diminution de son chiffre d'affaires et la perte des financements liés à un projet d'investissements d'avenir distinct, pour lequel elle avait été sélectionnée en 2016, et dont elle a été exclue le 13 juin 2017, lui causant des préjudices qu'elle chiffre, respectivement, à 120 000 euros, 8 000 000 euros et 820 000 euros, ainsi qu'un préjudice moral qu'elle chiffre à 1 euro. Par ailleurs, la requérante sollicite le remboursement des dépenses engagées pour la préparation et la soumission du projet, qu'elle chiffre à la somme de 30 000 euros, celui des dépenses liées aux activités de recherche et de développement dans le cadre du projet, chiffrées au montant total de 292 605 euros, celui de diverses dépenses effectuées dans le cadre du projet, chiffrées au montant total de 513 600 euros, et celui de dépenses engagées dans le cadre d'un accord de partenariat pour la mise en œuvre du projet, chiffrées au montant total de 480 000 euros.
8. La société Firalis sollicite la condamnation solidaire du consortium et de ses membres à lui verser ces sommes sur le fondement de la responsabilité contractuelle pour faute. A titre subsidiaire, elle demande que soit mise à la charge solidaire des mêmes personnes le remboursement des dépenses qu'elle soutient avoir engagées pour le projet sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Le consortium en cause étant dépourvu de toute personnalité juridique, la société Firalis doit être regardée comme recherchant la responsabilité solidaire de ses membres sur ces fondements.
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle pour faute :
S'agissant de la réparation des préjudices résultant de la résiliation de l'accord de consortium :
9. Aux termes de l'article 6.1.2 de l'accord de consortium : " Le comité stratégique a pour mission (...) de décider le cas échéant, sur proposition du comité de pilotage et sous réserve de l'approbation du financeur lorsqu'elle est requise, de toute modification de l'accord, en ce compris (...) la résiliation de plein droit ". Aux termes de l'article 13.5 de cet accord : " Sauf autrement convenu par écrit entre les parties ou expressément spécifié autrement au présent accord, l'accord sera résilié de plein droit en cas de décision du financeur d'arrêter le financement du projet ". Enfin, selon l'article 1er de cet accord, qui en définit les termes, le " financeur " désigne l'ANR.
10. En premier lieu, il résulte de ces stipulations que le comité stratégique était seul compétent, après proposition du comité de pilotage, pour prononcer la résiliation de plein droit de l'accord de consortium prévue par son article 13.5. Il est constant que la décision de résiliation du 7 juillet 2017 a été prise par M. A..., seul, en méconnaissance des stipulations de l'article 6.1.2 précité. Cette faute contractuelle est imputable à l'INSERM, dont M. A... était le représentant.
11. En deuxième lieu, la société Firalis soutient que la résiliation de l'accord de consortium ne pouvait pas être décidée sur le fondement de son article 13.5, l'ANR ayant seulement décidé de mettre fin au financement de sa participation au projet, et non au financement du projet dans son ensemble.
12. Il ressort de la décision du Premier ministre du 3 août 2015, autorisant l'ANR à " contractualiser sur le projet Fight HF dans la limite d'une participation des investissements d'avenir à hauteur d'une subvention de 9 000 000 euros sur la durée du contrat ", que cette " contractualisation " devait comporter une convention de préfinancement à conclure dans un délai de trois mois à compter de son entrée en vigueur, et une convention définitive de financement à conclure dans un délai d'un an après la signature de la précédente. La décision précisait qu'à défaut de conclusion de ces conventions dans les délais indiqués, elle deviendrait caduque. Si la convention de préfinancement a été conclue entre l'ANR et l'INSERM le 2 novembre 2015, la convention définitive de financement n'a pas été signée dans le délai d'un an suivant cette date. La décision du Premier ministre du 3 août 2015 autorisant le financement du projet est ainsi devenue caduque le 2 novembre 2016. Une nouvelle décision du premier ministre autorisant le financement du projet est intervenue le 13 février 2017, et une convention attributive d'aide a été signée entre l'ANR et l'INSERM le 20 février 2017, avec les mêmes établissements publics et sociétés privées, à l'exclusion de la société Firalis.
13. Il résulte de l'instruction, en particulier des courriers de l'ANR des 25 novembre 2016 et 19 janvier 2017, que celle-ci a estimé que le projet ne pouvait pas être contractualisé en l'état du fait de la présence, parmi ses partenaires, de la société Firalis. Compte tenu de cet élément et de ce qui a été dit au point précédent, l'abstention de l'ANR à signer la convention définitive de financement avec l'ensemble des partenaires d'origine dans le délai prescrit par la décision du 3 août 2015, et la signature, le 20 février 2017, à la suite de la nouvelle décision du Premier ministre, d'une convention attributive d'aide avec les mêmes partenaires, à l'exclusion de la société Firalis, ne peuvent que résulter d'une décision de l'ANR, dont elles révèlent l'existence, d'arrêter le financement du projet " Fight HF " tel que prévu à l'origine.
14. Cette décision du financeur d'arrêter le financement du projet, au sens de l'article 13.5 de l'accord de consortium précité, était de nature à justifier la résiliation de plein droit de cet accord. La décision de résiliation du 7 juillet 2017 est, à cet égard, conforme aux stipulations de l'accord et, par suite, elle ne saurait, dans cette mesure, être fautive.
15. En troisième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier des courriers de l'ANR des 25 novembre 2016 et 19 janvier 2017, que sa décision d'arrêter le financement du projet " Fight HF " tel que prévu à l'origine est motivé par les circonstances que la société Firalis ne lui avait pas, à la date du 2 novembre 2016, fourni les éléments " permettant de lever des doutes concernant [sa] capacité (...) à financer sa contribution au projet ", et qu'elle entretenait avec le responsable du projet des rapports conflictuels créant un " risque majeur avéré de dysfonctionnement du consortium du projet tel que mentionné dans la convention de préfinancement ".
16. D'une part, la société Firalis soutient que M. A..., à qui elle avait fourni les éléments permettant d'établir sa bonne santé financière, ne les a pas transmis à l'ANR, et qu'il était en conflit personnel avec elle en raison de ses intérêts dans une société concurrente ayant bénéficié de son exclusion du projet. Toutefois, il est constant que la requérante n'a fourni à M. A... les éléments relatifs à sa situation financière que le 8 juin 2017, postérieurement à la décision de l'ANR d'arrêter le financement du projet " Fight HF " tel que prévu à l'origine. Dès lors, c'est de manière parfaitement justifiée que M. A..., ainsi qu'il ressort de son courrier en réponse du 21 juin 2017, a refusé de transmettre ces éléments à l'ANR. Au surplus, il résulte de l'instruction, en particulier des courriers de l'ANR des 25 novembre 2016 et 19 janvier 2017, que cette dernière avait, à l'époque, et avant de prendre sa décision, vainement effectué plusieurs relances auprès de la société Firalis pour obtenir des documents attestant de sa capacité à financer sa contribution au projet. Par ailleurs, la société Firalis, qui n'apporte aucun élément concret au soutien de ses allégations relatives au conflit d'intérêts de M. A... et à son comportement hostile à son égard, ne démontre pas que le dysfonctionnement du consortium du projet serait imputable à ce dernier. Dans ces conditions, la société Firalis n'est pas fondée à soutenir que la décision de l'ANR, cause de la mesure de résiliation en litige, aurait été provoquée par des manquements du coordonnateur du projet à ses obligations contractuelles.
17. D'autre part, la responsabilité des membres du consortium ne saurait être recherchée du seul fait de l'illégalité de la décision de l'ANR d'arrêter le financement du projet " Fight HF " tel que prévu à l'origine.
18. En quatrième lieu, il résulte de l'instruction, en particulier de la lettre de l'ANR du 19 janvier 2017, que l'INSERM a transmis à cette dernière, fin 2016, la proposition de M. A... de modifier le consortium en en excluant la société Firalis. Cette dernière fait valoir que l'ANR se serait ainsi bornée à prendre acte de la décision des membres du consortium de l'en exclure. Toutefois, il résulte de l'instruction que cette initiative n'est nullement à l'origine de la décision de l'ANR, mais fait suite à son courrier du 25 novembre 2016, indiquant que le projet ne pouvait pas être contractualisé en l'état du fait de la présence, parmi ses partenaires, de la société Firalis. Dans ces conditions, cette initiative, qui visait à sauvegarder le financement du projet, ne saurait être regardée comme étant fautive.
19. En conclusion de ce qui précède, l'unique faute contractuelle établie par la société Firalis est celle commise par l'INSERM en prenant la décision de résiliation du 7 juillet 2017 en méconnaissance des stipulations de l'article 6.1.2 de l'accord de consortium précité. Or, la poursuite du projet " Fight HF " tel que prévu à l'origine, dans le cadre de l'accord de consortium du 27 octobre 2016, en dépit de la décision de l'ANR, aurait nécessité que les autres membres de ce consortium renoncent au bénéfice de la subvention de 9 000 000 euros autorisée par la décision du Premier ministre du 13 février 2017 et par la convention attributive d'aide signée le 20 février 2017. Dans ces conditions, il ne peut qu'être tenu pour certain que la même décision de résiliation aurait été prise par le comité stratégique du consortium si la procédure prévue par l'article 6.1.2 avait été respectée. Dès lors, la faute contractuelle commise par l'INSERM ne constitue pas la cause directe des préjudices que la requérante soutient avoir subis du fait de la résiliation de l'accord de consortium du 27 octobre 2016. Par suite, la société Firalis n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle pour faute de l'INSERM à raison de ces préjudices. Enfin, et en l'absence même de toute précision quant aux fautes qu'ils auraient pu commettre, la société Firalis n'est pas fondée à rechercher la responsabilité contractuelle pour faute des autres membres du consortium.
S'agissant du remboursement des dépenses engagées dans le cadre du projet " Fight HF " :
20. La requérante fait valoir que le consortium ne lui a versé aucune somme, alors qu'elle a réalisé d'importants travaux jusqu'à la résiliation de l'accord de consortium du 27 octobre 2016, qu'une avance de 900 000 euros sur l'aide attribuée par la décision du Premier ministre du 3 août 2015 avait été versée par l'ANR en application de la convention de préfinancement du 2 novembre 2015, et que cette avance aurait dû être répartie entre les partenaires en vertu de l'accord de consortium du 27 octobre 2016.
21. Toutefois, l'article 1er de la convention de préfinancement du 2 novembre 2015, qui prévoit le versement de cette avance à " l'établissement coordinateur ", précise que ce dernier " pourra transférer une partie de l'aide aux Etablissements Partenaires conformément à des conventions de reversement établies entre lui-même et les Etablissements Partenaires concernés ". Or, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est d'ailleurs pas soutenu, qu'une convention de reversement aurait été conclue entre l'INSERM et la société Firalis pour l'exécution de la convention de préfinancement.
22. Par ailleurs, aux termes de l'article 7 de l'accord de consortium du 27 octobre 2016 : " L'Inserm reçoit directement du Financeur le financement obtenu pour le Projet, conformément aux dispositions de sa convention de préfinancement ANR-15-RHUS-004 et de sa convention de financement signée avec le Financeur (la "Convention"). / L'Inserm transférera une part de l'aide financière aux Parties concernées conformément aux dispositions de la Convention et selon l'Echéancier Financier Prévisionnel (Annexe 9) qui pourra être mis à jour par le Comité Stratégique sur proposition du Comité de Pilotage et avec l'accord de I'ANR. (...) ". Il résulte de ces stipulations que le transfert de l'aide financière aux membres du consortium était subordonné à la conclusion de la convention de financement définitive entre l'ANR et l'INSERM. Or, ainsi qu'il a déjà été dit, cette convention n'a pas été conclue pour le projet, incluant la participation de la société Firalis, qui a fait l'objet de l'accord de consortium du 27 octobre 2016.
23. Enfin, la société Firalis n'apporte aucune précision quant aux éventuelles autres obligations contractuelles résultant de l'accord du 27 octobre 2016, en vertu desquelles les autres membres du consortium seraient tenus de lui rembourser les dépenses qu'elle a engagées pour la réalisation du projet. A plus forte raison, elle ne démontre pas qu'ils auraient manqué à ces obligations.
24. Au surplus, hormis une attestation établie par son expert-comptable le 13 août 2019, qui n'est pas étayée, la société Firalis n'apporte aucun élément permettant de vérifier la réalité et l'importance des travaux qu'elle soutient avoir réalisés au titre du projet " Fight HF " antérieurement à la résiliation de l'accord du 27 octobre 2016, à l'exception de factures de la société Hoxie établies au nom d'une autre société, et d'une facture établie par le Luxembourg Institute of Health, dont il n'est pas démontré qu'elle se rattacherait à l'exécution du projet " Fight HF ", l'ensemble des factures produites par la requérante sont postérieures au 7 juillet 2017 et relatives à des commandes passées postérieurement à cette date.
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :
25. En premier lieu, l'appauvrissement correspondant aux dépenses que la requérante soutient avoir engagées pour la préparation et la soumission du projet " Fight HF " a pour cause la résiliation de l'accord de consortium du 27 octobre 2016. Par suite, elle ne peut pas en obtenir le remboursement sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
26. En deuxième lieu, quand bien même la société Firalis, qui ne l'établit pas, aurait engagé des dépenses pour mettre en œuvre le projet avant la conclusion de l'accord de consortium du 27 octobre 2016, il ne résulte pas de l'instruction que ces dépenses auraient été utiles aux autres membres de ce consortium. L'enrichissement de ces derniers n'est ainsi pas établi.
27. En troisième lieu, à supposer qu'entre la date de conclusion de l'accord de consortium du 27 octobre 2016 et la date de sa résiliation, le 7 juillet 2017, la société Firalis ait engagé, pour la réalisation du projet " Fight HF ", des dépenses dont les autres membres du consortium ont bénéficié, ces dépenses ont eu pour cause l'exécution dudit accord. Par suite, la requérante ne saurait en obtenir le remboursement sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
28. En quatrième lieu, si la société Firalis soutient avoir, postérieurement à la résiliation de l'accord, de sa propre initiative, et afin de poursuivre la mise en œuvre du projet, engagé des dépenses d'expérimentations, d'études de validation, d'équipements, d'accès à des cohortes de patients, de brevets, d'analyse de données et de partenariat, il ne résulte pas de l'instruction que ces dépenses auraient été utiles aux autres membres du consortium issu de l'accord du 27 octobre 2016. L'enrichissement de ces derniers n'est ainsi pas établi.
29. En cinquième lieu, les frais d'avocat supportés par la société Firalis pour les besoins de la procédure contentieuse devant le tribunal ne sauraient être indemnisés sur le fondement de l'enrichissement sans cause.
30. Il résulte de ce qui précède que la société Firalis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a rejeté ses conclusions indemnitaires.
Sur la condamnation à dommages et intérêts pour recours abusif :
31. Le tribunal a condamné la société Firalis à verser à la société Inotrem la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, au motif que ses conclusions tendant à la condamnation solidaire de cette dernière à lui verser la somme de 10 337 606 euros en réparation du préjudice subi du fait de la résiliation de l'accord de consortium, qui ne lui est pas imputable, présentent un caractère abusif.
32. La société Firalis soutient que ses conclusions ne présentaient pas un tel caractère, dès lors qu'elles tendaient seulement à garantir qu'elle obtienne effectivement réparation, et non à faire peser sur la société Inotrem la charge de payer l'intégralité des sommes réclamées. Toutefois, la société Firalis n'a, devant le tribunal, fait valoir aucune faute à l'encontre de la société Inotrem, ni même indiqué à quel titre elle recherchait sa responsabilité. Dans ces conditions, et alors que la société Inotrem avait justifié ses conclusions reconventionnelles tendant à une condamnation pour recours abusif, la société Firalis n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a retenu le caractère abusif de son recours dirigé contre cette société.
33. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation et d'indemnisation de la société Firalis ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
34. Aucun des défendeurs n'étant perdant à la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à leur charge. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Firalis la somme de 2 000 euros à verser à chacune des parties suivantes : l'institut national de la santé et de la recherche médicale, l'université de Lorraine, le centre hospitalier régional universitaire de Nancy, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux, le commissariat à l'énergie atomique, l'université Paris Diderot, l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris et la société Schiller Medical. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Firalis la même somme de 2 000 euros à verser au centre national de la recherche scientifique et à l'institut national de recherche en informatique et en automatique.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Firalis tendant à ce que soit ordonnée la reprise des relations contractuelles nées de l'accord de consortium du 27 octobre 2016.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la société Firalis est rejeté.
Article 3 : La société Firalis versera à l'institut national de la santé et de la recherche médicale, à l'université de Lorraine, au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, au commissariat à l'énergie atomique, à l'université Paris Diderot, à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, et à la société Schiller Medical la somme de 2 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La société Firalis versera au centre national de la recherche scientifique et à l'institut national de recherche en informatique et en automatique la somme de 2 000 euros en application des mêmes dispositions.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Firalis, à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, au centre national de la recherche scientifique, à l'institut national de la recherche en informatique et en automatique, au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives, à l'Université de Paris, à l'Université de Lorraine, à l'Assistance Publique - Hôpitaux de Paris, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux, au centre hospitalier universitaire de Nancy, à la société Schiller Medical, à la société Inotrem et à la société Cardiorenal.
Délibéré après l'audience du 31 mars 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Vidal, présidente de chambre,
M. Rees, président-assesseur,
M. Goujon-Fischer, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mai 2022.
Le rapporteur,
Signé : P. Rees La présidente,
Signé : S. Vidal
La greffière,
Signé : S. Robinet
La République mande et ordonne à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
N° 20NC00774 2