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25/05/2022 | FRANCE | N°19NC02799

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 1ère chambre, 25 mai 2022, 19NC02799


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ferme éolienne du Bois de Chonville a demandé au tribunal administratif de Nancy, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2017 par lequel la préfète de la Meuse a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Chonville-Malaumont, à titre subsidiaire d'annuler cet arrêté en tant qu'il rejette sa demande en ce qui concerne les éoliennes E01 et

E02.

Par un jugement n° 1800393 du 9 juillet 2019, le tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Ferme éolienne du Bois de Chonville a demandé au tribunal administratif de Nancy, à titre principal, d'annuler l'arrêté du 14 décembre 2017 par lequel la préfète de la Meuse a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent sur le territoire de la commune de Chonville-Malaumont, à titre subsidiaire d'annuler cet arrêté en tant qu'il rejette sa demande en ce qui concerne les éoliennes E01 et E02.

Par un jugement n° 1800393 du 9 juillet 2019, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté contesté.

Procédures devant la cour :

I. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 10 septembre 2019, 22 janvier 2021, et 25 février 2022 sous le n° 19NC02799, la ministre de la transition écologique et solidaire demande à la cour d'annuler le jugement n° 1800393 du tribunal administratif de Nancy du 9 juillet 2019 et de rejeter la demande présentée par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville devant ce tribunal.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la décision contestée n'est pas entachée d'une erreur d'appréciation ;

- elle n'est pas non plus entachée d'une erreur de fait.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 décembre 2019, 6 novembre 2020, 7 février et 2 mars 2022, la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, représentée par Me Guiheux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la ministre n'est fondé, et que la décision est, en outre, entachée d'une erreur de fait.

II. Par une requête et des mémoires, enregistrés les 6 novembre 2020, 5 octobre 2021, 7 février et 2 mars 2022, sous le n° 20NC03243, la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, représentée par Me Guiheux, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 septembre 2020 par lequel la préfète de la Meuse a rejeté sa demande d'autorisation environnementale relative à la construction et à l'exploitation de cinq éoliennes et d'un double poste de livraison sur le territoire de la commune de Chonville-Malaumont ;

2°) d'enjoindre à la préfète de la Meuse de reprendre l'instruction de sa demande et de statuer à nouveau ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté n'a pas été signé par la préfète, et il n'est pas établi que la personne qui l'a signé était habilitée à cette fin ;

- la décision est entachée d'une erreur de fait ;

- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 septembre 2021, 25 février et 7 mars 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Rees, président,

- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,

- et les observations de Me Rochard pour la société ferme éolienne du bois de Chonville.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 avril 2017, la société Ferme éolienne du Bois de Chonville a sollicité la délivrance d'une autorisation environnementale portant sur l'exploitation d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, composée de cinq aérogénérateurs de 150 mètres de hauteur en bout de pales et d'un double poste de livraison, sur le territoire de la commune de Chonville-Malaumont. Par un arrêté du 14 décembre 2017, la préfète de la Meuse a rejeté sa demande. Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Nancy du 9 juillet 2019, à la suite duquel la préfète de la Meuse a, derechef, le 7 septembre 2020, décidé de rejeter la demande.

2. Par les requêtes susvisées, nos 19NC02799 et 20NC03243, respectivement, la ministre de la transition écologique relève appel du jugement du 9 juillet 2019, et la société Ferme éolienne du Bois de Chonville conteste la décision du 7 septembre 2020. Il y a lieu de joindre ces deux requêtes, qui sont relatives au même projet, pour y statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions de la ministre de la transition écologique tendant à l'annulation du jugement :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

3. En se bornant à soutenir que le jugement est insuffisamment motivé, sans préciser en quoi les considérations de droit et de fait qui y figurent ne permettraient pas de comprendre le motif d'annulation retenu par le tribunal, la ministre ne met pas la cour à même d'apprécier le bien-fondé de son moyen.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

S'agissant du moyen d'annulation retenu par le tribunal :

4. Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : (...) / 2° Le ministre de la défense (...) ". Selon l'article R. 181-34 de ce code : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) / 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; (...) ".

5. Pour rejeter la demande d'autorisation, la préfète de la Meuse s'est fondée sur l'avis défavorable émis par la ministre des armées le 22 juin 2017, laquelle a estimé que le projet en litige peut constituer un obstacle massif de nature à compromettre le transit en toute sécurité sous un tronçon du réseau de vol à très basse altitude des armées (RTBA) dénommé LF-R 45 N5.2. Pour annuler l'arrêté du 14 décembre 2017, le tribunal s'est fondé sur le moyen tiré de ce que l'avis de la ministre des armées et cet arrêté sont entachés d'une erreur d'appréciation.

6. Il ressort des pièces du dossier que le RTBA est destiné aux vols d'entraînement militaires à très basse altitude et très grande vitesse utilisant des systèmes autonomes de navigation et où le pilote n'assure pas la prévention des abordages vis-à-vis des autres aéronefs. Son activation interdit au trafic extérieur, tant militaire que civil, d'y pénétrer, si ce n'est à titre exceptionnel, et oblige ainsi ce trafic à le contourner en évoluant au-dessus ou en-dessous de ses limites verticales, fixées entre 800 et 2 700 pieds (environ 243 et 822 mètres) par rapport au sol. Le contournement par le dessus ne peut se faire en volant à vue et nécessite un équipement approprié dont tous les aéronefs ne disposent pas, et il n'est pas possible lorsque les conditions météorologiques sont dégradées. Quant au transit par en-dessous, il doit se faire dans le respect des distances minimales d'évitement des obstacles, soit 150 mètres pour les aéronefs civils et 2,315 kilomètres pour les aéronefs militaires les plus rapides, ainsi que des contraintes de survol des agglomérations.

7. Le projet en litige est implanté en bordure est du tronçon LF-R 45 N5.2 du RTBA, à proximité de sa jonction avec le tronçon LF-R 45 N5.1. A cet endroit existe un passage de plusieurs kilomètres de largeur entre deux " murs éoliens " s'étendant sur 25,5 kilomètres au nord et 34,5 kilomètres au sud, où la densité des parcs éoliens existants ou ayant reçu un avis favorable des armées ne permet pas aux aéronefs civils et militaires de transiter sous le RTBA en respectant les distances minimales d'évitement des obstacles. En raison de la présence de nombreuses bases aériennes militaires dans le secteur, ce passage, qui permet d'éviter le contournement des " murs éoliens " par le nord ou par le sud, est fréquemment utilisé par les aéronefs militaires, seuls ou en patrouille, notamment les Mirage 2000 de la base aérienne de Nancy, à l'est, qui plusieurs fois par semaine l'empruntent à des vitesses élevées pour gagner le camp d'entraînement de Suippes, à l'ouest.

8. L'implantation du projet en litige au milieu de l'entrée est de ce passage aura pour conséquence d'en restreindre la largeur, ce qui, au vu des cartes produites et eu égard à son utilisation, décrite au point précédent, rendra plus difficile le transit aérien en toute sécurité sous le RTBA. La circonstance qu'aucune des cinq éoliennes du projet ne soit implantée sous le RTBA n'est pas de nature à atténuer cet inconvénient, dès lors qu'elles sont toutes situées à proximité immédiate de sa bordure, et devront donc être prise en compte par un aéronef entrant sous le RTBA ou en sortant. Sont également sans incidence les circonstances que les éoliennes fassent l'objet d'un balisage réglementaire, dès lors qu'il ne fait que les signaler sans réduire la gêne occasionnée par leur présence, que la société Ferme éolienne du Bois de Chonville se soit conformée à un précédent avis du ministre de la défense du 11 avril 2013, dès lors que celui-ci se bornait à indiquer, au demeurant au sujet d'un projet différent, qu'une éventuelle autorisation ultérieure de sa part ne pourrait porter que sur des éoliennes d'une hauteur maximale de 150 mètres en bout de pales, et qu'enfin, d'autres obstacles sont déjà présents sous le RTBA, en particulier une antenne de radiodiffusion, dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que le périmètre d'évitement de cette antenne se situe dans le prolongement de celui des éoliennes existantes, avec lequel il se confond en partie, et qu'en tout état de cause, la présence d'obstacles existants ne saurait être de nature à justifier l'ajout de nouveaux obstacles.

9. Compte tenu de cette importante réduction des possibilités de contournement en-dessous du RTBA, et alors même que le ministre chargé de l'aviation civile a émis un avis favorable, la ministre des armées n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le projet en litige peut constituer un obstacle à la navigation aérienne. Par suite, la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal s'est fondé sur ce moyen pour annuler l'arrêté contesté.

10. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville tant devant le tribunal administratif de Nancy que devant la cour en appel.

S'agissant des autres moyens soulevés par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville :

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que fait valoir la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, la ministre des armées a émis son avis au regard de son projet, et non du projet voisin de la société Ferme éolienne de Grimaucourt. Par ailleurs, compte tenu de ce qui a été dit au point 8, la circonstance que l'avis indique que le projet en litige est situé sous le RTBA, alors qu'il est situé en bordure de ce dernier, ne permet pas de le regarder comme fondé sur des faits matériellement inexacts.

12. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 8, l'avis du ministre de la défense du 11 avril 2013, qui portait uniquement sur la hauteur maximale des éoliennes susceptibles d'être implantées dans le secteur, ne valait pas autorisation de sa part. Par conséquent, la société Ferme éolienne du Bois de Chonville ne peut pas utilement s'en prévaloir. Au surplus, il n'est pas en contradiction avec l'avis du 22 juin 2017, qui n'est pas fondé sur la hauteur des éoliennes en litige, mais sur la gêne occasionnée par leur implantation.

13. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, l'avis du 22 juin 2017, bien qu'il opère une distinction entre les éoliennes E01 et E02 des éoliennes E03 à E05, est défavorable au projet pris dans son ensemble, et non pas seulement en ce qui concerne les éoliennes E03 à E05. Par conséquent, la préfète était, en application de l'article R. 181-34 du code de l'environnement précité, en situation de compétence liée pour rejeter la demande dans son ensemble.

14. En quatrième et dernier lieu, dès lors que la préfète était en situation de compétence liée, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté ne peut qu'être écarté comme inopérant.

15. Il résulte tout ce qui précède que la ministre de la transition écologique est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté contesté. Par suite, elle est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué, ainsi que le rejet de la demande présentée par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville devant le tribunal.

Sur les conclusions de la société Ferme éolienne du Bois de Chonville tendant à l'annulation de la décision du 7 septembre 2020 :

16. Pour rejeter à nouveau la demande d'autorisation, la préfète de la Meuse s'est fondée sur l'avis défavorable émis par la ministre des armées le 7 février 2020, laquelle a estimé que le projet en litige constituerait un obstacle de nature à entraver la circulation aérienne militaire sous le RTBA LF-R 45 N5.2.

17. En premier lieu, la ministre des armées ne s'est pas fondée sur des faits matériellement inexacts en relevant que le projet se situe " sous la zone latérale de protection d'un tronçon du RTBA dénommé LF-R 45 N5.2 ", et il ressort des pièces du dossier que c'est au regard du projet de la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, et non du projet voisin de la société Ferme éolienne de Grimaucourt, qu'elle s'est prononcée.

18. En deuxième lieu, pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 8 et 9, la société Ferme éolienne du Bois de Chonville n'est pas fondée à soutenir que la ministre des armées s'est livrée à une appréciation erronée de son projet en estimant qu'il constituerait un obstacle de nature à entraver la circulation aérienne militaire sous le RTBA LF-R 45 N5.2.

19. En troisième lieu, la préfète de la Meuse était, du fait de l'avis défavorable de la ministre des armées, en situation de compétence liée pour rejeter la demande d'autorisation. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté contesté aurait été signé par une autorité incompétente ne peut qu'être écarté comme inopérant.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation de la société Ferme éolienne du Bois de Chonville, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

Article 1 : Le jugement n° 1800393 du tribunal administratif de Nancy du 9 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville devant le tribunal est rejetée.

Article 3 : La requête n° 20NC03243 présentée par la société Ferme éolienne du Bois de Chonville est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre de la transition écologique et à la société Ferme éolienne du Bois de Chonville.

Délibéré après l'audience du 5 mai 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, présidente de chambre,

M. Rees, président-assesseur,

M. Goujon-Fischer, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 mai 2022.

Le rapporteur,

Signé : P. Rees La présidente,

Signé : S. Vidal

La greffière,

Signé : S. Robinet

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

S. Robinet

Nos 19NC02799-20NC03243 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19NC02799
Date de la décision : 25/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-02-02-005-02-01 Nature et environnement. - Installations classées pour la protection de l'environnement. - Régime juridique. - Actes affectant le régime juridique des installations. - Première mise en service.


Composition du Tribunal
Président : Mme VIDAL
Rapporteur ?: M. Philippe REES
Rapporteur public ?: Mme ANTONIAZZI
Avocat(s) : SELARL VOLTA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2022-05-25;19nc02799 ?
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