Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne l'annulation de l'arrêté du 21 juillet 2021 par lequel le préfet de l'Aube a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière.
Par un jugement n° 2102062 du 6 janvier 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 février 2022, M. B... A..., représenté par Me Gaffuri, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2102062 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 6 janvier 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de l'Aube du 21 juillet 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui remettre une autorisation provisoire l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée et elle est entachée d'un défaut d'examen particulier et approfondi de sa situation personnelle ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que, d'une part, le préfet de l'Aube n'a pas renversé la présomption d'authenticité des actes d'état civil qu'il a produits pour justifier de son état de minorité, d'autre part, qu'il remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur ce fondement ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2022, le préfet de l'Aube, représenté par Me Termeau, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 ;
- le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Meisse, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Se déclarant ressortissant malien, né le 1er mai 2003, M. B... A... s'est présenté comme mineur isolé à son arrivée sur le territoire français le 20 juin 2019 et a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance du département de l'Aube par une ordonnance de placement provisoire du 29 juillet 2019, confirmée par un jugement en assistance éducative du juge des enfants près le tribunal de grande instance de Troyes du 16 octobre 2019. Le 3 mai 2021, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 21 juillet 2021, le préfet de l'Aube a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de son éventuelle reconduite d'office à la frontière. M. A... a saisi le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Il relève appel du jugement n° 2102062 du 6 janvier 2022, qui rejette sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". La décision en litige énonce, dans ses visas et motifs, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Elle est suffisamment motivée au regard des exigences de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation manque en fait et il ne peut, dès lors, qu'être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne résulte, ni des motifs de la décision en litige, ni d'aucune des autres pièces du dossier, que le préfet de l'Aube se serait abstenu de procéder à un examen particulier de la situation personnelle et familiale de M. A.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'un tel examen manque également en fait et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes, d'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ". Aux termes de l'article R. 431-10 du même code : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiants de son état civil ; / 2° Les documents justifiants de sa nationalité ; (...) ".
5. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
6. Il résulte de ces dispositions de l'article 47 du code civil qu'en cas de doute sur l'authenticité ou l'exactitude d'un acte de l'état civil étranger et pour écarter la présomption d'authenticité dont bénéficie un tel acte, l'autorité administrative procède aux vérifications utiles. Si l'article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. En revanche, l'autorité administrative n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont elle dispose sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié.
7. Aux termes, enfin, du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. / La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu / Un décret en Conseil d'Etat précise les actes publics concernés par le présent II et fixe les modalités de la légalisation. ". Aux termes de l'article 1er du décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère, applicable aux légalisations intervenues à compter du 1er janvier 2021 : " Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France ou devant un ambassadeur ou chef de poste consulaire français doit être légalisé pour y produire effet. La légalisation est la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. Elle donne lieu à l'apposition d'un cachet dont les caractéristiques sont définies par arrêté conjoint des ministres chargés de la justice et des affaires étrangères ".
8. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
9. Pour refuser de délivrer à M. A... un titre de séjour sur le fondement des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet de l'Aube s'est fondé sur un unique motif tiré de ce qu'en raison de l'absence de valeur probante des actes d'état civil présentés au soutien de sa demande, l'intéressé n'établit pas avoir été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et celui de dix-huit ans.
10. Il ressort des pièces du dossier que le requérant a transmis à l'administration un jugement supplétif d'acte de naissance rendu par le tribunal civil de Yelimane à l'issue de l'audience du 12 novembre 2018 et un acte de naissance, délivré le 14 février 2019 par le deuxième adjoint au maire de la commune rurale de Diongaga. Il verse en outre aux débats contentieux la minute du jugement supplétif datée du même jour et une carte consulaire valable jusqu'au 2 février 2023.
11. Le préfet de l'Aube se prévaut pour sa part des conclusions d'un rapport d'examen technique documentaire du 9 juin 2021 de la direction zonale de la police aux frontières Est, dont il ressort que le jugement supplétif du 12 novembre 2018 constitue un faux document, dès lors qu'imprimé au toner sur du papier ordinaire, il ne contient aucune sécurité, qu'il a été rédigé à partir d'un masque de jugement portant mariage, ne comporte pas la signature du président et le cachet du centre d'état civil assurant sa transcription dans les registres d'état civil, est particulièrement succinct et ne précise pas la date de la requête, l'identité des témoins ou encore la nationalité et la profession des parents du requérant. Le rapport relève également que le numéro de l'acte de naissance n'est pas cohérent avec la croissance démographique annuelle de la commune de Diongaga et que son support, s'il est authentique, provient d'une souche détournée ou volée vierge.
12. Au regard de la nature et de l'importance de ces diverses anomalies, propres à renverser la présomption d'authenticité résultant de l'article 47 du code civil, le préfet de l'Aube a pu légalement écarter comme dépourvus de valeur probante l'acte de naissance, ainsi que la minute versée aux débats, établis sur la base du jugement supplétif du 12 novembre 2018, et considérer qu'ils ne faisaient pas foi des éléments d'état civil y étant mentionnés, quand bien même les deux derniers documents ont été légalisés par le vice-président du tribunal de grande instance de Bamako et par le ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale les 10 et 16 novembre 2021. En l'absence de certitude sur sa date de naissance véritable, le préfet a pu en conclure que le requérant ne démontrait pas avoir été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et celui de dix-huit ans. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut être accueilli.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. A... n'est présent sur le territoire français que depuis le 20 juin 2019 et qu'il a bénéficié d'une prise en charge en qualité de mineur étranger isolé sur la base d'actes d'état civil dont l'authenticité a été remise en cause. Célibataire et sans enfant à charge, il ne justifie pas d'attaches familiales ou personnelles sur le territoire français. Il n'est pas isolé, en revanche, dans son pays d'origine, où vivent notamment sa mère et ses quatre sœurs. Dans ces conditions, et alors même que le requérant était inscrit, à la date de la décision en litige, en première année de certificat d'aptitude professionnelle de maçon dans le cadre d'un contrat d'apprentissage conclu avec une entreprise du bâtiment et que ses enseignants et son employeur soulignent son sérieux et son investissement, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
15. En cinquième et dernier lieu, pour les mêmes motifs que précédemment, le préfet de l'Aube, en prenant la décision en litige, n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation de la situation personnelle de l'intéressé au regard de son pouvoir discrétionnaire de régularisation à titre exceptionnel. Par suite, le moyen soulevé en ce sens doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
16. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter les moyens tirés respectivement de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour et de ce qu'elle serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. A....
17. En second lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour (...). ". Aux termes de l'article L. 613-1 du même code : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée.
Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. (...) ".
18. La décision portant refus de délivrance à M. A... d'un titre de séjour étant suffisamment motivée, ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt, la décision en litige n'avait pas à faire l'objet d'une motivation spécifique. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée ne peut qu'être écarté.
19. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Aube du 21 juillet 2021, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et ses conclusions à fin d'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de l'Aube.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Goujon-Fischer, président,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2022.
Le rapporteur,
Signé : E. Meisse
Le président,
Signé : J.-F. Goujon-Fischer
La greffière,
Signé : V. Firmery
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
V. Firmery
N° 22NC00478 2