Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 14 mai 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme.
Par un jugement n° 1906212 du 4 décembre 2020, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés le 4 février 2021, ainsi que les 8 et 9 mars 2023, M. B..., représenté par Me Loctin, de l'AARPI CL Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du ministre de l'intérieur du 14 mai 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, en l'absence de justification de la signature de la minute ;
- le jugement est également entaché d'irrégularité car il ne comporte aucune référence à la première audience ;
- le jugement est irrégulier car il a été placé dans l'impossibilité de produire une note en délibéré en raison de la brièveté du délai séparant la seconde audience et la date de lecture, qui n'avait pas été mentionnée lors de l'audience du 2 décembre 2020 ; il n'est pas établi que le jugement a effectivement été lu le 4 décembre en audience publique, avec réunion de la même formation de jugement ;
- le jugement est entaché d'erreurs de fait et de dénaturation des pièces du dossier, s'agissant de son statut et de son grade, ainsi que du déroulement des faits ayant conduit au suicide du major D... ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en retenant l'existence de faits justifiant une sanction ;
- le jugement est insuffisamment motivé dès lors qu'il se réfère à des éléments inexacts, de manière expéditive ;
- le principe de loyauté a été méconnu par l'administration, au regard du choix de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) de pratiquer ou non certaines auditions ;
- il n'a commis aucun acte susceptible d'être qualifié de faute disciplinaire dans l'exercice de ses fonctions d'encadrement, alors en particulier qu'il a adopté, en accord avec sa hiérarchie, des mesures adaptées à la situation ;
- il se réfère à ses écritures de première instance s'agissant des moyens de légalité externe, concernant la partialité de la procédure, menée sur la base d'informations qui lui étaient inconnues, ainsi que la méconnaissance de l'obligation de motivation, et s'agissant des moyens de légalité interne relatifs au caractère non établi des faits reprochés et à la disproportion de la sanction.
Par un mémoire enregistré le 15 février 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens invoqués par M. B... n'est fondé et s'en rapporte également à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Samson-Dye,
- les conclusions de M. Denizot, rapporteur public,
- et les observations de Me Loctin, pour M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., commandant divisionnaire de la police nationale désormais retraité, relève appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 mai 2019 par laquelle le ministre de l'intérieur lui a infligé la sanction disciplinaire de blâme.
Sur la légalité de la sanction :
2. Aux termes de l'article R. 434-6 du code de la sécurité intérieure : " I. - Le supérieur hiérarchique veille en permanence à la préservation de l'intégrité physique de ses subordonnés. Il veille aussi à leur santé physique et mentale. Il s'assure de la bonne condition de ses subordonnés. / (...) ". Aux termes de l'article R. 434-27 du même code : " Tout manquement du policier ou du gendarme aux règles et principes définis par le présent code de déontologie l'expose à une sanction disciplinaire en application des règles propres à son statut, indépendamment des sanctions pénales encourues le cas échéant ".
3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
4. La sanction infligée à M. B... fait suite au suicide de l'un des agents de la circonscription qu'il dirigeait, le major D..., survenu le 21 janvier 2018, alors que ce dernier devait recevoir de nouvelles attributions à la fin du mois, pour diriger l'ensemble des unités de nuit, au lieu de la seule brigade qu'il encadrait jusqu'alors. Cette sanction est motivée par la circonstance qu'alors que M. B... avait été alerté le 11 janvier 2018 par un délégué du personnel sur la situation de cet agent et par des rapports écrits de ses futurs collègues manifestant leur refus de travailler sous son autorité, il a pris pour seule mesure d'accompagnement la mise à disposition d'un officier lors de chaque vacation, sans tenir compte de la forte dégradation des conditions de travail du major. Le ministre en déduit qu'en ne veillant pas à prendre en compte la situation personnelle de ce subordonné et les conditions dégradées dans lesquelles il s'apprêtait à prendre ses nouvelles fonctions, le commandant divisionnaire fonctionnel B... a manqué au devoir de protection qu'il devait à cet agent, au titre de l'article R. 434-6 du code de la sécurité intérieure.
5. La circonscription de sécurité publique de Freyming-Merlebach, dirigée par le commandant divisionnaire fonctionnel B..., comportait deux sites, le commissariat central de Freyming-Merlebach et le commissariat subdivisionnaire de Saint-Avold. Il ressort des pièces du dossier qu'il existait depuis plusieurs années des tensions entre les policiers affectés aux brigades de nuit de l'unité d'intervention, d'aide et d'assistance de proximité, dirigée par le commandant C..., adjoint de M. B..., opposant ceux qui étaient affectés à la brigade de Freyming-Merlebach et ceux affectés à Saint-Avold, la brigade de nuit de Saint-Avold étant dirigée par le major D.... La révélation de circonstances susceptibles de caractériser de graves manquements commis ou couverts par le responsable de la brigade de nuit de Freyming-Merlebach, tenant notamment à des sorties de la circonscription dissimulées par une coupure de la radio, pendant le service, a amené l'autorité hiérarchique à décider d'écarter ce dernier de ce poste. Il a également été décidé de modifier les affectations des agents, pour mélanger, au sein de chaque brigade de nuit, des policiers en provenance des brigades de Freyming-Merlebach et de Saint-Avold. Compte tenu de la défiance que les agents affectés à Freyming-Merlebach avaient à l'égard du major D... qu'ils soupçonnaient d'être à l'origine de la dénonciation des manquements découverts, il était prévu, dans un premier temps, mais sans qu'une durée déterminée ait été fixée, que le commandant C... rédige des ordres de service quotidiens en direction des membres de la brigade de nuit, pour prévenir toute contestation visant le major D..., et que, pendant cette période, le commandant divisionnaire B... ou le commandant C... soit systématiquement présent à chaque prise de service, pour soutenir si besoin le major D.... Le requérant avait, de plus, lors de deux réunions menées les 15 et 18 janvier 2018, avec des membres des deux brigades de nuit, auxquelles avait participé le major D..., indiqué que la personne à l'origine de la dénonciation des faits commis par certains membres de la brigade de Freyming-Merlebach ne se trouvait pas dans la salle, visant ainsi à dédouaner le major D... des accusations de dénonciation qui avaient circulé à son sujet.
6. Ce climat de défiance de certains agents à l'égard du major D... a été exacerbé par le dépôt par l'un d'entre eux de rapports faisant état d'enregistrements réalisés à l'insu du major et d'un de ses collègues les mettant en cause et pour lesquels une enquête interne était en cours. Il résulte de témoignages concordants de proches du major D... que cette enquête, au cours de laquelle ce dernier devait être auditionné, l'inquiétait. Toutefois, et alors que le requérant considérait que le dépôt de ses rapport n'était qu'une réaction aux manquements révélés des agents affectés à Freyming-Merlebach, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il avait personnellement connaissance d'éléments justifiant que des mesures supplémentaires soient adoptées pour accompagner la prise de poste du major D... et veiller sur son état mental. En particulier, si un représentant syndical a indiqué, lors de l'enquête menée par l'IGPN, ainsi que devant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail extraordinaire du 2 février 2018, avoir appelé M. B... le 11 janvier 2018, après avoir été contacté par le major D..., et avoir signalé le malaise de ce dernier ainsi que les tensions au sein des brigades de nuit, puis lui recommandé de réunir les collègues en question, ce qui a été fait, il n'est pas établi que M. B... aurait effectivement été alerté, à cette occasion, sur une fragilité caractérisée de son subordonné. De même, alors qu'il avait été retenu que ce serait le commandant C..., au regard de leurs bonnes relations, qui annoncerait au major D... que la responsabilité de la brigade de nuit de Freyming-Merlebach lui serait confiée, il ne ressort aucunement des pièces du dossier que le major D... aurait, à cette occasion, exprimé des réserves ou des craintes sur cette affectation, de nature à justifier des mesures supplémentaires de la part de son encadrement, alors qu'il avait indiqué accepter cette mission à l'issue de cet échange. Il n'est pas non plus établi que des éléments, pouvant être regardés comme des signes d'alerte quant à une fragilité ou une détresse chez le major D..., auraient été portés à la connaissance de M. B... avant le suicide de l'intéressé.
7. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que les modalités retenues par le commandant divisionnaire fonctionnel B... pour accompagner le major D... dans son changement de poste caractériseraient un manquement à son obligation de protection de son subordonné, au regard des dispositions citées au point 2. Dès lors, les faits, tels qu'ils sont reprochés au requérant, ne constituent pas des fautes de nature à justifier le prononcé d'une sanction disciplinaire à son égard.
8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête dont ceux affectant la régularité du jugement, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que le premier juge a rejeté sa demande, et à demander l'annulation du jugement attaqué, ainsi que celle de la décision ministérielle lui infligeant un blâme.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E:
Article 1er : Le jugement n° 1906212 du 4 décembre 2020 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 14 mai 2019 du ministre de l'intérieur infligeant un blâme à M. B... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 29 août 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- Mme Roussaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 septembre 2023.
La rapporteure,
Signé : A. Samson-DyeLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 21NC00329