Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel le préfet de la Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2107048 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2023, M. A..., représenté par Me Dollé, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 1er février 2022 du tribunal administratif de Strasbourg ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2021 par lequel le préfet de la Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de lui délivrer un titre de séjour ou un récépissé de demande ou, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans un délai déterminé, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 800 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
Sur la décision préfectorale portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu et révèle un défaut d'examen personnel de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions du 1° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est entachée d'insuffisance de motivation dans son principe et dans sa durée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bauer,
- et les observations de Me Dollé pour M. A....
Une note en délibéré, présentée pour M. A..., a été enregistrée le 17 octobre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant ivoirien, a déclaré être entré en France irrégulièrement le 24 février 2020. Se déclarant mineur isolé, il a sollicité sa prise en charge par le centre départemental de l'enfance de Metz qui lui a opposé un refus au terme de la période d'évaluation pour contestation de la réalité de sa minorité. Par un jugement du 19 mars 2021, le juge des enfants, saisi d'un recours à l'encontre de la décision du centre départemental de l'enfance, a prononcé une mesure d'assistance éducative à son égard et a saisi le procureur aux fins de vérification de ses documents d'identité et d'état civil. Au vu des résultats de l'enquête effectuée, M. A... a fait l'objet d'un placement en garde à vue le 14 octobre 2021 pour des faits de détention frauduleuse de faux documents administratifs constatant un droit, une identité ou une qualité. Par un arrêté du 15 octobre 2021, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français. Par un jugement du 1er février 2022, dont l'intéressé relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de l'intéressé à fin d'annulation de ces décisions.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants :1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ;(...) ;5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ;(...) ".
3. En premier lieu, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt C-141/12 et C-372/12 du 17 juillet 2014), que l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations par une autorité d'un Etat membre est inopérant. D'autre part, une atteinte au droit d'être entendu garanti par les principes généraux du droit de l'Union européenne n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu influer sur le contenu de la décision.
4. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que M. A... a été mis à même de présenter toutes observations utiles sur les conditions d'obtention des documents administratifs ivoiriens dont il s'est prévalu, de même que sur son droit au séjour et sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, au cours de la garde à vue dont il a fait l'objet le 14 octobre 2021 à l'occasion de la procédure pour détention et usage de faux documents intentée à son encontre. Il n'établit ainsi nullement avoir été empêché de présenter l'attestation d'authenticité de son passeport biométrique ivoirien qui lui a été délivrée par le consulat général de Côte d'Ivoire à Paris alors, en tout état de cause, que le caractère authentique de ce dernier n'a pas fait l'objet d'une contestation, seules ses conditions d'obtention ayant été critiquées. La circonstance, à la supposer établie, que l'administration n'ait pas vérifié ces conditions d'obtention auprès des autorités consulaires ne saurait caractériser un défaut d'examen de sa situation, alors qu'il est constant que les services de police ont procédé, sur instruction du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Metz du 2 juillet 2021, à une évaluation des documents administratifs en possession de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être préalablement entendu et du défaut d'examen particulier de la situation de M. A... ne peuvent qu'être écartés.
5. En second lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français :1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; (...) ". Aux termes de l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Ce dernier article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.
6. Il ressort des pièces du dossier que si M. A... a présenté plusieurs documents administratifs faisant état de sa situation de minorité, l'examen technique documentaire, mené le 16 juillet 2021 sur instruction du procureur de la République, a permis d'établir que, tant l'extrait de registre d'état-civil que la copie intégrale d'acte de naissance et le certificat de nationalité ivoirienne produits par l'intéressé comportaient de nombreuses irrégularités et de conclure que, si le passeport biométrique présenté par M. A... et obtenu sur la base de ces documents présentait, quant à lui, un caractère authentique, il avait été obtenu de manière indue. L'expertise osseuse également conduite le 14 octobre 2021 a par ailleurs révélé une importante discordance par rapport à l'âge civil déclaré, concluant à un âge d'au moins 26 ans. Si le requérant se prévaut du jugement du tribunal correctionnel de Metz du 29 octobre 2021 le renvoyant des fins de la poursuite dans le cadre de la procédure pour détention et usage de faux documents, l'autorité de la chose jugée s'attachant aux décisions des juges répressifs devenues définitives ne s'attache qu'à la constatation matérielle des faits mentionnée dans le jugement. Or, ledit jugement ne comporte aucune mention de ses motifs, alors au demeurant qu'il relève par ailleurs que l'intéressé est né le 5 janvier 1995, et non, comme ce dernier l'allègue, le 5 janvier 2004. Il s'ensuit que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
7. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
8. En premier lieu, il résulte des termes de la décision litigieuse qu'elle comporte les éléments de droit et de fait qui en constituent le fondement, le préfet de la Moselle ayant notamment analysé la situation de M. A... au regard des critères prévus par les dispositions précitées. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
9. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé n'était présent en France que depuis moins de deux ans à la date de la mesure d'éloignement et n'y justifie pas de liens personnels et familiaux, ni de circonstance humanitaire particulière justifiant l'absence d'édiction d'une mesure d'interdiction de retour. La seule circonstance qu'il poursuit des études en France ne suffit pas à caractériser une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors en tout état de cause qu'il ne justifie pas ne pas pouvoir mener à bien sa scolarité dans son pays d'origine où résident toujours ses parents. Les moyens tirés de la méconnaissance de ces stipulations et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle doivent par suite être écartés.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en annulation des décisions attaquées. Il s'ensuit que ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées, de même que celles présentées sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
D E C I D E :
Article 1er : La requête susvisée présentée par M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 17 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Wurtz, président,
Mme Bauer, présidente-assesseure,
M. Meisse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 novembre 2023.
La rapporteure,
Signé : S. BAUER
Le président,
Signé : Ch. WURTZ Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC00117 2