Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 29 octobre 2022 par lequel le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant un an.
Par un jugement n° 2207244 du 16 janvier 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, M. A... B..., représenté par Me Sabatakakis, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2207244 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Moselle du 29 octobre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Moselle de réexaminer sa situation dans un délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement de première instance est entaché d'irrégularité dès lors qu'il ne se prononce pas sur son moyen, soulevé à l'audience, tiré de ce que la mesure d'éloignement prise à son encontre doit être regardée comme implicitement abrogée par la délivrance à sa fille mineure d'une attestation de demande d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- cette décision est également entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet de la Moselle s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour prendre à son encontre la mesure d'éloignement litigieuse ;
- elle est encore entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors que le préfet de la Moselle ne justifie pas en quoi il présenterait un risque de fuite ;
- la décision portant fixation du pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- la décision portant interdiction de retour en France pendant un an est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation, dès lors qu'il justifie de liens intenses et stables sur le territoire français ;
- elle présente un caractère disproportionné au regard de sa situation familiale et personnelle.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mars 2023, le préfet de la Moselle conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mai 2023.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Meisse a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B... est un ressortissant nigérian, né le 9 mars 1996. Il a déclaré être entré irrégulièrement en France le 5 septembre 2020, accompagné de sa compagne et de leur fille mineure, née le 3 mars 2018 à Gunzburg (Allemagne). A la suite du dépôt de sa demande d'asile le 10 septembre 2020, la préfète du Bas-Rhin a pris à son encontre, le 13 novembre 2020, un arrêté de transfert aux autorités allemandes, qui a été annulé par un jugement n° 2007402 du tribunal administratif de Strasbourg du 8 décembre 2020, confirmé par un arrêt n° 21NC00063 de la cour administrative d'appel de Nancy du 8 juin 2021. La France étant devenue l'Etat responsable de l'examen de cette demande d'asile, celle-ci a été successivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 9 décembre 2021, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 20 mai 2022. L'intéressé ayant fait l'objet d'un contrôle d'identité par les services de la police aux frontières, alors qu'il se trouvait dans un train assurant la liaison entre Luxembourg et Metz, il a fait l'objet, le 29 octobre 2022, d'un placement en retenue administrative pour vérification du droit au séjour. Par un arrêté du même jour, le préfet de la Moselle lui a fait obligation de quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pendant un an. M. B... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 octobre 2022. Il relève appel du jugement n° 2207244 du 16 janvier 2023 qui rejette sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement aux allégations de M. B..., il ne ressort pas des pièces du dossier que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg aurait omis de statuer sur un moyen, soulevé à l'audience publique du 9 janvier 2023, tiré de ce que la mesure d'éloignement prise à son encontre doit être regardée comme implicitement abrogée par la délivrance à sa fille mineure d'une attestation de demande d'asile. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement de première instance serait irrégulier pour ce motif.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
3. En premier lieu, il ne ressort, ni des motifs de la décision en litige, ni d'aucune des autres pièces du dossier, que le préfet de la Moselle se serait abstenu de procéder à un examen particulier et circonstancié de la situation familiale et personnelle de M. B... au vu des éléments dont il avait connaissance et, notamment, des déclarations faites par l'intéressé aux services de la police aux frontières de Metz lors de son audition du 29 octobre 2022. Par suite, le moyen tiré du défaut d'un tel examen ne peut qu'être écarté.
4. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; (...) ".
5. Il ne ressort ni des motifs de la décision en litige, ni d'aucune des autres pièces du dossier que le préfet de Moselle se serait estimé à tort en situation de compétence liée pour prendre à l'encontre de M. B... une mesure d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut être accueilli.
6. En troisième et dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., qui est entré irrégulièrement sur le territoire français le 5 septembre 2020, justifiait d'une durée de séjour d'à peine plus de deux ans à la date de la décision en litige du 29 octobre 2022. L'intéressé, dont la demande d'asile a été définitivement rejetée par la Cour nationale du droit d'asile le 20 mai 2022, n'a entrepris aucune démarche pour régulariser sa situation et n'établit pas être isolé dans son pays d'origine. Il vit séparé de sa compagne de nationalité nigériane et de leur fille mineure, qui résident toutes deux à Béziers (Hérault). S'il fait valoir qu'il détient l'autorité parentale conjointe sur l'enfant et qu'une demande d'asile a été introduite en son nom par sa mère, il n'établit pas, par les éléments versés au dossier, dont la plupart sont postérieurs à la décision en litige, contribuer de manière effective à son entretien et à son éducation. M. B... se prévaut également de sa nouvelle relation avec une compatriote, bénéficiaire de la protection subsidiaire et titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle valable jusqu'au 18 février 2025, qui vivrait avec lui à Wintzenheim (Haut-Rhin) et qui serait enceinte de lui. Toutefois, en se bornant à produire le certificat de naissance et le titre de séjour de l'intéressée, ainsi qu'un document de la caisse d'allocations familiales du Haut-Rhin faisant état d'un début de grossesse le 13 juillet 2022, il n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations. Par suite, eu égard à la durée et aux conditions du séjour en France de M. B..., il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision en litige serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
En ce qui concerne la décision portant refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
7. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : (...) 8° L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, (...) qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale (...). ".
8. M. B..., qui a indiqué, lors de son audition par les services de la police aux frontières de Metz du 29 octobre 2022, résider à Wintzenheim, ne verse aux débats aucun élément permettant de justifier d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale. De même, s'il produit à hauteur d'appel une attestation de naissance et un certificat d'identification, il est constant que ces documents ont été établis les 28 novembre et 2 décembre 2022 et que, à la date de la décision en litige du 29 octobre 2022, il n'a pas été mis à même de présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité. Dans ces conditions, le préfet de la Moselle n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que le requérant ne présentait pas des garanties de représentation suffisantes et que, en l'absence de circonstances particulières, il existait un risque qu'il se soustraie à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet. Par suite, le moyen invoqué en ce sens doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant fixation du pays de destination :
9. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision en litige serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour en France :
10. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".
11. Il n'est pas contesté, ainsi qu'il a déjà été dit précédemment, que M. B... est le père d'une fille mineure, née le 3 mars 2018 et résidant avec sa mère à Béziers, et qu'il détient l'autorité parentale conjointe à l'égard de l'enfant. Dans ces conditions et alors que la présence de l'intéressé en France ne représente pas une menace pour l'ordre public, le préfet de la Moselle a commis une erreur d'appréciation en considérant que le requérant ne justifiait pas de liens personnels et familiaux intenses et stables en France et en prononçant à son encontre une interdiction de retour en France d'un an. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, il y a lieu de prononcer l'annulation de la décision en litige.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en tant qu'elle est dirigée contre la décision portant interdiction de retour en France pendant un an.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. B... ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de justice :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par M. B... en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 qui ne peuvent qu'être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207244 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg du 16 janvier 2023 est annulé uniquement en tant qu'il a rejeté les conclusions de la demande dirigées contre la décision du préfet de la Moselle du 29 octobre 2022 portant interdiction de retour en France pendant un an.
Article 2 : La décision du préfet de la Moselle du 29 octobre 2022 portant interdiction de retour en France pendant un an est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Sabatakakis et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Moselle.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Bauer, présidente,
- M. Meisse, premier conseiller,
- M. Barteaux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2024.
Le rapporteur,
Signé : E. MEISSE
La présidente,
Signé : S. BAUER
Le greffier,
Signé : F. LORRAIN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC00530 2