Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Gradel Décolletage Industries a demandé au tribunal administratif de Besançon de prononcer la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée ainsi que des majorations correspondantes qui lui ont été réclamés au titre de l'année 2016.
Par un jugement no 1901179 du 5 juillet 2021, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 30 juillet 2021 et 27 février 2023, la SAS Gradel Décolletage Industries, représentée par Me Ohana, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 juillet 2021 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'a pas agi en tant qu'assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de son activité courante lorsqu'elle a cédé la parcelle E 74, dès lors qu'il s'agit de la cession d'un élément de son patrimoine tandis que l'immobilisation de la parcelle à l'actif de son bilan dès son acquisition et l'absence de changement de consistance ou d'affectation ne permettent pas de qualifier cette cession d'opération économique réalisée en tant que telle ;
- il n'est pas démontré que la cession se soit accompagnée de dépenses de valorisation du bien, ni qu'elle se serait inscrite dans l'exploitation d'une activité d'achat en vue de la revente susceptible de produire des recettes récurrentes ou qu'elle constituerait le prolongement direct de l'activité de l'entreprise, si bien qu'elle ne présente pas le caractère d'une opération économique, ainsi qu'il ressort de la doctrine du 12 septembre 2012 référencée BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, n° 80.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 10 février 2022 et 2 novembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SAS Gradel Décolletage Industries ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mosser , première conseillère,
- et les conclusions de Mme Stenger, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Gradel Décolletage Industries, qui exerce une activité de décolletage, a acquis à Scionzier, le 4 juin 1998, une parcelle cadastrée E 74 consistant en un terrain à bâtir, pour un montant de 51 865,08 euros, et, le 24 décembre 1998, une parcelle E 75 jouxtant la première. Elle a cédé, en 2008, la parcelle E 75 à une société immobilière appartenant au même groupe qu'elle. Elle a ensuite cédé, le 27 octobre 2016, pour le montant de 500 000 euros, la parcelle E 74 à une société qui a, en parallèle, acquis la parcelle E75 dans le cadre d'un projet de réalisation d'un tènement immobilier à usage de commerce et/ou d'activité tertiaire. A l'issue de l'examen de comptabilité portant sur l'année 2016 dont la société Gradel a fait l'objet, l'administration fiscale a, par une proposition de rectification du 17 septembre 2018, établie dans le cadre de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 55 du livre des procédures fiscales, remis en cause l'absence d'assujettissement de la société à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de la cession de la parcelle E 74, qui avait uniquement donné lieu à des droits de mutation de 125 euros. Des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée et les intérêts de retard correspondants ont été mis en recouvrement le 30 novembre 2018 pour un montant total de 88 833 euros. La réclamation préalable formée par la société a été rejetée par une décision du 26 juin 2019. La société Gradel Décolletage Industries relève appel du jugement du 5 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. Aux termes de l'article 2 de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée et de l'article 256 du code général des impôts, sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens effectuées à titre onéreux " par un assujetti agissant en tant que tel ". Il résulte de ces dispositions, et notamment de leur interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'un assujetti doit agir " en tant que tel " pour qu'une opération puisse être soumise à la taxe sur la valeur ajoutée.
3. Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au cinquième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) / Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, (...). ". Aux termes de l'article 257 du même code, dans sa rédaction applicable : " I - Les opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions qui suivent. / (...) / 2. Sont considérés : 1° Comme terrains à bâtir (...) ".
4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.
5. Il résulte de l'instruction que la société Gradel Décolletage Industries a acquis, au cours de l'année 1998, un terrain à bâtir, cadastré E 74 sur le ban de la commune de Scionzier, ainsi que la parcelle E 75 jouxtant celui-ci et sur laquelle se trouvaient, ainsi qu'il ressort des précisions, non contestées, apportées par l'administration dans sa décision de rejet de la réclamation préalable, le siège et les locaux de la société. Lors de cette acquisition, la société requérante, qui est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de son activité économique, a inscrit le terrain à bâtir comme actif immobilisé dans sa comptabilité et procédé à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé cette opération, se comportant alors comme un assujetti agissant en tant que tel. La société ne produit d'ailleurs aucun document qui permettrait de justifier que ce terrain à bâtir avait été acquis, non pour les besoins de ses opérations taxées, mais à titre de placement immobilier. Elle ne conteste pas que le terrain à bâtir n'a pas changé de consistance ni d'affectation entre son acquisition et sa cession en 2016, la circonstance qu'il n'aurait pas été utilisé aux fins de son activité économique, au demeurant non établie, étant à cet égard sans incidence.
6. Enfin, si la société Gradel soutient que le bien était devenu étranger à son activité économique, elle n'apporte pas la moindre précision ni ne produit d'élément en ce sens. La cession du terrain à bâtir en litige, opérée de manière concomitante à la cession de la parcelle sur laquelle se situaient le siège et locaux de la société, permet au contraire de considérer qu'elle est intervenue dans le cadre de son objectif d'entreprise, la durée de détention de la parcelle et l'absence de dépenses de valorisation du bien avant sa cession étant, en l'espèce, sans incidence sur cette appréciation.
7. Dans ces conditions, en procédant à la cession de son terrain à bâtir, la société Gradel Décolletage Industries s'est livrée à une activité économique réalisée par un assujetti en tant que tel, passible de la taxe sur la valeur ajoutée. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a remis en cause son absence d'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée et a, en conséquence, mis à sa charge les droits de taxe sur la valeur ajoutée correspondant au prix de cession dudit terrain à bâtir.
Sur l'interprétation administrative de la loi :
8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors applicable : " (...). / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ".
9. La société requérante se prévaut du paragraphe 80 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-TVA-IMM-10-10-10-10, qui énonce que " (...) la cession d'un actif inscrit au bilan présente normalement le caractère d'une opération économique réalisée en tant que telle. Il en va ainsi si elle s'accompagne de dépenses de valorisation du bien cédé, si elle s'inscrit dans l'exploitation d'une activité d'achat en vue de la revente susceptible de produire des recettes récurrentes, ou plus généralement si elle constitue le prolongement direct de l'activité de l'entreprise. En revanche, la cession d'un immeuble (...) réalisée par une entreprise qui, à cette occasion, vise seulement à mieux tirer parti d'un bien devenu étranger à son activité économique peut être considérée comme hors du champ d'application de la taxe sur la valeur ajoutée (...) ". Ce paragraphe ne comporte toutefois pas d'interprétation différente de la loi fiscale. Par suite, la société n'est pas fondée à l'invoquer sur le fondement des dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
10. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Gradel Décolletage Industries n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à la décharge des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Gradel Décolletage Industries est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Gradel Décolletage Industries et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Rousselle, présidente,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 mars 2024.
La rapporteure,
Signé : C. Mosser La présidente,
Signé : P. Rousselle
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 21NC02194