Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 17 avril 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler son attestation de demande d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer sa situation et à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de la mesure d'éloignement jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile, et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2303000 du 20 juin 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de la préfète du Bas-Rhin du 17 avril 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français, a suspendu l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. A...
Procédure devant la cour :
I. Par une requête enregistrée sous le n° 23NC02042 le 26 juin 2023, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à exécution du jugement du 20 juin 2023.
Elle soutient que :
- il existe un moyen sérieux de nature à justifier l'annulation dès lors que l'édiction d'une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français n'est pas subordonnée à l'existence d'une menace pour l'ordre public ;
- M. A... ne bénéficie plus du droit au maintien en raison de l'introduction d'une seconde demande de réexamen de sa demande d'asile.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2023, M. A..., représenté par Me Chavkhalov conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2023.
II. Par une requête enregistrée le 26 juin 2023 sous le numéro 22NC02043, la préfète du Bas-Rhin demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 20 juin 2023 en tant qu'il annule la décision du 17 avril 2023 portant interdiction de retour sur le territoire français et qu'il suspend l'exécution de la décision portant obligation de quitter le territoire français du 17 avril 2023 jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ;
2°) de rejeter les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif.
Elle soutient que :
- l'édiction d'une mesure d'interdiction de retour sur le territoire français et la fixation de sa durée ne sont nullement subordonnées à l'existence d'une menace à l'ordre public ;
- l'article L. 725-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit la possibilité de suspendre une décision portant obligation de quitter le territoire français dans le cas d'un étranger dont le droit au maintien a pris fin en application du 1° de l'article L. 542-2 du même code et non du 2° de ce même article.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 août 2023, M. A..., représenté par Me Chavkhalov conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Peton, première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant russe, est entré sur le territoire français le 1er février 2014. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 8 juillet 2015 dont la décision a été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) 17 février 2016. Il a ensuite présenté une première demande de réexamen de sa demande d'asile rejetée par l'OFPRA pour irrecevabilité le 30 décembre 2016 puis par la CNDA le 24 mai 2017. A la suite de ces décisions, M. A... a fait l'objet de décisions portant obligation de quitter le territoire français le 4 mai 2016 et 5 avril 2018. M. A... a présenté une seconde demande de réexamen le 17 avril 2023. Par un arrêté du 17 avril 2023, la préfète du Bas-Rhin a refusé de renouveler l'attestation de demandeur d'asile de M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourrait être renvoyé et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre afin de statuer par un seul arrêt, la préfète du Bas-Rhin relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 20 juin 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et a suspendu la décision portant obligation de quitter le territoire français jusqu'à la notification de la décision de la Cour nationale du droit d'asile.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
2. Aux termes de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
3. Il résulte des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, tenir compte des critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
5. En l'espèce, il ressort de la décision en litige que, pour prononcer une interdiction de retour sur le territoire français à l'encontre de M. A... d'une durée d'un an, la préfète du Bas-Rhin a pris en compte le fait que l'intéressé a déjà fait l'objet de deux obligations de quitter le territoire français le 4 mai 2016 et le 5 avril 2018 d'une part, et que la mesure ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale d'autre part. Alors même qu'il est présent en France depuis neuf ans, M. A..., qui se maintient irrégulièrement sur le territoire français, n'établit pas de l'intensité de ses liens avec la France. Par suite, la préfète du Bas-Rhin n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision litigieuse au motif que la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur manifeste d'appréciation. Il appartient dès lors à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... à l'encontre de la décision contestée.
Sur les autres moyens soulevés devant le tribunal :
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. En premier lieu, par un arrêté du 6 avril 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, la préfète du Bas-Rhin a donné à Mme D... délégation de signature à l'effet de signer notamment les obligations de quitter le territoire français prises en application de l'article L. 611-1 4° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en cas d'absence ou d'empêchement de M. B..., chef du bureau de l'asile et de la lutte contre l'immigration irrégulière. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
8. En second lieu, si M. A... soutient que la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ce moyen ne peut qu'être écarté comme inopérant dès lors qu'une telle décision n'a ni pour objet ni pour effet de déterminer un pays de renvoi.
S'agissant de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français doit être annulée par voie de conséquence de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
10. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour ".
11. M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'en prononçant la décision litigieuse, la préfète du Bas-Rhin a commis une erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que les dispositions de l'article L 612-6 du même code dont il se prévaut ne concernent que l'hypothèse d'une interdiction de retour assortie à une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.
Sur les conclusions aux fins de suspension :
12. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci. ".
13. En l'espèce, il est constant que M. A... ne bénéficie plus du doit au maintien sur le territoire français en vertu des dispositions du c du 2° de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile après avoir présenté présente une nouvelle demande de réexamen après le rejet définitif de sa première demande de réexamen de sa demande d'asile. Dès lors, le tribunal ne pouvait prononcer la suspension de la décision portant obligation de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions de l'article L. 752-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquelles ne comprennent pas la fin du droit au maintien relevant du c du 2° de l'article L. 542-2 du même code.
14. Il résulte de ce qui précède que la demande présentée par M. A... devant le tribunal doit être rejetée.
Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution du jugement attaqué :
15. Par le présent arrêt, la cour se prononce sur l'appel de la préfète du Bas-Rhin contre le jugement du 20 juin 2023. Par suite, les conclusions aux fins de sursis à exécution de ce jugement sont devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les frais liés à l'instance :
16. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
17. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 23NC02042 de la préfète du Bas-Rhin à fin de sursis à exécution du jugement du 3 mars 2023 du tribunal administratif de Strasbourg.
Article 2 : Le jugement n° 2303000 du tribunal administratif de Strasbourg du 20 juin 2023 est annulé.
Article 3 : Les demandes présentées par M. A... devant le tribunal administratif de Strasbourg sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, et à M. E... A....
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Guidi, présidente
- Mme Peton, première conseillère,
- Mme Mosser, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 avril 2024.
La rapporteure,
Signé : N. Peton La présidente,
Signé : L. Guidi
La greffière,
Signé : M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
M. C...
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N° 23NC02042 et 23NC02043