Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a abrogé son attestation de demande d'asile, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai et l'a astreinte à se présenter à la brigade mobile de recherche de Mulhouse une fois par semaine.
Par un jugement n° 2305656 du 21 septembre 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 octobre 2023, Mme B..., représentée par Me Airiau, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 21 septembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 juin 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Haut-Rhin de l'admettre provisoirement au séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- en application des dispositions des articles L. 541-1, L. 542-1 et L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle bénéficiait du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la date de notification de la décision d'irrecevabilité de sa demande de réexamen ; à défaut de preuve de la date de notification de la décision de rejet de l'OFPRA, elle ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 1er février 2024, le préfet du Haut-Rhin conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Kohler, présidente assesseure,
- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante nigériane, est entrée en France le 13 octobre 2019 afin d'y solliciter la reconnaissance du statut de réfugié. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision du 23 septembre 2021 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée le 17 mars 2022 par la Cour nationale du droit d'asile. Elle a alors fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français par un arrêté du 1er avril 2022. Elle a ensuite présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile, qui a été rejetée comme irrecevable par une décision du 3 août 2022. Par des arrêtés du 18 avril 2023, le préfet du Haut-Rhin l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et l'a assignée à résidence. Par un jugement du 2 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces décisions et a enjoint au préfet du Haut-Rhin de réexaminer sa situation. Par un arrêté du 15 juin 2023, le préfet du Haut-Rhin a abrogé l'attestation de demande d'asile dont Mme B... était titulaire, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office à l'expiration de ce délai. Mme B... fait appel du jugement du 21 septembre 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3°(...) ". Aux termes de l'article L. 542-1 du même code dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci ". Aux termes de l'article L. 542-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 542-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin : 1° Dès que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a pris les décisions suivantes : (...) b) une décision d'irrecevabilité en application du 3° de l'article L. 531-32 (...) ". Aux termes de l'article L. 531-32 de ce code : " L'Office français de protection des réfugiés et apatrides peut prendre une décision d'irrecevabilité écrite et motivée, sans vérifier si les conditions d'octroi de l'asile sont réunies, dans les cas suivants : (...) 3° En cas de demande de réexamen lorsque, à l'issue d'un examen préliminaire effectué selon la procédure définie à l'article L. 531-42, il apparaît que cette demande ne répond pas aux conditions prévues au même article ".
3. En application de ces dispositions combinées, le droit au maintien d'un ressortissant étranger qui a présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile prend fin, par dérogation à l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès que l'OFPRA a pris une décision d'irrecevabilité de cette demande en application du 3° de l'article L. 531-32 du même code, c'est-à dire à la date d'édiction de cette décision et non à la date de sa notification.
4. En l'espèce, Mme B..., dont la demande de réexamen de la demande d'asile a été rejetée comme irrecevable en application du 3° de l'article L. 531-32 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, n'avait plus de droit au maintien sur le territoire à compter de la décision d'irrecevabilité de l'OFPRA du 3 août 2022. En conséquence, au regard de ce qui a été dit au point précédent, le préfet pouvait, le 15 juin 2023, l'obliger, en application des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à quitter le territoire français. Par suite le moyen tiré de de la méconnaissance des dispositions citées au point 2 du présent arrêt doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
6. A l'appui de son moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées, Mme B... se prévaut de la durée de son séjour, de la scolarisation de son enfant et de sa prise en charge associative, notamment par l'association " Mouvement du Nid ". Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle ne résidait en France que depuis un peu plus de trois ans à la date de la décision en litige. Elle ne démontre par ailleurs pas y avoir des liens d'une ancienneté ou intensité particulières. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement en litige ne peut être regardée comme portant au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
Sur la décision fixant le pays de destination :
7. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 6 que le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de destination devrait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
8. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. Mme B... soutient qu'elle serait exposée à des risques de traitements contraires à ces stipulations en cas de retour au Nigéria en raison de son appartenance au groupe social des femmes nigérianes contraintes par un réseau de traite des êtres humains à des fins d'exploitation sexuelle et parvenues à s'en extraire. La seule attestation qu'elle produit, émanant de l'association " Mouvement du Nid ", ne permet toutefois pas, à elle-seule, d'établir que Mme B... a effectivement été la victime d'un réseau de prostitution dont elle serait parvenue à s'extraire. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juin 2023. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête aux fins d'injonction sous astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent également être rejetées.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à Me Airiau et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet du Haut-Rhin.
Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Ghisu-Deparis, présidente,
- Mme Kohler, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2024.
La rapporteure,
Signé : J. KohlerLa présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé : N. Basso
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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N° 23NC03163