Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 3 février 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite.
Par un jugement n° 2103311 du 8 juillet 2021, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision fixant le délai de départ volontaire et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 avril 2022 et le 15 décembre 2023, Mme B... A..., représentée par Me Boukara, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juillet 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 février 2021 en tant que la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " et subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêté à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat deux fois la somme de 1 800 euros à verser à son conseil respectivement au titre de la première instance et de l'instance d'appel, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure suivie devant la cour a méconnu le principe de l'égalité des armes, dès lors que le mémoire produit par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) lui a été communiqué 15 jours seulement avant la clôture de l'instruction ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en ce qui concerne la réponse au moyen tiré de ce que la préfète s'est estimée liée par l'avis de l'OFII ;
En ce qui concerne la décision portant refus de certificat de résidence :
- l'avis du collège de médecins de l'OFII a été rendu irrégulièrement dès lors que cette instance s'est prononcée sur la base d'un rapport médical incomplet ;
- l'OFII a produit des fiches MEDCOI, sans produire la décision du 7 octobre 2021, au demeurant postérieure à l'avis médical, qui fixe la politique d'accès restreint à la base de données dont sont issues ces dernières ; les fiches produites par l'OFII pour le Laroxyl et le Lexomil ont une date postérieure à l'avis médical ; l'OFII ne prouve pas que les autres médicaments pris par la requérante sont effectivement disponibles ; l'OFII ne tient pas compte des orientations générales définies par l'arrêté du 5 janvier 2017, ni de la nécessité de préserver le lien thérapeutique avec le psychiatre qui l'a suit ;
- la décision en litige est entachée d'une erreur de droit dès lors que la préfète s'est estimée liée par l'avis du collège de médecins de l'OFII ;
- elle méconnaît l'article 6-7 de l'accord franco-algérien et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée au regard de ce qu'imposait la situation sanitaire ;
- elle doit être annulée en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfète du Bas-Rhin, à laquelle la procédure a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Mme A... ayant levé le secret médical, par un courrier du 11 octobre 2023, la cour a demandé à l'OFII de produire le dossier médical au vu duquel le collège de médecins à statuer et de préciser si ce dernier dispose, lorsqu'il se prononce une seconde fois sur l'état de santé d'un étranger, d'autres éléments que le rapport médical du médecin instructeur ainsi que, plus généralement, les éléments auquel il a accès pour apprécier l'état de santé de l'étranger.
L'OFII a produit les pièces demandées le 24 novembre 2023 qui ont été communiquées.
L'OFII a produit des observations, enregistrées le 29 novembre 2023, qui ont été communiquées.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle de Nancy du 14 mars 2022, Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 5 janvier 2017 fixant les orientations générales pour l'exercice par les médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, de leurs missions prévues à l'article L. 313-11 (11°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers, et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Barteaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante algérienne, est entrée en France, le 19 février 2015, sous couvert d'un visa de court séjour. Elle a été admise au séjour en raison de son état de santé d'abord par la délivrance d'autorisations provisoires de séjour, puis par celle d'un certificat de résidence valable du 17 février 2017 au 16 février 2018, dont elle a sollicité le renouvellement le 7 février 2018. Par un jugement du 29 avril 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 avril 2019 par lequel le préfet du Bas-Rhin a refusé de renouveler son titre de séjour. Le 9 juillet 2020, Mme A... a déposé une nouvelle demande de titre de séjour pour raison de santé. Par un arrêté du 3 février 2021, la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite. Mme A... fait appel du jugement du 8 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur la procédure devant la cour :
2. Le mémoire produit par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) en qualité d'observateur, enregistré le 29 novembre 2023, a été communiqué, par l'application télérecours, au conseil de la requérante le lendemain. Si, par une ordonnance du 30 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 15 décembre suivant, cette circonstance n'a pas fait obstacle, eu égard à la teneur des observations de l'OFII et aux pièces produites par celui-ci, à ce que Mme A... en prenne connaissance et y réponde, ce qu'elle a d'ailleurs fait par un mémoire enregistré avant la clôture d'instruction. Par suite, le moyen tiré de la rupture de l'égalité des armes, garantie par le paragraphe 1er de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis (...) au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé (...) ". Aux termes de l'article R. 313-23 du même code, alors en vigueur : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 313-22 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre (...). Il transmet son rapport médical au collège de médecins. / (...) / Le collège à compétence nationale, composé de trois médecins, émet un avis (...). Le médecin ayant établi le rapport médical ne siège pas au sein du collège. / (...) / L'avis est rendu par le collège dans un délai de trois mois à compter de la transmission du certificat médical. (...) / L'avis est transmis au préfet territorialement compétent, sous couvert du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ". Aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 susvisé : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté ". Aux termes de l'article 6 du même arrêté : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis, conformément au modèle figurant à l'annexe C du présent arrêté, précisant : a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; d) la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis mentionne les éléments de procédure. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que le rapport médical établi par le médecin instructeur ne comporte pas l'ensemble des précisions requises par les dispositions précitées, et en particulier celles prévues pour le formulaire mentionné à l'annexe B de l'arrêté du 27 décembre 2016. Ainsi, s'agissant plus particulièrement de la pathologie psychiatrique dont souffre Mme A..., le médecin rapporteur, dans la rubrique relative à son état mental actuel, a mentionné " inchangé depuis la précédente demande ", ne permettant pas au collège de médecins d'apprécier son état de santé en l'absence de précisions sur les caractéristiques de sa maladie. Si la production par l'OFII, à la suite d'une mesure d'instruction, du dossier médical au vu duquel le collège de médecins a émis son avis permet à la cour de constater que ce collège a eu accès au certificat médical confidentiel produit par la requérante à l'appui de sa demande, il n'est, en revanche, aucunement établi que les membres du collège ont effectivement eu à leur disposition le rapport rédigé par un médecin de l'office lors de la précédente demande de titre de séjour présentée par la requérante et auquel renvoyait le rapport médical. La seule connaissance du certificat médical confidentiel n'est pas de nature à suppléer à l'incomplétude du rapport médical rédigé par le médecin de l'office. Il s'ensuit que la procédure suivie dans le cadre de la saisine pour avis du collège de médecins de l'OFII est irrégulière. Ce vice de procédure a privé la requérante d'une garantie. Par suite, Mme A... est fondée à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision par laquelle la préfète du Bas-Rhin a refusé de lui délivrer un titre de séjour et, par voie de conséquence, celle des décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué et les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 3 février 2021 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a seulement lieu d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de réexaminer la situation de Mme A... et de prendre une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais de l'instance :
7. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Boukara, avocate de la requérante, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Boukara la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 8 juillet 2021 est annulé en tant qu'il n'a pas annulé les décisions du 3 février 2021 par lesquels la préfète
du Bas-Rhin a refusé la délivrance à Mme A... d'un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination.
Article 2 : Les décisions du 3 février 2021 de la préfète du Bas-Rhin refusant à Mme A... la délivrance d'un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la préfète du Bas-Rhin de procéder au réexamen de la situation de la requérante dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Boukara, avocate de Mme A..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Boukara renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Boukara et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la préfète du Bas-Rhin et à l'OFII.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Barteaux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.
Le rapporteur,
Signé : S. BARTEAUX
Le président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 22NC00917 2