Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 26 décembre 2022 par lequel le préfet des Vosges a procédé au retrait de la décision du 16 mars 2021 lui délivrant un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination duquel il pourra être reconduit.
Par un jugement n° 2300643 du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Nancy a, d'une part, annulé l'arrêté du 26 décembre 2022, d'autre part, mis à la charge de l'Etat le versement à Me Géhin de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2023, la préfète des Vosges demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du 6 juin 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ;
3°) de retirer le bénéfice de l'aide juridictionnelle à M.B... ;
4°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges ont méconnu leur office en n'examinant pas les raisons pour lesquelles M. B... n'avait pas sollicité de rendez-vous aux fins de présenter des observations orales ;
- M. B... ne démontre pas qu'il aurait été empêché de prendre rendez-vous en ligne, ni qu'il aurait tenté sans succès de prendre ledit rendez-vous ;
- il a pu présenter tout élément utile par l'intermédiaire de son conseil, dans le cadre de ses observations écrites ;
- il n'a été privé d'aucune garantie tandis que la présentation d'observations orales n'aurait pas conduit à adopter une décision différente.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2024, M. B..., représenté par Me Géhin, demande à la cour de rejeter la requête de la préfète des Vosges et de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par la préfète des Vosges ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier ;
- les observations de Me Géhin, avocat de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant malien déclarant être né le 15 septembre 2002, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 1er juillet 2019 selon ses déclarations, à l'âge de 16 ans et a été confié à l'aide sociale à l'enfance du département des Vosges en septembre 2019. Par une décision du 16 mars 2021, le préfet des Vosges lui a accordé le bénéfice d'une carte de séjour portant la mention " travailleur temporaire " sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version alors en vigueur. Toutefois, par un courrier du 20 octobre 2022, le préfet des Vosges l'a informé qu'il envisageait de retirer sa décision du 16 mars 2021 et de lui faire obligation de quitter le territoire français et l'a invité à faire connaître ses observations dans un délai de quinze jours. M. B... a présenté des observations écrites par un courrier du 4 novembre 2022. Par un arrêté du 26 décembre 2022, la préfète des Vosges a procédé au retrait de sa décision du 16 mars 2021, a fait obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. La préfète des Vosges relève appel du jugement n° 2300643 du 6 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté et a mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au bénéfice du conseil de l'intéressé.
Sur la légalité de l'arrêté du 26 décembre 2022 :
2. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) doivent être motivées les décisions qui : (...) ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (...) ". Aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 122-1 : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ".
3. La décision portant retrait de la décision accordant un titre de séjour est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au bénéficiaire du titre de séjour d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Les dispositions précitées font également obligation à l'autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d'audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu'elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n'est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu'elle peut être écartée.
4. Le respect du caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration constitue une garantie pour le bénéficiaire de la décision créatrice de droits que l'autorité administrative entend rapporter.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 26 décembre 2022 par lequel le préfet des Vosges a, notamment, procédé au retrait de sa décision du 16 mars 2021 accordant à M. B... un titre de séjour en qualité de " travailleur temporaire " est intervenu après que l'intéressé a été mis à même de présenter des observations écrites par un courrier qu'il a adressé aux services de la préfecture le 4 novembre 2022 par l'intermédiaire de conseil. Il n'est en revanche pas contesté qu'il n'a pas été donné suite à sa demande, présentée dans ce même courrier, de pouvoir présenter des observations orales et qu'un rendez-vous lui soit fixé à cette fin avec toute personne habilitée à instruire son dossier.
6. D'une part, il ressort de ce qui a été dit au point 3 ci-dessus, que la circonstance que M. B... avait pu présenter des observations écrites n'était pas de nature à dispenser l'autorité administrative de faire droit à sa demande tendant à présenter des observations orales. De même, la préfète des Vosges ne saurait utilement soutenir que les observations qu'il aurait pu présenter, notamment sur son intégration, n'auraient exercé aucune influence sur le sens de sa décision.
7. D'autre part, la préfète n'allègue ni n'établit que la demande d'audition présentée par M. B... aurait revêtu un caractère abusif. Les services de la préfecture étaient ainsi tenus de faire droit à la demande formulée par l'intéressé, sans que la préfète ne puisse utilement soutenir qu'il revenait à l'intéressé de prendre rendez-vous en ligne sur le site internet de la préfecture. La préfète des Vosges n'allègue par ailleurs pas que des circonstances exceptionnelles auraient fait obstacle à l'organisation d'un entretien. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que le défendeur aurait bénéficié d'une mesure équivalente à la présentation d'observations orales sur le retrait de son titre de séjour. M. B... est ainsi fondé à soutenir qu'il a été privé de la garantie de présenter des observations orales telle que prévue à l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, il est fondé à soutenir que la décision du 26 décembre 2022 par laquelle le préfet des Vosges a retiré la décision du 16 mars 2021 est entachée d'un vice de procédure.
8. Il résulte de ce qui précède que la préfète des Vosges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 6 juin 2023, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 décembre 2022. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'annulation de la décision des premiers juges de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au conseil de M. B... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, en tout état de cause, celles tendant au retrait du bénéfice de l'aide juridictionnelle au défendeur.
Sur les frais de l'instance :
9. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens.
10. D'autre part, M. B... n'établit pas avoir déposé de demande d'aide juridictionnelle. En l'absence de décision d'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, Me Géhin n'est pas fondé à demander que l'Etat lui verse une somme sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète des Vosges est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par Me Géhin sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Géhin et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète des Vosges.
Délibéré après l'audience du 5 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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N° 23NC02164