Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 13 janvier 2023 par lequel la préfète des Vosges a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays de destination.
Par un jugement no 2300442 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Nancy a annulé cet arrêté.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 juin 2023, la préfète des Vosges demande à la cour :
1°) de mettre en cause l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif du 1er juin 2023 ;
3°) de rejeter la demande de M. A... B....
Elle soutient que :
- le secret médical n'ayant pas été levé, le requérant ne pouvait pas contester le sens de l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII et le tribunal ne pouvait pas prendre en considération les éléments médicaux produits par l'intéressé ;
- le tribunal, saisi d'un moyen relatif à l'état de santé du requérant, n'a pas sollicité de l'OFII la communication du dossier médical ;
- en ne statuant pas sur la disponibilité des traitements dans le pays d'origine, le tribunal a méconnu la portée de son office.
La procédure a été communiquée à l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui a produit des observations le 17 août 2023.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2024, M. A... B..., représenté par Me Pialat, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 1 200 euros soit mise à la charge de l'Etat en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- il n'y a plus lieu de statuer sur la requête ;
- les moyens soulevés par la préfète ne sont pas fondés ;
- la décision portant refus de séjour est entachée d'un vice de procédure, la preuve que le médecin rapporteur n'ait pas siégé au sein du collège de médecins de l'OFII n'étant pas rapportée ;
- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que la préfète s'est estimée en situation de compétence par rapport à l'avis du collège des médecins de l'OFII ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée en conséquence de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle ;
- la décision fixant le pays de destination doit être annulée en conséquence de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français.
M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 août 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Berthou a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... A... B..., ressortissant congolais né le 4 avril 1986, est entré en France le 22 juillet 2021 muni d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour. Sa demande d'asile formée le 2 novembre 2021 a été rejetée par une décision du 29 avril 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmée par une décision du 25 novembre 2022 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Le 2 novembre 2021, M. A... B... a également sollicité la délivrance d'un titre de séjour en se prévalant de son état de santé. Par un arrêté du 13 janvier 2023, la préfète des Vosges a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en fixant le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné. Par un jugement du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Nancy a fait droit à la demande de M. A... B... et a annulé cet arrêté. La préfète des Vosges demande l'annulation de ce jugement et le rejet des conclusions présentées en première instance par M. A... B....
Sur l'exception de non-lieu à statuer opposée en défense :
2. La circonstance que, par un jugement du 28 juin 2024, le tribunal administratif de Nancy a annulé un nouveau refus de titre de séjour opposé par la préfète des Vosges à la suite de l'injonction de réexamen n'est pas de nature à priver d'objet la présente requête. Il y a, par suite, lieu de statuer sur la requête d'appel présentée par la préfète des Vosges.
Sur la régularité du jugement :
3. Aux termes l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé ". Selon l'article R. 425-11 de ce code : " Pour l'application de l'article L. 425-9, le préfet délivre la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'office et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. / Les orientations générales mentionnées au troisième alinéa de l'article L. 425-9 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé ". Aux termes de l'article R. 425-12 du même code : " Le rapport médical mentionné à l'article R. 425-11 est établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à partir d'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement le demandeur ou par un médecin praticien hospitalier inscrits au tableau de l'ordre ". L'article 3 de l'arrêté du 27 décembre 2016 de la ministre des affaires sociales et de la santé et du ministre de l'intérieur relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Au vu du certificat médical et des pièces qui l'accompagnent ainsi que des éléments qu'il a recueillis au cours de son examen éventuel, le médecin de l'office établit un rapport médical, conformément au modèle figurant à l'annexe B du présent arrêté ". Enfin, l'article 6 du même arrêté dispose : " Au vu du rapport médical mentionné à l'article 3, un collège de médecins désigné pour chaque dossier dans les conditions prévues à l'article 5 émet un avis ".
4. En vertu des dispositions précitées, le collège des médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016 cité au point précédent, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'OFII. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
5. Par suite, les premiers juges, qui se sont estimés suffisamment éclairés par les pièces déjà versées au dossier, pouvaient ne pas demander la communication des sources documentaires utilisées par le collège des médecins de l'OFII pour apprécier notamment la disponibilité effective d'un traitement au Congo Brazzaville, au vu desquelles le collège des médecins a émis l'avis du 2 décembre 2022. Il résulte de ce qui précède que la préfète des Vosges n'est pas fondée à soutenir qu'en ne faisant pas usage de leurs pouvoirs d'instruction, les premiers juges auraient méconnu leur office.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat (...) ".
7. En vertu des dispositions précitées, le collège des médecins de l'OFII, dont l'avis est requis préalablement à la décision du préfet relative à la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9, doit émettre son avis dans les conditions fixées par l'arrêté du 27 décembre 2016, au vu notamment du rapport médical établi par un médecin de l'OFII. S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération l'avis médical rendu par le collège des médecins de l'OFII. Si le demandeur entend contester le sens de cet avis, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
8. Pour refuser à M. A... B... le titre de séjour sollicité, la préfète des Vosges s'est notamment fondé sur l'avis du collège de médecins de l'OFII du 2 décembre 2022, aux termes duquel si l'état de santé de M. A... B... nécessite une prise en charge médicale, le défaut de celle-ci ne devrait pas entraîner pour lui de conséquences d'une exceptionnelle gravité. L'avis précise que l'état de santé du requérant lui permet de voyager sans risque vers son pays d'origine. Pour remettre en cause cet avis, le requérant, levant ainsi le secret médical, produit un certificat médical circonstancié établi le 1er juillet 2022 par un médecin psychiatre praticien hospitalier, évoquant des idées suicidaires liées à un stress post traumatique, qui conclut que tout retour de l'intéressé dans son pays d'origine représente un danger. Le requérant produit également un certificat médical du 27 janvier 2023, postérieur à la décision attaquée, mais faisant état d'un suivi depuis janvier 2022 pour un syndrome post traumatique sévère associé à des phobies sociales et un syndrome dépressif majeur et concluant à de gros risques suicidaires en l'absence de soins. Ce certificat précise que les soins prennent la forme non seulement de prises médicamenteuses mais également d'un suivi par un médecin psychiatre, un psychologue et par le centre d'accueil thérapeutique à temps partiel. Ces éléments suffisent à remettre en cause l'analyse de la préfète et du collège de médecins de l'OFII selon laquelle le défaut de prise en charge médicale de M. A... B... ne devrait pas entraîner pour lui de conséquences d'une exceptionnelle gravité. L'arrêté attaqué méconnaît ainsi les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la préfète des Vosges n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté contesté.
Sur les frais de l'instance :
10. M. A... B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve que Me Pialat, avocat du requérant, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pialat la somme de 1 000 euros.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la préfète des Vosges est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Pialat, avocat de M. A... B..., une somme de 1 000 euros en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B..., à Me Pialat et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée pour information à la préfète des Vosges et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2024.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC02005 2