Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL ABN a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 2 décembre 2019 par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand Est lui a infligé une amende de 9 000 euros pour manquement aux dispositions de l'article L. 3171-2 du code du travail.
Par un jugement no 2000230 du 26 juillet 2021, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2021, la société ABN, représentée par Me Delans, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 26 juillet 2021 ;
2°) d'annuler cette décision du 2 décembre 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- le jugement est entaché d'insuffisance de motivation, les premiers juges n'ayant pas fait référence au critère légal de la gravité du manquement ;
S'agissant du bien-fondé de la décision du 2 décembre 2019 :
- la décision en litige est entachée d'erreur d'appréciation quant au choix de l'amende administrative plutôt que de l'avertissement, dès lors, d'une part, que le contrôle du 7 décembre 2017 n'avait pas donné lieu à un rappel de l'obligation d'établir un décompte individuel du temps de travail, d'autre part, que l'entreprise s'est mise en conformité dès après le contrôle du 28 février 2019 et, enfin, que la mise en demeure du 16 avril 2019 ne visait que la mise en place du décompte quotidien et non hebdomadaire des horaires ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à la gravité du manquement, dès lors que le décompte quotidien permet de contrôler facilement le respect des durées de travail et de repos, qu'un seul manquement a été commis par l'entreprise, que l'administration n'a jamais exigé la mise en place d'un décompte hebdomadaire et, enfin, que les autres irrégularités relevées en décembre 2017 ont toutes été régularisées ;
- aucune mauvaise foi ne peut être retenue contre elle dans les circonstances de l'espèce ;
- la décision en litige méconnaît le principe d'individualisation de la peine, en l'absence de prise en compte de ses ressources et de ses charges ;
- l'administration ne pouvait pas, pour apprécier le choix de la sanction, se prévaloir des " circonstances liées au contrôle précédent effectué le 7 septembre 2017 ".
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL ABN ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,
- les observations de M. A..., représentant la ministre du travail et de l'emploi.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un contrôle effectué le 28 février 2019 par l'inspection du travail au sein de l'enseigne " Boulangerie Mozart " à Reims, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est a, par une décision du 2 décembre 2019, infligé à la société ABN une amende d'un montant de 9 000 euros, en application de l'article L. 8115-1 du code du travail pour avoir méconnu, s'agissant de dix-huit salariés, l'obligation d'établir un décompte de la durée de travail telle que prévue à l'article L. 3171-2 du code du travail. La SARL ABN relève appel du jugement du 26 juillet 2021 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort du jugement attaqué que, pour écarter le moyen tiré du caractère disproportionné de l'amende mise à la charge de la société ABN, les premiers juges ont tenu compte des critères d'appréciation fixés à l'article L. 8115-3 du code du travail et considéré que le montant de la sanction prononcée était adapté aux circonstances et à la gravité des manquements ainsi qu'au comportement de leur auteur, comme à ses ressources et à ses charges. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le jugement attaqué serait entaché de défaut de motivation quant au critère de la gravité du manquement.
Sur le bien-fondé de la sanction administrative :
3. Aux termes de l'article L. 3171-2 du code du travail : " Lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés ". En vertu de l'article D. 3171-8 du même code : " Lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe, au sens de l'article D. 3171-7, ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, la durée du travail de chaque salarié concerné est décomptée selon les modalités suivantes : 1° Quotidiennement, par enregistrement, selon tous moyens, des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies ; 2° Chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d'heures de travail accomplies par chaque salarié ". Il résulte de ces dispositions que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible.
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : (...) ; 3° A l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ; (...) ". Aux termes de l'article L. 8115-3 du même code : " Le montant maximal de l'amende est de 4 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 8115-4 : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges ".
En ce qui concerne le choix de la sanction :
5. Il résulte de l'instruction qu'à la suite du contrôle effectué au sein de l'entreprise ABN le 28 février 2019, qui avait révélé l'existence d'horaires distincts réalisés par les quatre salariés alors présents, et après l'entretien réalisé le 25 mars 2019 avec l'employeur, qui avait reconnu ne pas tenir de document de décompte du temps de travail, l'agent de contrôle a, par un courrier du 16 avril 2019, informé la société ABN qu' " en l'absence de relevés horaires " dans l'entreprise, il envisageait de rédiger un rapport en vue d'une sanction administrative, conformément aux dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, à raison d'un manquement " à l'article L. 3171-2 relatif à l'établissement d'un décompte de la durée de travail et aux dispositions réglementaires prises pour son application ". La société requérante ne conteste pas qu'à la date à laquelle le contrôle a été réalisé, pas plus d'ailleurs qu'à la date à laquelle elle a été informée de l'intention de l'agent de contrôle de transmettre un rapport en vue du prononcé d'une sanction, elle n'avait pas mis en place de décompte quotidien et hebdomadaire des heures de travail accomplies par chacun de ses salariés, en méconnaissance de l'obligation prévue aux articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail. Il résulte de l'instruction que ce n'est qu'après réception du courrier du 25 septembre 2019 par lequel la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Grand Est l'a informée de son intention de lui infliger une amende et l'a invitée à présenter ses observations, que son gérant a produit des relevés de temps de travail quotidien pour les mois d'avril à septembre 2019. Toutefois, et ainsi que l'a retenu l'autorité administrative dans sa décision du 2 décembre 2019 en litige, ces documents de décompte ne comportent pas la mention du total hebdomadaire des heures de travail si bien que l'entreprise ne s'était, à cette date, que partiellement mise en conformité avec la réglementation qu'elle avait méconnue.
6. D'une part, et ainsi que la société ABN en justifie, le précédent contrôle réalisé le 7 décembre 2017 au sein de l'entreprise par l'agent de contrôle avait donné lieu, entre autres constats, à un rappel de l'obligation d'affichage des horaires de travail du personnel conformément aux articles L. 3171-1 et D. 3171-2 du code du travail. En revanche, il ne ressort d'aucune des pièces produites que l'agent de contrôle aurait évoqué les obligations relatives au décompte du temps de travail résultant des articles L. 3171-2 et D. 3171-8 du même code. Néanmoins, contrairement à ce que la société requérante soutient, l'absence d'un précédent constat ou rappel à l'ordre sur ce point ne fait aucunement obstacle à ce que ce manquement soit constaté à l'occasion d'un contrôle postérieur.
7. D'autre part, si la société ABN reproche à l'autorité administrative de ne pas l'avoir informée de son obligation de mettre en place un décompte hebdomadaire en sus d'un décompte quotidien de la durée de travail de ses salariés, ni mise en demeure de se conformer à cette obligation, elle n'invoque aucune disposition applicable qui imposerait à l'agent de contrôle de procéder à une telle information ou mise en demeure avant d'adresser son rapport à l'autorité administrative compétente. Au demeurant, l'agent de contrôle a informé la société requérante, par son courrier du 16 avril 2019, qu'en l'absence de relevé horaire, il allait transmettre un rapport à l'autorité administrative compétente en vue du prononcé d'une amende, à raison d'un manquement à l'article L. 3171-2 du code du travail " et aux dispositions réglementaires prises pour son application ". Si ce même courrier rappelle expressément qu'en l'absence d'horaire collectif de travail des salariés de l'entreprise, la durée du travail de chaque salarié doit être décomptée quotidiennement, sans précision sur le fait qu'elle doit l'être également hebdomadairement, cette circonstance n'était pas de nature à inviter la société à ne se mettre que partiellement en conformité avec les dispositions réglementaires applicables.
8. Il résulte de ce qui précède que la société ABN ne saurait utilement faire grief à la décision en litige d'être intervenue en l'absence d'un avertissement préalable prononcé à raison d'un même manquement et en l'absence de mise en demeure de se conformer à l'intégralité de ses obligations. Dans ces conditions, et alors même que la société requérante avait partiellement remédié au manquement constaté avant l'adoption de la décision en litige, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du Grand Est pouvait, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, prononcer à son encontre une amende administrative au lieu d'un avertissement.
En ce qui concerne le montant de la sanction :
9. En premier lieu, la circonstance que, ainsi que la société requérante le soutient, le calcul du volume horaire réalisé par chaque salarié de façon hebdomadaire serait facile à déterminer à partir du document de décompte quotidien de la durée de travail n'est pas de nature à remédier au manquement consistant dans le fait de ne pas tenir de décompte hebdomadaire du nombre des heures accomplies, conformément au 2° de l'article D. 3171-8 du code du travail. Par ailleurs, la circonstance que le rapport adressé par l'agent de contrôle à l'autorité administrative ne vise qu'un seul manquement alors que plusieurs irrégularités avaient été relevées lors du premier contrôle du 7 décembre 2017 est sans incidence sur l'appréciation de la gravité même du manquement que l'amende infligée vient sanctionner.
10. En deuxième lieu, la société ABN se prévaut de ce que, lors du contrôle du 7 décembre 2017, il ne lui a pas été demandé de produire de décompte hebdomadaire des heures de travail de ses salariés et qu'il ne lui a d'ailleurs jamais été rappelé l'existence de cette obligation. Elle ne saurait toutefois sérieusement se retrancher derrière son ignorance de la réglementation applicable, pas plus qu'elle ne peut se borner à soutenir qu'elle n'aurait pas " délibérément méconnu une règle applicable à sa situation ". A cet égard, la circonstance que peu de temps après l'acquisition du fonds de commerce en décembre 2015, elle a dû faire face à la démolition de l'immeuble et au déménagement de la boulangerie n'est pas de nature à justifier la méconnaissance de la réglementation applicable notamment quant à la durée de travail de son personnel. Quant à la régularisation, partielle, de sa situation, il résulte de l'instruction qu'elle n'en a justifié que le 24 octobre 2019 après que l'administration l'a informée de ce qu'elle envisageait de lui infliger une amende maximale de 72 000 euros.
11. En troisième lieu, et alors que le courrier du 25 septembre 2019 l'invitant à présenter ses observations sur le principe et le montant de l'amende envisagée lui précisait les critères dont l'autorité administrative tiendrait compte, la société ABN n'a apporté aucune précision, dans ses observations du 24 octobre 2019, sur ses ressources et ses charges. Contrairement à ce qu'elle soutient, il n'appartenait pas à l'autorité administrative de la solliciter à nouveau sur ce point. Elle n'apporte d'ailleurs pas plus de précision ni devant les premiers juges ni à hauteur d'appel sur ses ressources et ses charges. Au demeurant, il ressort de la décision en litige que l'absence d'information sur ces éléments n'a pas privé l'autorité administrative de son pouvoir d'appréciation, conformément aux dispositions de l'article L. 8115-4 du code du travail. Par suite, et en tout état de cause, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'amende prononcée est intervenue en méconnaissance du principe d'individualisation de la peine.
12. Il résulte de ce qui précède que, alors même que la société ABN n'avait pas déjà fait l'objet d'un avertissement ou d'un rappel de son obligation de mettre en place un décompte quotidien et hebdomadaire de la durée de travail des salariés, le montant retenu de 500 euros par salarié, qui est huit fois moins élevé que le plafond de 4 000 euros prévu à l'article L. 8115-3 du code du travail n'est, en l'espèce, pas disproportionné, compte tenu de la gravité du manquement commis ainsi que du comportement de l'employeur, qui n'a justifié d'une régularisation partielle que cinq mois après les faits. Par suite, la société ABN n'est pas fondée à soutenir que l'amende totale de 9 000 euros prononcée à son encontre serait entachée d'erreur d'appréciation de sa situation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL ABN n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société ABN est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée ABN et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 21NC02593