La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/11/2024 | FRANCE | N°23NC02516

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 15 novembre 2024, 23NC02516


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 21 mars 2023 par lequel la préfète de l'Aube a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2300716 du 13 juillet 2023, le tribuna

l administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :


...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler l'arrêté du 21 mars 2023 par lequel la préfète de l'Aube a refusé de renouveler son titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2300716 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Bru, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Aube de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale " dans le délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir,

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant du refus de séjour :

- la décision en litige est entachée d'insuffisance de motivation ;

- elle est entachée de défaut d'examen ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

S'agissant de l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui refusant le renouvellement de son titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les stipulations des articles 3-1 et 9 de la convention internationale des droits de l'enfant ;

S'agissant de la légalité de la décision fixant le pays de destination :

- elle est illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 novembre 2023, la préfète de l'Aube, représentée par Me Ancelet, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 000 euros soit mise à la charge de Mme A... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Brodier,

- les observations de Me Bru, avocat de Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante ivoirienne née en 1997, est entrée irrégulièrement sur le territoire français en 2014 selon ses déclarations. Après l'obtention du brevet des collèges en juillet 2014 et du baccalauréat en septembre 2017, elle s'est vu délivrer un titre de séjour portant la mention " étudiant ", valable du 18 juillet 2017 au 17 juillet 2018, renouvelé jusqu'au 9 novembre 2022. Le 3 octobre 2022, l'intéressée a sollicité un changement de statut en vue de la délivrance d'un titre de séjour " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 21 mars 2023, la préfète de l'Aube a refusé de faire droit à sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité du refus de titre de séjour :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".

3. Il ressort de la décision en litige qu'après avoir rappelé le parcours scolaire et étudiant de Mme A... et indiqué qu'elle avait conclu un contrat à durée indéterminée en novembre 2018, pour un emploi à temps partiel qu'elle n'occupait plus, la préfète de l'Aube a précisé que l'intéressée ne démontrait pas l'existence d'une insertion professionnelle, qu'elle s'était déclarée célibataire, que si elle avait eu un enfant né en juillet 2022, le père de sa fille était incarcéré et faisait l'objet par ailleurs d'une obligation de quitter le territoire français, que le bas âge de sa fille ne s'opposait pas à ce que la vie privée et familiale se reconstitue dans son pays d'origine, qu'elle ne justifiait pas de l'intensité des liens avec des membres de sa famille présents en France tandis qu'elle n'était pas isolée en cas de retour en Côte d'Ivoire. La décision de refus de titre de séjour comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision en litige manque en fait et doit être écarté.

4. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes de la décision en litige que la préfète de l'Aube a procédé à l'examen particulier de la demande de titre de séjour " vie privée et familiale " formée par Mme A.... Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen sérieux doit être écarté.

5. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

6. Mme A... résidait, à la date de la décision en litige, depuis neuf ans sur le territoire français, où elle est entrée à l'âge de dix-sept ans et a été prise en charge par son oncle paternel. Si elle a bénéficié de titres de séjour en qualité d'étudiante, entre 2017 et 2022, elle ne justifie pas de l'obtention d'un diplôme ni, en dépit de plusieurs contrats de travail au cours de ses études, d'une insertion professionnelle. Résidant en dernier lieu dans l'Aube, la requérante ne justifie pas non plus, par les pièces qu'elle produit, qu'elle aurait conservé des liens avec son oncle et sa cousine qui résident en région parisienne. Si elle se prévaut de la présence de sa mère en France, celle-ci n'est établie que par la signature d'un pacte civil de solidarité le 18 janvier 2023. L'intensité de leurs liens n'est pas non plus justifiée. Enfin, si la requérante se prévaut de la naissance de sa fille en juillet 2022, il ressort des pièces du dossier que le père de l'enfant, qui est également de nationalité ivoirienne, fait l'objet d'une mesure d'éloignement et est incarcéré pour homicide involontaire par conducteur d'un véhicule terrestre, n'a pas vocation à demeurer sur le territoire français. La requérante ne fait état d'aucune circonstance qui ferait obstacle à la reconstruction de la cellule familiale en Côte d'Ivoire. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme A... aurait, en dépit de la durée de son séjour en France, définitivement ancré ses attaches personnelles et familiales sur le territoire. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

7. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour.

8. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs qu'énoncés au point 6 du présent arrêt, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

10. D'une part, dès lors que la fille de Mme A..., âgée que de huit mois à la date de la décision en litige, a vocation à demeurer avec sa mère, la mesure d'éloignement n'emporte aucune séparation de leur cellule familiale. D'autre part, et ainsi qu'il a été dit, il n'est pas établi que le père de cet enfant aurait vocation à demeurer en France. Il n'est pas non plus établi au demeurant qu'il participerait à l'éducation ou à l'entretien de sa fille. Dans ces conditions, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la mesure d'éloignement prise à son encontre méconnaîtrait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

11. En dernier lieu, aux termes de l'article 9 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1. Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant. (...) ". Ces stipulations créant seulement des obligations entre Etats, sans ouvrir de droits aux intéressés, Mme A... ne peut pas utilement s'en prévaloir.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

12. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait illégale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 mars 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions présentées par la préfète de l'Aube sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme au titre des frais exposés par l'Etat et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la préfète de l'Aube sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée à la préfète de l'Aube.

Délibéré après l'audience du 17 octobre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Brodier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2024.

La rapporteure,

Signé : H. Brodier Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

2

No 23NC02516


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC02516
Date de la décision : 15/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Hélène BRODIER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : BRU

Origine de la décision
Date de l'import : 23/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-15;23nc02516 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award