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19/12/2024 | FRANCE | N°22NC02044

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 19 décembre 2024, 22NC02044


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 18 mai 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 2 de l'unité de contrôle des Ardennes a autorisé son licenciement pour faute grave.



Par un jugement n° 2101549 du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête, enr

egistrée le 28 juillet 2022, M. E... F..., représenté par Me Chalon, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... F... a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler la décision du 18 mai 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 2 de l'unité de contrôle des Ardennes a autorisé son licenciement pour faute grave.

Par un jugement n° 2101549 du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2022, M. E... F..., représenté par Me Chalon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 17 juin 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 18 mai 2021 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de répondre à sa demande tendant à ce que dans le cadre d'une mesure d'instruction soient communiqués les relevés de vidéo-surveillance de la journée du 29 janvier 2021, à compter de 12 heures, au niveau de la porte E de l'entreprise ;

- les premiers juges ont omis de répondre à l'argument qu'il soulevait, tiré de ce qu'il a été victime de propos provocateurs et racistes de la part de son collègue ;

- le comité social et économique était irrégulièrement composé dès lors qu'il n'a pas été convoqué en sa qualité de membre suppléant, que la présence de M. D... n'était pas justifiée et qu'elle n'apparaît pas sur le procès-verbal de la réunion et que Mme C..., qui ne pouvait pas cumuler au sein du comité social et économique un mandat de représentante syndicale et un mandat d'élue titulaire ou suppléante, ne devait pas participer au vote en qualité de remplaçante d'un titulaire ;

- la décision attaquée, qui se borne à faire référence à une altercation, est insuffisamment motivée ;

- le délai de trois semaines entre les faits qui lui sont reprochés, qui se sont déroulés le 29 janvier 2021 et le lancement de la procédure disciplinaire le 23 février 2021 est tardif et non justifié, si ce n'est par l'imprécision des griefs allégués par son employeur ;

- la matérialité du seul grief finalement retenu par l'inspection du travail, à savoir l'altercation avec M. D..., n'est pas établie ; contrairement à ce qu'a retenu l'administration, il n'a pas reconnu les faits et n'a jamais proféré de menaces à l'encontre de M. D... ; le seul témoin de l'altercation n'a d'ailleurs pas corroboré les menaces ou l'agression qu'il aurait commise ; les attestations produites par l'administration, qui ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code civil, ont été rédigées par des personnes qui n'ont pas assisté à sa discussion avec M. A... et elles ne font état que d'un " échange verbal " ; il ne s'agissait en réalité que d'une vive discussion verbale entre deux salariés ; il n'a jamais voulu " se faire justice à lui-même " comme l'ont retenu l'administration et le tribunal administratif ; seul le visionnage des vidéos de surveillance, même sans le son, aurait permis de caractériser son comportement agressif ; c'est à tort que les premiers juges se sont notamment fondés sur l'attestation de M. de D... qui n'avait pas été produite lors de l'enquête contradictoire, qui n'est pas évoquée par l'inspection du travail et dont le témoignage est faux ; cette attestation n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code civil en l'absence de production d'une pièce d'identité de son auteur ; la plainte pénale déposée par M. D... a été classée sans suite ; face à l'absence de toute certitude concernant cette altercation, le doute aurait dû lui profiter ;

- en tout état de cause, la seule altercation du 29 janvier 2021 est insuffisante pour justifier son licenciement.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2022, la société Invicta Group, représentée par Me Martins, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Monsieur F... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,

- les conclusions de Mme Cyrielle Mosser rapporteure publique,

- et les observations de Me Hubert, représentant la société Invicta Group.

Considérant ce qui suit :

1. Le 8 avril 2021, la société Invicta Group a sollicité l'autorisation de licencier pour motif disciplinaire M. E... F..., agent de production polyvalent depuis le 2 janvier 2017 et salarié protégé au titre de son mandat de membre suppléant du comité social et économique depuis le 14 juin 2018. Par une décision du 18 mai 2021, l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire. M. F... relève appel du jugement du 17 juin 2022 par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, contrairement à ce que soutient M. F..., il apparaît que le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne s'est effectivement prononcé sur la demande formée par le requérant dans sa requête de première instance tendant à ce que, dans le cadre d'une mesure d'instruction, soient communiqués les relevés de vidéo-surveillance de la journée du 29 janvier 2021, à compter de 12 heures, au niveau de la porte E de l'entreprise dans la mesure où, au point 8 du jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté ces conclusions, qu'ils ont regardées comme des conclusions à fin d'injonction, en les écartant par voie de conséquence du rejet de la demande d'annulation de la décision du 18 mai 2021. Par suite, le moyen tiré d'une omission à statuer doit être écarté comme manquant en fait. A supposer que les premiers juges se soient mépris sur l'objet même de cette demande, laquelle relevait au demeurant des seuls pouvoirs propres du juge, cette circonstance serait, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

3. En second lieu, les premiers juges ont indiqué au point 5 du jugement attaqué que si M. F... soutenait que cette altercation avait été provoquée par des propos racistes de M. D..., cette circonstance était démentie par un témoignage de M. de D... qui avait assisté à l'altercation. Par conséquent, le requérant n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges, qui n'étaient d'ailleurs pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments avancés par les parties mais seulement aux moyens qui ont été soulevés, ont omis de répondre à l'argument tiré de ce qu'il aurait fait l'objet de propos racistes à l'origine de l'altercation du 29 janvier 2021. Par suite, et en tout état de cause, ce moyen doit également être écarté comme manquant en fait.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de l'inspectrice du travail du 18 mai 2021 :

En ce qui concerne la légalité externe :

4. En premier lieu, la décision du 18 mai 2021, qui doit être motivée en vertu de l'article R. 2421-5 du code du travail, comporte, de manière suffisamment précise, les circonstances de fait et de droit qui constituent son fondement. Par conséquent, le moyen tiré du vice de forme lié à un défaut de motivation doit être écarté comme manquant en fait.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social

et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement (...) ". Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent

ces dispositions, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation

du comité social et économique a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité social et économique a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé

sa consultation.

6. Il est en l'espèce constant que M. F... n'a pas été convoqué en qualité

de membre suppléant du comité social et économique alors que le membre titulaire avait fait part de son indisponibilité et que c'est M. D..., autre membre suppléant, qui a été régulièrement convoqué pour siéger lors de la réunion du 1er avril 2021. Il ressort également des pièces du dossier que Mme C..., représentante syndicale FO au comité social et économique, a été convoquée en qualité de membre de ce comité et a participé au vote alors qu'un salarié ne peut siéger simultanément dans le même comité social et économique en qualité à la fois de membre élu, titulaire ou suppléant et de représentant syndical auprès de celui-ci. Toutefois, et comme l'ont relevé les premiers juges, non seulement M. F... était présent lors de la réunion du comité social et économique du 1er avril 2021 et il a été auditionné par ses membres, ainsi que le prévoit l'article R. 2421-9 du code du travail, mais surtout l'avis émis par le comité social et économique lui a été très favorable dès lors que sur les dix votes exprimés, sept se sont prononcés contre son licenciement alors que trois membres ont voté blanc. Aussi, dans les circonstances de l'espèce, les irrégularités de procédure tenant à la convocation de Mme C... et à l'absence de convocation du requérant n'ont été de nature ni à empêcher que le comité social et économique se prononce en toute connaissance de cause ni à faire regarder son avis, défavorable au licenciement du requérant à l'unanimité des suffrages exprimés, comme ayant été émis dans des conditions ayant faussé cette consultation.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ".

8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la suite à l'altercation du 29 janvier 2021 entre le requérant et M. A..., la société Invicta group a convoqué M. F... à un entretien préalable à son licenciement, prévu le 9 mars 2021, par un courrier du 23 février 2021, soit environ trois semaines après les faits reprochés à l'intéressé. Dans ces conditions, compte tenu du délai de prescription de deux mois laissé à l'employeur pour engager des poursuites disciplinaires, prévu par les dispositions susvisées de l'article L. 1332-4 du code du travail, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'un tel délai de trois semaines après les faits était tardif et faisait obstacle à l'engagement de poursuites disciplinaires à son encontre. Par suite, ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

9. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

10. Il ressort de la décision en litige que la société Invicta a sollicité et obtenu l'autorisation de licencier M. F... à raison du caractère suffisamment grave des fautes tenant d'une part, à l'altercation qu'il a eue avec M. D... le 29 janvier 2021 et qui lui est imputable, d'autre part, à sa volonté de se faire justice soi-même pour régler leur différend et enfin, à la circonstance que ces fautes sont intervenues dans un contexte d'antécédents disciplinaire du salarié révélant un comportement agressif et intimidant.

11. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de la décision d'autorisation de licenciement litigieuse, que lors de l'enquête menée le 29 avril 2021 dans les locaux de l'entreprise par l'inspectrice du travail, M. F..., qui a reconnu avoir donné son numéro de téléphone à M. A... pour convenir d'un rendez-vous pour " faire une bagarre " et régler leur différend " comme des hommes ", a confirmé avoir attendu M. A..., le 29 janvier 2021, après avoir terminé sa journée de travail, afin de lui demander des explications sur le temps de nettoyage mentionné sur la fiche de production. Il ressort également du compte-rendu de l'entretien préalable du 9 mars 2021que le requérant a reconnu avoir proposé à M. A... de le retrouver le soir même sur un parking pour régler " ça comme des hommes ". Dans ces conditions, et comme l'a retenu l'inspectrice du travail, la matérialité de l'altercation du 29 janvier 2021 entre le requérant et M. D... et du fait que M. F... a souhaité régler leur différend par la violence " en se faisant justice lui-même " est établie. Par suite, le moyen tiré de ce que n'est pas établie la matérialité de ces deux griefs doit être écarté.

12. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les faits précités, qui présentent un caractère fautif, sont intervenus dans un contexte d'antécédents disciplinaires relatifs à plusieurs comportements inadaptés et agressifs de M. F... à l'encontre de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues. Ainsi, le requérant a fait l'objet d'un avertissement le 6 mai 2019, qui n'a pas été retiré, en raison de propos agressifs et intimidants ainsi qu'une attitude inadaptée à l'encontre de ses supérieurs hiérarchiques, dont le directeur général du groupe Invicta. Il ressort également des pièces du dossier que par deux courriels des 4 et 25 février 2020, la hiérarchie de M. F... a été alertée des propos agressifs et menaçants tenus par M. F... à l'encontre de ses collègues. Dès lors, dans les circonstances de l'espèce, la persistance de l'attitude agressive et menaçante de M. F... à l'égard de ses collègues et la volonté de régler les litiges par lui-même, peut être regardée comme caractérisant un manquement suffisamment grave du salarié à ses obligations contractuelles. Par suite, l'inspectrice du travail a pu, sans entacher sa décision d'erreur d'appréciation, accorder à la société Invicta Group l'autorisation de le licencier.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 mai 2021.

Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Invicta Group, qui n'est pas la partie perdante, au titre des frais exposés par M. F... et non compris dans les dépens.

15. D'autre part, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F... une somme au titre des frais exposés par la société Invicta Group et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Invicta Group tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... F..., à la société Invicta Group et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience publique du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024.

La rapporteure,

Signé : L. Stenger Le président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 22NC02044

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NC02044
Date de la décision : 19/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS ACG REIMS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-19;22nc02044 ?
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