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27/12/2024 | FRANCE | N°23NC00773

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 3ème chambre, 27 décembre 2024, 23NC00773


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... B..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision non formalisée par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter de 1er juillet 2019.



Par un jugement n° 2007614 du 23 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 9 mars et 2 mai 2023, Mme C... B..., veuve A..., représentée p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... B..., veuve A..., a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision non formalisée par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil à compter de 1er juillet 2019.

Par un jugement n° 2007614 du 23 février 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 9 mars et 2 mai 2023, Mme C... B..., veuve A..., représentée par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2007614 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision non formalisée de suspension du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ;

3°) d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, sous astreinte de deux cents euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, de lui accorder le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, notamment l'allocation pour demandeur d'asile, à compter du 1er juillet 2019 ;

4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement à Me Chebbale d'une somme de 2 400 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance n'est pas tardive, dès lors que le principe de sécurité juridique n'est opposable au requérant qu'en cas de contestation d'une décision expresse ou d'une décision implicite née du silence de l'administration après demande de l'intéressé et qu'elle n'a sollicité le rétablissement des conditions matérielles d'accueil que le 18 décembre 202 ;

- en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 744-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, elle n'a pas bénéficié, à la suite du dépôt de sa demande d'asile, d'un entretien personnel avec l'office français de l'immigration et de l'intégration aux fins d'évaluer sa vulnérabilité et de déterminer ses besoins particuliers en matière d'accueil ;

- en méconnaissance des dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, la suspension de ses conditions matérielles d'accueil n'a pas pris la forme d'une décision écrite motivée et est intervenue en violation du principe du contradictoire ;

- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation dès lors que l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a pas procédé à un examen de sa vulnérabilité, alors qu'elle est une mère isolée accompagnée d'un enfant mineur ;

- la suspension litigieuse est contraire aux dispositions du cinquième paragraphe de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, dès lors qu'elle ne tient pas compte de sa situation de vulnérabilité et la prive d'un niveau de vie digne ;

- la décision de retrait des conditions matérielles d'accueil datée du 9 juillet 2019, produite pour la première fois en appel par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, ne lui a jamais été notifiée et ne lui est pas opposable ;

- la suspension de ses conditions matérielles d'accueil ne pouvait légalement intervenir sans qu'elle soit informée, dans une langue qu'elle comprend, des conséquences engendrées par ses manquements à ses obligations en tant que demandeur d'asile ;

- la décision de retrait des conditions matérielles d'accueil du 9 juillet 2019 est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation, dès lors que, d'une part, les dispositions de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, alors en vigueur, n'étaient pas applicable sa situation et qu'elle n'a pas manqué à ses obligations en matière de pointage ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit dès lors que l'Office français de l'immigration et de l'intégration, qui n'a pas tenu compte de sa vulnérabilité, s'est estimé à tort en situation de compétence liée pour procéder au retrait de ses conditions matérielles d'accueil.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration, représenté par Me De Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que la demande de première instance est tardive et que, en tout état de cause, les moyens invoqués par Mme A... ne sont pas fondés.

Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meisse,

- et les conclusions de M. Marchal, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... B..., veuve A..., est une ressortissante russe, née le 8 août 1982. Elle a déclaré être entrée irrégulièrement en France le 20 mars 2019, accompagnée de son fils mineur, né le 2 novembre 2008, et y a sollicité l'asile. A la suite de l'enregistrement de sa demande au guichet unique de la préfecture du Bas-Rhin le 27 mars 2019, la requérante a été placée en procédure dite de Dublin et a accepté, le jour même, l'offre de prise en charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et a bénéficié de conditions matérielles d'accueil comportant un hébergement, une allocation mensuelle et un accompagnement administratif et social. Elle a fait l'objet d'un arrêté de transfert à destination du pays responsable de l'examen de sa demande d'asile, assorti d'une mesure d'assignation à résidence impliquant pour elle une obligation de se présenter aux services de police, accompagnée de son fils, afin d'y confirmer sa présence. L'intéressée ayant été déclarée en fuite pour non-respect de cette obligation de présentation, le versement de son allocation pour demandeur d'asile a été suspendu à compter du 1er juillet 2019. Mme A... a saisi le tribunal administratif de Strasbourg d'une demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle l'Office français de l'immigration et de l'intégration a prononcé la suspension de ses conditions matérielles d'accueil. Elle relève appel du jugement n° 2007614 du 23 février 2022, qui rejette sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

3. Si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides produit, à hauteur d'appel, une décision du 9 juillet 2019 par laquelle la directrice territoriale de Strasbourg a, en application des articles L. 744-7 et D. 744-37-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, retiré à Mme A..., à partir de ce jour, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil au motif qu'elle n'a pas satisfait à son obligation de se présenter aux autorités, il n'est pas établi que cette décision aurait été notifiée à l'intéressée. Dans ces conditions et alors même que l'arrêt du versement de l'allocation pour demandeur d'asile à compter du mois de juillet 2019 a pu révéler l'existence d'une telle décision, la demande de première instance, qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Strasbourg le 4 décembre 2020 et qui doit être regardée comme dirigée contre la décision du 9 juillet 2019, n'est pas tardive. Par suite, en rejetant pour irrecevabilité cette demande, les premiers juges ont entaché leur jugement d'irrégularité. Il y a lieu, en conséquence, d'en prononcer l'annulation et de statuer, par la voie de l'évocation, sur cette demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes, d'une part, de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. Les Etats membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsqu'un demandeur : a) abandonne le lieu de résidence fixé par l'autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l'avoir obtenue ; ou b) ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités, ne répond pas aux demandes d'information ou ne se rend pas aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile dans un délai raisonnable fixé par le droit national ; ou c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l'article 2, point q), de la directive 2013/32/UE. / En ce qui concerne les cas visés aux points a) et b), lorsque le demandeur est retrouvé ou se présente volontairement aux autorités compétentes, une décision dûment motivée, fondée sur les raisons de sa disparition, est prise quant au rétablissement du bénéfice de certaines ou de l'ensemble des conditions matérielles d'accueil retirées ou réduites (...). / 5. Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les Etats membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. / 6. Les Etats membres veillent à ce que les conditions matérielles d'accueil ne soient pas retirées ou réduites avant qu'une décision soit prise conformément au paragraphe 5 ".

5. Aux termes, d'autre part, du premier alinéa de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 est subordonné : (...) 2° Au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. ". Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Outre les cas, mentionnés à l'article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil, le bénéfice de celles-ci peut être : 1° Retiré si le demandeur d'asile a dissimulé ses ressources financières, a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou a présenté plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d'hébergement ; 2° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ou s'il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2. / (...) / La décision de retrait des conditions matérielles d'accueil prise en application du présent article est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Elle est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites selon des modalités définies par décret. ".

6. Il résulte notamment de ces dispositions que l'Office français de l'immigration et de l'intégration peut, par une décision motivée, après examen de la situation particulière du demandeur et après l'avoir mis en mesure de présenter ses observations, suspendre le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsque l'intéressé n'a pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile, notamment celles de se rendre aux entretiens, de se présenter aux autorités et de fournir les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes.

7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la suspension des conditions matérielles d'accueil prononcée à l'encontre de Mme A... en application des dispositions du 2° du premier alinéa de l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ait été prise après avoir mis l'intéressée en mesure de présenter ses observations écrites. La requérante ayant ainsi été privée d'une garantie, la décision en litige est entachée d'un vice de procédure en raison d'une méconnaissance du principe du contradictoire.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à demander l'annulation de la décision du 9 juillet 2019.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

10. Mme A... ayant été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 janvier 2023, son conseil peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration le versement à Me Chebbale, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2007614 du tribunal administratif de Strasbourg du 23 février 2022 est annulé.

Article 2 : La décision de la directrice territoriale de Strasbourg de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 9 juillet 2019 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans un délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera à Me Chebbale, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la contribution étatique à l'aide juridictionnelle, la somme de 1 000 euros en application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., veuve A..., et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Wurtz, président,

- Mme Bauer, présidente-assesseure,

- M. Meisse, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 décembre 2024.

Le rapporteur,

Signé : E. MEISSE

Le président,

Signé : Ch. WURTZ

Le greffier,

Signé : F. LORRAIN

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier :

F. LORRAIN

N° 23NC00773 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC00773
Date de la décision : 27/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. WURTZ
Rapporteur ?: M. Eric MEISSE
Rapporteur public ?: M. MARCHAL
Avocat(s) : CHEBBALE

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-27;23nc00773 ?
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