Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune de Falck a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser la somme de 231 546,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2020 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la faute de l'Etat, qui s'est illégalement opposé à plusieurs projets de construction au sein du lotissement " La Prairie ".
Par un jugement n° 2004855 du 19 mai 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2022, la commune de Falck, représentée par Me Olszak, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mai 2022 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 231 546,11 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2020 et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de la faute commise par le préfet en s'opposant illégalement à plusieurs projets de construction au sein du lotissement " La Prairie " ;
3°) de mettre à la charge de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préfet de la Moselle a commis une faute en présentant systématiquement le porté à connaissance du 26 avril 2016, publié sur le site internet de la préfecture, comme revêtu d'une force contraignante dans le but d'influer de manière significative sur la mise en œuvre par la collectivité de ses prérogatives en matière de délivrance d'autorisations d'urbanisme et d'élaboration du plan local d'urbanisme ;
- elle est fondée à être indemnisé des préjudices qui en résultent et tenant, d'une part, aux préjudices financiers liés au désistement des acquéreurs, à la perte de recettes fiscales et aux frais de conseil et d'expertise, d'autre part à l'atteinte portée à la réputation et à l'image de la collectivité et au bon fonctionnement des services communaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 février 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthou,
- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,
- et les observations de Me Tezenas du Montcel pour la commune de Falck.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 26 avril 2016, le préfet de la Moselle a adressé aux quinze communes concernées, dont la commune de Falck, et à leurs intercommunalités un porter à connaissance (PAC) relatif à la remontée de nappe dans le secteur Ouest du bassin houiller de Lorraine. La commune de Falck demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 19 mai 2022 rejetant ses conclusions indemnitaires dirigées contre l'Etat en raison de la faute commise par le préfet qui aurait illégalement donné force contraignante à ce PAC.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la faute de l'Etat :
2. Aux termes de l'article L. 132-2 du code de l'urbanisme : " L'autorité administrative compétente de l'Etat porte à la connaissance des communes ou de leurs groupements compétents : / 1° Le cadre législatif et règlementaire à respecter ; / 2° Les projets des collectivités territoriales et de l'Etat en cours d'élaboration ou existants. / L'autorité administrative compétente de l'Etat leur transmet à titre d'information l'ensemble des études techniques dont elle dispose et qui sont nécessaires à l'exercice de leur compétence en matière d'urbanisme. / Tout retard ou omission dans la transmission de ces informations est sans effet sur les procédures engagées par les communes ou leurs groupements. ". Aux termes de l'article R. 132-1 du même code en vigueur à la date du 26 avril 2016 : " Pour l'application de l'article L. 132-2, le préfet de département porte à la connaissance de la commune, de l'établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte qui a décidé d'élaborer ou de réviser un schéma de cohérence territoriale, un plan local d'urbanisme ou une carte communale : / 1° Les dispositions législatives et réglementaires applicables au territoire concerné et notamment les directives territoriales d'aménagement et de développement durables, les dispositions relatives au littoral et aux zones de montagne des chapitres Ier et II du titre II du présent livre, les servitudes d'utilité publique, le schéma régional de cohérence écologique, le plan régional de l'agriculture durable et le plan pluriannuel régional de développement forestier ; / 2° Les projets des collectivités territoriales et de l'Etat et notamment les projets d'intérêt général et les opérations d'intérêt national ; / 3° Les études techniques nécessaires à l'exercice par les collectivités territoriales de leur compétence en matière d'urbanisme dont dispose l'Etat, notamment les études en matière de prévention des risques et de protection de l'environnement. ".
3. Il ressort des termes mêmes du PAC du 26 avril 2016 adressé aux communes concernées, dont il est constant qu'il a également fait l'objet d'une publication sur le site internet de la préfecture, que celui-ci a pour objet de " définir des zones dans lesquelles l'urbanisation doit être soumise à des limitations ou à des prescriptions particulières " et que, dans l'attente de l'approbation d'un plan de prévention des risques d'inondations, il porte à la connaissance des collectivités " les mesures de maîtrise de l'urbanisme que le phénomène de remontée de nappe sur leur territoire implique de prendre en compte et d'intégrer dans les documents d'urbanisme ". Il résulte, par ailleurs, de l'instruction que, tant dans ses avis défavorables du 30 août 2016 sur un projet de construction envisagé au sein du lotissement " La Prairie " porté par la commune de Falck et du 26 septembre 2017 sur le projet de plan local d'urbanisme (PLU) de cette commune, que dans ses correspondances avec le maire de la commune, notamment dans son courrier du 15 février 2017 en réponse à une demande de communication de la cartographie des zones à risques et dans son courrier du 16 avril 2018 dans lequel il expose les motifs de son désistement dans deux déférés exercés contre des permis de construire accordés sur le territoire communal, le préfet de la Moselle attribue à son PAC du 26 avril 2016 une portée juridique contraignante.
4. En premier lieu, en attribuant ainsi à ce document une valeur normative que ne lui confèrent pas les dispositions précitées des articles L. 132-2 et R. 132-1 du code de l'urbanisme, le préfet de la Moselle a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
5. En second lieu, si la commune de Falck soutient que le préfet aurait méconnu l'autorité de chose jugée, elle n'établit, en tout état de cause, pas ses allégations selon lesquelles les services de l'Etat auraient communiqué avec des propriétaires de parcelles sur la valeur juridique du PAC du 26 avril 2016 postérieurement aux décisions juridictionnelles lui déniant toute portée normative.
En ce qui concerne le lien de causalité :
6. En l'espèce, la commune de Falck ne remet en cause ni la nécessité d'adapter l'urbanisme à la circonstance historique de la fin de l'exploitation minière dans les années 1980 et 1990 qui, conjuguée à la baisse des prélèvements industriels dans la nappe du bassin houiller, conduit à un phénomène de retour de la nappe à son niveau naturel avant l'anthropisation du secteur, ni la cartographie de l'aléa de remontée de nappe figurant dans le PAC du 26 avril 2016 et classant une portion importante du territoire en zone de nappe affleurante ou sub-affleurante.
7. La faute commise par le préfet de la Moselle n'ouvre ainsi droit à indemnisation que des seuls préjudices directs et certains en lien avec la seule faute alléguée par la commune de Falck dans ses écritures de première instance et d'appel tenant à la présentation du PAC du 26 avril 2016 comme revêtu d'une valeur juridique contraignante dépassant le caractère informatif qui lui est conféré par le code de l'urbanisme.
En ce qui concerne les préjudices :
S'agissant des préjudices financiers :
8. En premier lieu, la commune de Falck soutient qu'en raison des retards dans la commercialisation de ses lots, elle a dû supporter des frais bancaires supplémentaires et a été contrainte de renouveler une demande de financement pour le règlement du prêt d'origine.
9. La commune relève ainsi que la faute commise par le préfet de la Moselle a conduit au retrait de l'ensemble des réservations effectuées par les acquéreurs potentiels du lotissement dit I... ", à l'exception de deux d'entre eux.
10. Elle produit, tout d'abord, une liste manuscrite ne comportant aucun engagement ni aucune signature et qui ne saurait dès lors être considérée comme établissant l'existence de vingt-trois réservations initiales.
11. Elle allègue, ensuite, le retrait de huit acquéreurs intéressés qui auraient formalisé des demandes de permis de construire. Il ressort des pièces du dossier que le retrait de M. A... est motivé par un refus de permis de construire opposé par le maire le 30 mai 2017 au motif de sa contrariété avec le PAC, mais postérieurement à une ordonnance en référé de la cour du 2 mai 2017, notifiée à la commune le 4 mai suivant, déniant expressément tout caractère normatif à ce document. Le retrait de M. E... est, quant à lui, motivé par la modification du plan local d'urbanisme (PLU) et le surcoût lié à la réalisation de micropieux dont il n'est pas établi que leur nécessité résulterait directement de la faute retenue, alors que les études géotechniques réalisées par la commune concluaient à la nécessité de fondations en micropieux au droit des alluvions molles de fond de vallon. La réalité des engagements de M. C..., de M. G... et de M. B... n'est pas établie et, en tout état de cause, les retraits allégués sont postérieurs à l'ordonnance précitée et aux jugements du tribunal administratif de Strasbourg du 12 octobre 2017 rejetant les déférés préfectoraux, qui relèvent également l'absence de caractère opposable du PAC du 26 avril 2016. Aucune explication n'est donnée quant au motif de retrait de M. et Mme F... et de M. D.... Le retrait de la société d'investissement des deux Rives est, quant à lui, motivé par " les inquiétudes des clients quant au classement du lotissement en zone rouge de remontée de nappes phréatiques dont la cause serait l'arrêt de l'exploitation minière dans la région ". Si ce retrait est ainsi en lien avec le phénomène de retour de la nappe à son niveau naturel avant l'exploitation minière justifiant l'adaptation de l'urbanisation, dont la nécessité n'est pas remise en cause par la commune de Falck, il n'est pas directement lié à la faute commise par le préfet de la Moselle.
12. Enfin, si le retrait de M. et Mme H... est motivé par un refus de permis de construire opposé par le maire le 27 février 2017 pour méconnaissance du PAC du 26 avril 2016, il n'est pas établi ni même allégué que le permis de construire aurait été délivré si le maire n'avait pas pris en compte le caractère normatif du PAC.
13. Il résulte de ce qui précède que la commune de Falck n'est pas fondée à demander l'indemnisation des préjudices financiers résultant de retards dans la commercialisation des terrains de son lotissement.
14. En second lieu, la commune de Falck soutient qu'elle a subi un préjudice résultant de la perte de recettes fiscales et, notamment, de taxe d'habitation et de taxe d'aménagement en raison de l'absence de commercialisation, en 2022, des cinq lots restants. Ce chef de préjudice doit être écarté pour les mêmes motifs que précédemment dès lors que ce retard, qui peut trouver une explication dans les réticences des potentiels acquéreurs au regard des problèmes des remontées de nappes, n'est pas directement lié à la faute retenue.
S'agissant des frais de conseil et d'expertise :
15. D'une part, la réalité du préjudice lié à la réalisation des prestations de géotechnique n'est pas établie dès lors que ces études avaient, en tout état de cause, été engagées avant la diffusion du PAC. La commune n'établit pas non plus la réalité du préjudice tenant à la réalisation d'études supplémentaires du bureau d'étude Antea Group, dont elle se borne à produire une facture sans autre détail.
16. D'autre part, il résulte de l'instruction que la commune de Falck a missionné un hydrogéologue qui a remis, le 13 septembre 2017, son rapport, aux termes duquel il conclut que l'examen du contexte hydrogéologique et topographique l'amène à considérer que le risque d'inondation ou de conséquences dommageables liées à la remontée de la nappe est nul sous l'emprise du projet de lotissement. Mais il relève également que le porter à connaissance ne doit être considéré que comme un indicateur de la nécessité de procéder à des études de détail pour tout projet d'aménagement pouvant être impacté d'une manière ou d'une autre par des remontées de nappe. Il s'en déduit que cette étude était rendue nécessaire par les éléments factuels figurant dans le porter à connaissance et ce, indépendamment de la valeur juridique conférée au document. Par suite ce préjudice est sans lien direct avec la faute.
17. Enfin, si la commune indique avoir exposé des frais d'avocat devant les juridictions administratives, ce chef de préjudice ne peut être indemnisé en dehors des instances contentieuses à l'occasion desquelles ces frais ont été exposés. Elle ne précise par ailleurs pas le détail des missions de conseil juridique facturées et n'établit ainsi pas leur lien de causalité avec la faute.
S'agissant de l'atteinte au bon fonctionnement des services :
18. Il ne résulte pas de l'instruction que le temps passé par les services communaux mobilisés sur le sujet des remontées de nappe, tel qu'attesté par la directrice générale des services de la commune, non plus que la mise à l'arrêt de l'adoption du PLU communal seraient en lien direct avec la faute de l'Etat.
S'agissant des préjudices moraux :
19. La réalité du préjudice tiré de l'atteinte à l'image de la commune n'est pas établie.
20. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Falck n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a écarté la responsabilité de l'Etat en raison de la faute commise par le préfet de la Moselle qui a présenté le porter à connaissance du 26 avril 2016 comme juridiquement contraignant.
Sur les frais de l'instance :
21. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme de 3 000 euros que la commune de Falck demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Falck est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Falck et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne à la ministre du logement et de la rénovation urbaine en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 22NC01910 2