Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Lithos Aménagement a demandé au tribunal administratif de Nancy d'annuler l'arrêté du 10 octobre 2022 par lequel le maire de la commune
de Moncel-lès-Lunéville a refusé de lui délivrer le permis d'aménager.
Par un jugement n° 2203563 du 18 juillet 2023, le tribunal administratif de Nancy a annulé la décision contestée.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 15 septembre 2023 et le 16 octobre 2024, la commune de Moncel-lès-Lunéville, représentée par Me Dartois, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nancy du 18 juillet 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la société Lithos Aménagement ;
3°) de mettre à la charge de la société Lithos Aménagement la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dès lors que la minute n'est pas signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ;
- le refus contesté ne constitue pas un retrait de permis implicite dès lors que le délai d'instruction de la demande de permis déposée le 15 avril 2022 a été prorogé par la demande de pièces complémentaires du 29 avril 2022 réputée reçu le lendemain en application du 2° de l'article R. 474-1 du code de l'urbanisme et a recommencé à courir le 25 juillet 2022, date de production des pièces demandées, pour arriver à échéance le 25 octobre 2022 ;
- il appartenait, en tout état de cause, à la société Lithos Aménagement de consulter l'avancement de son dossier sur la plateforme E-Permis ;
- le refus opposé n'avait pas à être précédé d'une procédure contradictoire.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 septembre 2024 et le 25 octobre 2024, la société Lithos Aménagement, représentée par Me Gillig, conclut au rejet de la requête et demande que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune de Moncel-lès-Lunéville en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthou,
- les conclusions de M. Marchal, rapporteur public,
- et les observations de Me Dartois pour la commune de Moncel-lès-Lunéville et de Me Vilchez pour la société Lithos Aménagement.
Sur la régularité du jugement :
1. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. ".
2. Il ressort des pièces de la procédure de première instance que la minute du jugement attaqué a été signée par le président de la formation de jugement, le magistrat rapporteur et la greffière d'audience. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué ne serait pas conforme aux exigences de l'article R. 741-7 du code de justice administrative manque en fait et doit ainsi être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'État. / (...) / Aucune prolongation du délai d'instruction n'est possible en dehors des cas et conditions prévus par ce décret (...) ". Aux termes de l'article L. 424-2 du même code : " Le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction ". Aux termes de l'article R. 424-1 de ce code : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III, le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : / (...) / b) Permis de construire, permis d'aménager ou permis de démolir tacite (...) ".
4. Aux termes de l'article R. 423-18 du code de l'urbanisme : " Le délai d'instruction est déterminé dans les conditions suivantes : / a) Un délai de droit commun est défini par la sous-section 2 ci-dessous. En application de l'article R. 423-4, il est porté à la connaissance du demandeur par le récépissé ; / b) Le délai de droit commun est modifié dans les cas prévus par le paragraphe 1 de la sous-section 3 ci-dessous. La modification est notifiée au demandeur dans le mois qui suit le dépôt de la demande ; / c) Le délai fixé en application des a ou b est prolongé dans les cas prévus par le paragraphe 2 de la sous-section 3 ci-dessous, pour prendre en compte des obligations de procédure qui ne peuvent être connues dans le mois qui suit le dépôt de la demande. ". L'article R. 423-23 du même code fixe à trois mois le délai d'instruction de droit commun pour les demandes de permis d'aménager.
5. Aux termes de l'article R. 423-22 du code de l'urbanisme : " Pour l'application de la présente section, le dossier est réputé complet si l'autorité compétente n'a pas, dans le délai d'un mois à compter du dépôt du dossier en mairie, notifié au demandeur ou au déclarant la liste des pièces manquantes dans les conditions prévues par les articles R. 423-38 et R. 423-41 ". L'article R. 423-38 du même code prévoit que : " Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées en application du présent livre, l'autorité compétente, dans le délai d'un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur ou à l'auteur de la déclaration une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes ". Aux termes de l'article R. 423-39 du même code : " L'envoi prévu à l'article R. 423-38 précise : / a) Que les pièces manquantes doivent être adressées à la mairie dans le délai de trois mois à compter de sa réception ; / b) Qu'à défaut de production de l'ensemble des pièces manquantes dans ce délai, la demande fera l'objet d'une décision tacite de rejet en cas de demande de permis ou d'une décision tacite d'opposition en cas de déclaration ; / c) Que le délai d'instruction commencera à courir à compter de la réception des pièces manquantes par la mairie ". L'article R. 423-41 du même code prévoit que : " Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R. 423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R. 423-23 à R. 423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R. 423-42 à R. 423-49. ".
6. Enfin, aux termes du II de l'article R. 474-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'en application du présent livre et des articles L. 112-14 et L. 112-15 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité compétente notifie un document par voie électronique à un usager, l'intéressé est réputé en avoir reçu notification : / 1° En cas d'utilisation d'un envoi recommandé électronique, le lendemain de la date d'envoi de l'information prévue au I de l'article R. 53-3 du code des postes et communications électroniques ; / 2° En cas d'utilisation d'un procédé électronique tel que mentionné à l'article R. 112-17 du code des relations entre le public et l'administration, par dérogation à l'article R. 112-20 du même code, le lendemain de la date d'envoi de l'avis de dépôt à l'usager. ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 112-15 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsque l'administration doit notifier un document à une personne par lettre recommandée, cette formalité peut être accomplie par l'utilisation (...) d'un procédé électronique permettant de désigner l'expéditeur, de garantir l'identité du destinataire et d'établir si le document a été remis. L'accord exprès de l'intéressé doit être préalablement recueilli ". Aux termes de l'article R.112-17 du même code : " Lorsqu'une administration souhaite recourir à un procédé électronique, prévu au deuxième alinéa de l'article L. 112-15 et ne relevant pas de l'article L. 100 du code des postes et des communications électroniques, elle informe les personnes intéressées, dont il lui appartient de recueillir l'accord exprès, des caractéristiques du procédé utilisé, conforme aux règles fixées par le référentiel général de sécurité prévu à l'article 9 de l'ordonnance du 8 décembre 2005 précitée, ainsi que des conditions de mise à disposition du document notifié, de garantie de l'identité de son destinataire et de prise de connaissance par ce dernier. Elle leur indique également les modalités de mise à jour des coordonnées et le délai de préavis prévu à l'article R. 112-18 ainsi que le délai, fixé à l'article R. 112-20, au terme duquel, faute de consultation du document par le destinataire, celui-ci est réputé lui avoir été remis ". Aux termes de l'article R. 112-18 de ce code : " Après accord exprès de la personne recueilli par voie électronique, celle-ci choisit, le cas échéant, parmi les moyens que lui propose l'administration, celui par lequel elle désire recevoir les avis de dépôt qui lui sont adressés. Elle maintient à jour, par la même voie, ses coordonnées afin que les avis de dépôt puissent lui parvenir. / Si elle ne souhaite plus bénéficier du procédé électronique, elle en informe l'administration par voie électronique dans un délai de préavis, fixé au préalable par cette dernière, qui ne peut excéder trois mois ". L'article R. 112-19 dudit code dispose que : " L'administration adresse à la personne un avis l'informant qu'un document est mis à sa disposition et qu'elle a la possibilité d'en prendre connaissance par le procédé prévu au deuxième alinéa de l'article L. 112-15. / Cet avis mentionne la date de mise à disposition du document, les coordonnées du service expéditeur et le délai prévu à l'article R. 112-20 " et son article R. 112-20 que : " Le document notifié est réputé avoir été reçu par son destinataire à la date de sa première consultation. Cette date peut être consignée dans un accusé de réception adressé à l'administration par le procédé prévu au deuxième alinéa de l'article L. 112-15. / A défaut de consultation du document par son destinataire dans un délai de quinze jours, le document est réputé lui avoir été notifié à la date de mise à disposition ".
7. Il ressort des pièces du dossier que la société Lithos Aménagement a déposé sa demande de permis d'aménager le 15 avril 2022, de manière dématérialisée, par l'usage d'une plateforme informatique appelée " E-Permis " et que la commune de Moncel-lès-Lunéville en a accusé réception le même jour. Le 29 avril 2022, les services instructeurs ont déposé une demande de pièces complémentaires sur la même plateforme informatique. La commune de Moncel-lès-Lunéville produit un extrait de cette plateforme mentionnant un courriel adressé le 2 mai 2022 à l'architecte mandaté par la société Lithos Aménagement pour l'établissement de son dossier de demande de permis d'aménager. Toutefois, si cette société a habilité ce tiers à recevoir les correspondances de l'administration, il n'est ni établi ni même allégué par la commune de Moncel-lès-Lunéville que l'un d'eux aurait donné, en application des dispositions précitées, son accord exprès à la notification de documents par l'administration par l'intermédiaire de ladite plateforme. Au surplus, la commune n'établit pas non plus que le message électronique en litige, qui n'est pas produit dans la présente instance, présenterait les caractéristiques d'un avis de dépôt conformes aux dispositions de l'article R. 112-19 dudit code. Dans ces conditions, la demande du 29 avril 2022 ne peut être regardée comme ayant été régulièrement notifiée à la société Lithos Aménagement dans le délai d'un mois prévu par les dispositions des articles R. 423-22 et R. 423-38 du code de l'urbanisme, sans que la circonstance que celle-ci a produit, le 25 juillet 2022, les pièces complémentaires sollicitées puisse y faire obstacle. Il s'ensuit que le délai d'instruction de trois mois qui courait à partir de la date du dépôt de la demande n'a pas été interrompu. Dès lors, en l'absence d'une décision à l'issue de ce délai, la société Lithos Aménagement est devenue titulaire d'un permis d'aménager tacite le 15 juillet 2022. L'arrêté attaqué, édicté postérieurement à cette date, a ainsi implicitement mais nécessairement eu pour effet de retirer cette autorisation d'urbanisme tacite.
8. En second lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (...) ". Aux termes de l'article L. 122-1 du même code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales (...) ".
9. La décision portant retrait d'un permis d'aménager tacite est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire de la décision d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations. Le respect, par l'autorité administrative compétente, de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 121-1 du même code constitue une garantie pour le titulaire d'une décision tacite de permis d'aménager que cette autorité entend retirer. La décision de retrait est illégale s'il ressort de l'ensemble des circonstances de l'espèce que le bénéficiaire a été effectivement privé de cette garantie.
10. En l'espèce, l'arrêté du 10 octobre 2022 contesté, qui a retiré l'autorisation d'urbanisme tacite dont la société Lithos Aménagement disposait, devait être précédé d'une procédure contradictoire en application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il est constant qu'en l'espèce aucune procédure contradictoire n'a été engagée. Une telle irrégularité a, dans les circonstances de l'espèce, privé la société Lithos Aménagement d'une garantie et l'arrêté du 10 octobre 2022 a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière. La société requérante est ainsi fondée à en demander l'annulation pour ce motif.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Moncel-lès-Lunéville n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 10 octobre 2022.
Sur les frais de l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Lithos Aménagement, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune de Moncel-lès-Lunéville demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Moncel-lès-Lunéville une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Lithos Aménagement et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Moncel-lès-Lunéville est rejetée.
Article 2 : La commune de Moncel-lès-Lunéville versera à la société Lithos Aménagement la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Lithos Aménagement et à la commune de Moncel-lès-Lunéville.
Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne à la préfète de Meurthe-et-Moselle en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC02914 2