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25/02/2025 | FRANCE | N°23NC01544

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 5ème chambre, 25 février 2025, 23NC01544


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonn

é son assignation à résidence pour une durée de six mois dans le département de Meurthe-et-...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Nancy, d'une part, d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné son assignation à résidence pour une durée de six mois dans le département de Meurthe-et-Moselle en lui faisant obligation de se présenter chaque mardi et jeudi auprès des services de police.

Par un jugement n° 2300961 du 2 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a, d'une part, annulé l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a obligé M. E... à quitter le territoire français sans délai, fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois, enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. E... dans un délai de deux mois et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, d'autre part, renvoyé devant une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné l'assignation à résidence de M. E... pour une durée de six mois dans le département de Meurthe-et-Moselle en lui faisant obligation de se présenter chaque mardi et jeudi auprès des services de police.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy ;

2°) de rejeter la demande de première instance de M. E....

Il soutient que :

- la circonstance de ne pas avoir visé l'accord franco-algérien n'affecte en rien la légalité de la mesure d'éloignement ;

- il a examiné si M. E... pouvait ou non bénéficier d'un titre de séjour ;

- le tribunal devait se prononcer sur la légalité de la mesure d'assignation à résidence.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 juillet 2023, M. E..., représenté par Me El Fekri, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que les moyens de la requête du préfet de Meurthe-et-Moselle ne sont pas fondés.

Par un courrier du 12 novembre 2024, les parties ont, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, été informées de ce que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier en raison de l'irrégularité de la composition de la formation de jugement.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord du 27 décembre 1968 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant algérien, déclare être entré en France au cours de l'année 2021. A la suite de son placement en garde à vue pour des faits de vol à la roulotte en réunion, par deux arrêtés du 26 mars 2023, le préfet de Meurthe-et-Moselle, d'une part, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois et, d'autre part, a ordonné son assignation à résidence pour une durée de six mois dans le département de Meurthe-et-Moselle en lui faisant obligation de se présenter chaque mardi et jeudi auprès des services de police. Ces arrêtés ont été notifiés par voie administrative le 27 mars 2023. Par un jugement du 2 mai 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a obligé M. E... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois, a enjoint au préfet de Meurthe-et-Moselle de réexaminer la situation de M. E... dans un délai de deux mois, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et, enfin, a renvoyé devant une formation collégiale les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a ordonné l'assignation à résidence de M. E... pour une durée de six mois dans le département de Meurthe-et-Moselle en lui faisant obligation de se présenter chaque mardi et jeudi auprès des services de police. Le préfet de Meurthe-et-Moselle demande à la Cour d'annuler ce jugement dans toutes ses dispositions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 3 du code de justice administrative : " Les jugements sont rendus en formation collégiale, sauf s'il en est autrement disposé par la loi ". L'irrégularité de la composition d'une formation de jugement est un moyen d'ordre public qui peut être invoqué à toute étape de la procédure et doit être relevé d'office par le juge.

3. Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ". L'article L. 731-3 du même code dispose que : " L'autorité administrative peut autoriser l'étranger qui justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne pouvoir ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé (...) ". Selon l'article L. 732-3 du même code : " L'assignation à résidence prévue à l'article L. 731-1 ne peut excéder une durée de quarante-cinq jours. / Elle est renouvelable une fois dans la même limite de durée ". L'article L. 732-4 prévoit que : " Lorsque l'assignation à résidence a été édictée en application des 1°, 2°, 3°, 4° ou 5° de l'article L. 731-3, elle ne peut excéder une durée de six mois. / Elle peut être renouvelée une fois, dans la même limite de durée (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision relative au délai de départ volontaire et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables au jugement de la décision fixant le pays de renvoi contestée en application de l'article L. 721-5 et de la décision d'assignation à résidence contestée en application de l'article L. 732-8 ". L'article L. 614-8 du même code dispose que : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français est notifiée avec une décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 731-1 ou une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 741-1, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de ces mesures ". Selon l'article L. 614-12 du même code : " La décision d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 731-1 peut être contestée dans les conditions prévues à l'article L. 732-8 ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 732-8 du même code : " La décision d'assignation à résidence prise en application des 1°, 2°, 3°, 4° ou 5° de l'article L. 731-1 peut être contestée devant le président du tribunal administratif dans le délai de quarante-huit heures suivant sa notification. Elle peut être contestée dans le même recours que la décision d'éloignement qu'elle accompagne ".

5. Enfin, l'article R. 776-1 du code de justice administrative dispose que : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions du chapitre IV du titre I du livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article L. 732-8 du même code, ainsi que celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : / 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues aux articles L. 241-1 et L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; / 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues aux articles L. 251-3 et L. 612-1 du même code ; / 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues aux articles L. 612-6 à L. 612-8 du même code (...) ; / 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 721-4 du même code ; / 5° Les décisions d'assignation à résidence prévues aux articles L. 731-1, L. 751-2, L. 752-1 et L. 753-1 du même code. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l'annulation d'une autre décision d'éloignement prévue au livre VI du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des décisions d'expulsions, présentées en cas de placement en rétention administration, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure (...) ". Selon l'article R. 776-14 du même code : " La présente section est applicable aux recours dirigés contre les décisions mentionnées à l'article R. 776-1, lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence (...) ". Aux termes de l'article R. 776-15 de ce code : " Les jugements sont rendus, sans conclusions du rapporteur public, par le président du tribunal administratif ou le magistrat qu'il désigne à cet effet (...) ".

6. Il résulte des dispositions citées aux points 4 et 5 que le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il désigne, est compétent pour se prononcer sur la légalité des décisions d'assignation à résidence prises sur le fondement de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'une durée maximale de quarante-cinq jours et renouvelables une fois dans la même limite de durée. En revanche, il appartient à la formation collégiale du tribunal administratif de se prononcer sur la légalité des décisions d'assignation à résidence prises sur le fondement de l'article L. 731-3 du même code, d'une durée maximale de six mois et renouvelables une fois dans la même limite de durée, y compris dans l'hypothèse où elles sont édictées concomitamment à une obligation de quitter le territoire français. Par ailleurs, les dispositions de l'article R. 776-15 du code de justice administrative, qui doivent être interprétées à la lumière des dispositions législatives citées ci-dessus, n'ont ni pour objet ni pour effet, par elles-mêmes, de donner compétence au magistrat statuant seul pour connaître de requêtes dirigées contre une décision portant obligation de quitter le territoire français, ainsi que contre les décisions qui l'accompagnent, lorsque l'étranger fait l'objet d'une assignation à résidence prise sur le fondement de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il ressort des pièces du dossier que, concomitamment à l'édiction de la décision du 26 mars 2023 lui faisant obligation de quitter le territoire français, M. E... a été assigné à résidence dans le département de Meurthe-et-Moselle pour une durée de six mois sur le fondement du 1° de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy n'était compétente pour statuer ni sur les conclusions dirigées contre cette assignation à résidence, ni sur celles tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ni davantage sur celles dirigées contre les autres décisions litigieuses portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour, l'ensemble de ces conclusions relevant de la compétence de la formation collégiale du tribunal. Par suite, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la demande d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdisant le retour sur le territoire français.

8. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nancy.

Sur la légalité de l'arrêté du 26 mars 2023 :

En ce qui concerne les moyens communs soulevés à l'encontre de l'ensemble des décisions :

9. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme A... B..., directrice de cabinet, à laquelle le préfet de Meurthe-et-Moselle a, par un arrêté du 28 décembre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture le même jour, délégué sa signature à l'effet de signer les samedis, dimanches et jours fériés, toutes décisions en matière de mesure d'éloignement des étrangers prises en application du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit, dès lors, être écarté.

10. En deuxième lieu, il ressort des mentions de l'arrêté attaqué que le préfet de Meurthe-et-Moselle, après avoir constaté l'entrée irrégulière de M. E... en France et l'absence de démarche en vue de la régularisation de sa situation, a examiné l'ensemble de sa situation personnelle et familiale et a vérifié, au vu des éléments dont il avait connaissance, qu'aucune circonstance ne faisait obstacle à une mesure d'éloignement. S'agissant plus particulièrement de la décision portant interdiction de retour, l'arrêté vise notamment l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne les éléments relatifs à la durée de sa présence en France, à ses liens sur le territoire et dans son pays d'origine et son maintien en situation irrégulière. Par suite, et alors même que le préfet n'a pas visé l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, lequel est relatif à la circulation au séjour et au travail des ressortissants algériens en France mais non à leur éloignement, l'arrêté est suffisamment motivé.

11. En dernier lieu, si M. E... soutient que l'arrêté en litige ne lui a pas été notifié dans une langue qu'il comprend, une telle circonstance est sans incidence sur la légalité des décisions contestées. Au demeurant, les arrêtés ont été notifiés en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre lors de l'audition administrative du 26 mars 2023.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ".

13. Il ressort de la décision en litige, prise sur le fondement des dispositions du 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle est motivée par la circonstance que M. E... a été placé en garde à vue pour des faits de vol à la roulotte en réunion le 26 mars 2023, qu'il n'a pu présenter aucun titre d'identité ou titre l'autorisant à séjourner sur le territoire français et reconnaît n'avoir jamais entrepris de démarche en vue de régulariser sa situation administrative. Le préfet de Meurthe-et-Moselle indique également qu'il ne relève d'aucune des catégories d'étrangers ayant droit de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour. L'intéressé ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français et s'y étant maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité, sa situation relève du cas prévu au 1° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel le préfet peut obliger l'étranger à quitter le territoire français.

14. Alors même que cette décision ne vise ni ne mentionne l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, qui ne régit pas les décisions de retour, elle écarte expressément la possibilité que M. E... relève d'une catégorie d'étrangers ayant droit de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour après avoir fait état de la situation personnelle de l'intéressé et avoir relevé sa nationalité, ainsi que ses conditions d'entrée et de séjour en France. Il en résulte que le préfet a, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, examiné la situation particulière de M. E....

15. En deuxième lieu, il résulte de la jurisprudence de la cour de justice de l'Union européenne que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

16. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du formulaire administratif d'éloignement pour trouble à l'ordre public du 26 mars 2023 et du procès-verbal d'audition par les forces de police du 27 mars 2023 que M. E... a été informé de ce qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement et a été invité à présenter ses observations sur cette éventualité. Par suite, son droit d'être entendu n'a pas été méconnu.

17. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

18. M. E... soutient être entré en France en septembre 2020, sans l'établir. Son séjour en France demeure récent. Il n'a jamais sollicité la délivrance d'un titre de séjour et se maintient irrégulièrement sur le territoire français depuis son arrivée. S'il fait valoir travailler, il ne l'établit pas. Il est célibataire et n'a personne à sa charge en France. Il ne justifie pas de liens personnels, de nature privée ou familiale, particulier dans ce pays et il ressort des pièces du dossier que sa famille réside en Algérie. Dans ces conditions, la mesure d'éloignement en litige ne peut être regardée comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Il en résulte que le moyen tiré de ce que cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en prenant cette décision, le préfet aurait manifestement commis une erreur dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.

En ce qui concerne la décision portant refus de délai de départ volontaire :

19. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ".

20. A supposer même que le comportement de M. E... ne constituerait pas une menace pour l'ordre public, celui-ci ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Il se trouve, ainsi, dans le cas prévu au 1° de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans lequel le risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, qui ne ressort pas en l'espèce des pièces du dossier. En conséquence, le préfet de Meurthe-et-Moselle n'a pas commis d'erreur de droit.

21. Enfin, M. E... ayant la possibilité de se faire représenter lors de l'audience devant le tribunal correctionnel, il n'est pas fondé à soutenir que la décision attaquée méconnait les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

22. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter les moyens tirés de ce que la décision fixant le pays de destination serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une part, et de ce qu'elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part.

23. En second lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

24. Si M. E... fait valoir qu'il risque d'être exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il n'apporte aucun élément probant au soutien de ses allégations. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations en cause doit être écarté.

En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

25. En premier lieu, compte tenu de ce qui précède, il y a lieu d'écarter le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de retour sur le territoire français serait illégale en raison de l'illégalité de celle portant obligation de quitter sans délai le territoire français.

26. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. ".

27. L'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. L'autorité compétente doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

28. En outre, il résulte de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, lorsque le préfet prend, à l'encontre d'un étranger, une décision portant obligation de quitter le territoire français ne comportant aucun délai de départ, il lui appartient d'assortir sa décision d'une interdiction de retour sur le territoire français, sauf dans le cas où des circonstances humanitaires y feraient obstacle. Seule la durée de cette interdiction de retour doit alors être appréciée au regard des quatre critères énumérés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à savoir la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, la nature et l'ancienneté de ses liens avec la France, l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et, le cas échéant, la menace pour l'ordre public que constitue sa présence sur le territoire.

29. Il ressort des pièces du dossier que, pour décider d'interdire à M. E... de retourner sur le territoire français pour une durée de dix-huit mois, le préfet de Meurthe-et-Moselle a examiné la situation personnelle de l'intéressé et recherché si une circonstance humanitaire était de nature à justifier que ne soit pas prononcée une telle interdiction. Il s'est aussi fondé sur les circonstances que l'intéressé est entré et s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire et qu'il ne démontre pas l'intensité de ses relations avec la France. Par suite, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en prenant cette décision.

30. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Meurthe-et-Moselle est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy a annulé l'arrêté du 26 mars 2023 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a obligé M. E... à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de dix-huit mois.

Sur les frais liés au litige :

31. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme à ce titre.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2300961 du 2 mai 2023 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nancy est annulé en tant qu'il s'est prononcé sur la demande d'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant le pays de destination et interdisant le retour sur le territoire français.

Article 2 : La demande présentée par M. E... devant le tribunal administratif de Nancy et ses conclusions en appel au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E..., à Me El Fekri et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Antoine Durup de Baleine, président,

- M. Axel Barlerin, premier conseiller,

- Mme Nolwenn Peton, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 février 2025.

La rapporteure,

Signé : N. C...Le président,

Signé : A. Durup de Baleine

Le greffier,

Signé : A. Betti

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

A. Betti

2

N° 23NC01544


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NC01544
Date de la décision : 25/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DURUP DE BALEINE
Rapporteur ?: Mme Nolwenn PETON
Rapporteur public ?: Mme BOURGUET
Avocat(s) : ASTERIA AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-25;23nc01544 ?
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