Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, Mme C... D..., M. A... D... et M. B... D... ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg :
- d'annuler l'arrêté du 9 février 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a délégué l'exercice du droit de préemption à la société Habitat de 1'Ill pour l'acquisition de leur bien situé rue de l'Ehn, au lieudit " Kratz " à Geispolsheim ;
- d'annuler la décision du 12 février 2021 par lequel le directeur de la société Habitat de l'Ill a décidé d'exercer son droit de préemption délégué sur leur bien situé rue de l'Ehn, au lieudit " Kratz " (références cadastrales section 49 n° 36 et 37), à Geispolsheim, ensemble la décision implicite de rejet de leur recours gracieux formé contre cette décision de préemption.
Par un jugement n° 2104983, 2104984 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté la demande dirigée contre l'arrêté du 9 février 2021 et a annulé la décision de préemption du 12 février 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 octobre 2023, la société Habitat de 1'Ill, représentée par Me Lang, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 28 septembre 2023 en ce qu'il annule la décision du 12 février 2021 ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts D... devant le tribunal administratif de Strasbourg ;
3°) de mettre à la charge solidaire des consorts D... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la décision litigieuse a été prise dans le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 janvier 2024, Mme C... D..., M. A... D... et M. B... D..., représentés par Me Gillig, concluent au rejet de la requête et demandent que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Habitat de 1'Ill en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que le moyen soulevé n'est pas fondé.
Par un mémoire, enregistré le 27 novembre 2024, le ministre du logement et de la rénovation urbaine demande à la cour de faire droit aux conclusions de la société Habitat de 1'Ill.
Il déclare s'en rapporter au mémoire de la société requérante.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Berthou,
- les conclusions de M. Meisse, rapporteur public,
- et les observations de Me Erkel, représentant les consorts D....
Considérant ce qui suit :
1. Les consorts D..., propriétaires des parcelles cadastrées section 49 n° 36 et 37 situées au lieudit " Kratz " à Geispolsheim ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler l'arrêté du 9 février 2021 par lequel la préfète du Bas-Rhin a délégué l'exercice du droit de préemption à la société Habitat de 1'Ill pour l'acquisition de leur bien situé rue de l'Ehn, lieudit " Kratz " à Geispolsheim, ainsi que la décision du 12 février 2021 par laquelle le directeur de la société Habitat de l'Ill a décidé d'exercer son droit de préemption délégué sur ces deux parcelles leur appartenant. La société Habitat de 1'Ill demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal du 28 septembre 2023 en ce qu'il a annulé la décision de préemption du 12 février 2021.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée ou, en cas d'adjudication, l'estimation du bien ou sa mise à prix, ainsi que les informations dues au titre de l'article L. 514-20 du code de l'environnement. Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. La liste des documents susceptibles d'être demandés est fixée limitativement par décret en Conseil d'Etat. (...) / Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. / Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. (...) ". Aux termes de l'article D. 213-13-4 de ce même code : " La demande de la visite du bien visée à l'article D. 213-13-1 indique les références de la déclaration prévue à l'article L. 213-2. Cette demande reproduit, en caractères apparents, les dispositions de l'article L. 213-2 et celles des articles D. 213-13-2 et D. 213-13-3. / Elle mentionne le nom et les coordonnées de la ou des personnes que le propriétaire, son mandataire ou le notaire peut contacter pour déterminer les modalités de la visite. / Elle indique que la visite doit être faite en présence du propriétaire ou de son représentant et du titulaire du droit de préemption ou de la personne mandatée par ce dernier. ".
3. Aux termes de l'article D. 213-13-2 alors en vigueur du code de l'urbanisme : " L'acceptation de la visite par le propriétaire est écrite. / Elle est notifiée au titulaire du droit de préemption dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 et dans le délai de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite. / La visite du bien se déroule dans le délai de quinze jours calendaires à compter de la date de la réception de l'acceptation de la visite, en dehors des samedis, dimanches et jours fériés. / Le propriétaire, son mandataire ou le notaire est tenu d'informer de l'acceptation de la visite les occupants de l'immeuble mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. / Un constat contradictoire précisant la date de visite et les noms et qualité des personnes présentes est établi le jour de la visite et signé par le propriétaire ou son représentant et par le titulaire du droit de préemption ou une personne mandatée par ce dernier. / L'absence de visite dans le délai prévu au troisième alinéa vaut soit refus de visite, soit renonciation à la demande de visite. Dans ce cas, le délai suspendu en application du quatrième alinéa de l'article L. 213-2 reprend son cours. ". Aux termes de son article D. 213-13-3 : " Le propriétaire peut refuser la visite du bien. / Le refus est notifié au titulaire du droit de préemption dans les conditions prévues à l'article R. 213-25 et dans le délai de huit jours à compter de la date de réception de la demande de visite. En l'absence de réponse dans ce délai, le refus est tacite. ".
4. Il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Dans le cas où le titulaire du droit de préemption décide de l'exercer, les mêmes dispositions, combinées avec celles précitées du code général des collectivités territoriales, imposent que la décision de préemption soit exécutoire au terme du délai de deux mois, c'est-à-dire non seulement prise mais également notifiée au propriétaire intéressé et transmise au représentant de l'Etat. La réception de la décision par le propriétaire intéressé et le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois, à la suite respectivement de sa notification et de sa transmission, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption.
5. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
6. Il ressort des pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner souscrite par les consorts D... a été reçue par la commune de Geispolsheim le 1er décembre 2020. Par un courrier du 11 janvier 2021, le préfet du Bas-Rhin, titulaire du droit de préemption sur le territoire de la commune de Geispolsheim en application des dispositions combinées des articles L. 210-1 du code de l'urbanisme et L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, a adressé à chacun des propriétaires une demande de visite. Il ressort des termes de ces courriers qu'ils ne comportaient pas la reproduction des dispositions de
l'article L. 213-2 et celles des articles D. 213-13-2 et D. 213-13-3 exigée par
l'article D. 213-13-4 du code de l'urbanisme, et qu'ils n'en indiquaient que partiellement le contenu, à l'exclusion, notamment, des règles fixant les conditions de suspension et de reprise du délai de préemption et sans mentionner clairement la faculté de refus de visite. Dans ces conditions, les consorts D... ont été privés d'une garantie. Ainsi, cette demande de visite du bien n'était pas de nature à proroger le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner au-delà duquel l'autorité détentrice du droit de préemption ne peut plus faire usage de ce droit. Dès lors, en prenant la décision attaquée le 12 février 2021, postérieurement à l'expiration de ce délai, le directeur de la société Habitat de 1'Ill a fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme. Par suite, la société Habitat de 1'Ill n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a écarté ce moyen et a annulé cette décision de préemption.
Sur les frais de l'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des consorts D..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Habitat de 1'Ill demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Habitat de 1'Ill une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par les consorts D... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Habitat de 1'Ill est rejetée.
Article 2 : La société Habitat de 1'Ill versera aux consorts D... la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Habitat de 1'Ill, à Mme C... D..., représentante unique en application des dispositions de l'article R. 751-3 du code de justice administrative et au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation.
Délibéré après l'audience du 27 mars 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wurtz, président,
- Mme Bauer, présidente-assesseure,
- M. Berthou, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : D. BERTHOULe président,
Signé : Ch. WURTZLe greffier,
Signé : F. LORRAIN La République mande et ordonne au ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier :
F. LORRAIN
N° 23NC03113 2