Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société W.E.B. Energie du Vent a demandé à la cour administrative d'appel de Nancy, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord du ministère des armées sur sa demande d'avis conforme pour la création d'un parc éolien sur le territoire des communes de Praslin, Villiers-sous-Praslin, Arrelles et Villemorien (Aube) et, d'autre part, d'enjoindre à cette direction de lui délivrer un avis conforme dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir.
Par une ordonnance n° 21NC03264 du 19 janvier 2022, la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté cette demande " en l'absence de décision faisant grief ".
Par une décision n° 462446 du 6 décembre 2023, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la société W.E.B. Energie du Vent, annulé l'ordonnance de la présidente de la 1ère chambre de la cour administrative d'appel de Nancy en date du 19 janvier 2022 et a renvoyé l'affaire devant la même cour.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 14 décembre 2021, et des mémoires complémentaires enregistrés après renvoi le 18 janvier 2024, le 25 février 2025 et le 12 mars 2025, la société W.E.B. Energie du Vent, représentée par Me Cassin, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision implicite née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord du ministère des Armées sur sa demande d'avis pour la création d'un parc éolien sur le territoire des communes de Praslin, Villiers-sous-Praslin, Arrelles et Villemorien ;
2°) d'enjoindre à la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord du ministère des Armées de lui délivrer un avis conforme dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a fait une demande de communication des motifs de la décision implicite de refus de la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord à laquelle il n'a pas été répondu de sorte que la décision est entachée d'un défaut de motivation ;
- le projet est conforme aux exigences de la réglementation et conforme à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 janvier 2025, le 7 mars 2025 et le 10 mars 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable, ses services n'ont jamais reçu la demande du 12 mai 2021 et la société requérante ne justifie pas de l'accusé de réception ni de la complétude du dossier ;
- elle est irrecevable dès lors qu'elle ne fait pas grief eu égard au stade de la procédure auquel elle est née ;
- le moyen tiré du défaut de motivation de la décision est inopérant en l'absence de preuve de la demande de communication des motifs ;
- la demande ne pouvait qu'être rejetée en l'absence de précisions sur le nombre et la hauteur des éoliennes composant le projet.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Wallerich, président,
- les conclusions de Mme Antoniazzi, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bes de Berc avocat de la société W.E.B. Energie du Vent et de Mme A..., représentant le ministre des armées.
Considérant ce qui suit :
1. La société W.E.B. Energie du Vent a défini une zone d'implantation potentielle d'un projet éolien sur le territoire des communes de Praslin, Villiers-sous-Praslin, Arrelles et Villemorien (Aube) et, dans la perspective de constituer un dossier de demande d'autorisation environnementale, a cherché à obtenir l'avis du ministre des armées sur ce projet. Par un courrier du 18 mars 2021 et un courriel du 12 avril 2021, le ministre a indiqué à cette société que l'implantation de son projet n'était pas possible dans le secteur envisagé. La société W.E.B. Energie du Vent demande à la cour l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord sur sa nouvelle demande du 12 mai 2021 tendant à l'obtention d'un nouvel avis sur un projet modifié.
Sur les fins de non-recevoir opposée en défense :
2. En premier lieu, le ministre des armées fait valoir dans son mémoire en défense enregistré le 29 janvier 2025 et communiqué à la société requérante le 30 janvier 2025 que ses services n'ont jamais reçu la demande du 12 mai 2021 alors que la société requérante ne justifie pas de l'accusé de réception ni de la complétude du dossier. Dans ses dernières écritures la société produit toutefois l'accusé de réception postal signé le 17 mai 2021 par le préposé de l'agence postale de l'armée de l'air à Tours. Par ailleurs le ministre n'apporte aucun commencement de preuve de l'incomplétude du dossier réceptionné le 17 mai 2021 alors au demeurant qu'il n'a jamais invité la société à compléter les éléments manquants. Il ne démontre pas davantage que la dernière demande de la société serait identique à celle déposée le 12 avril 2021 alors que la société apporte les éléments de nature à démontrer que le projet a été modifié, notamment en ce qui concerne le nombre d'éoliennes et le polygone d'implantation. Dans cette mesure la fin de non-recevoir opposée par le ministre en défense à ce titre ne peut qu'être écartée.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 181-5 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de la décision administrative attaquée : " Avant le dépôt de la demande d'autorisation environnementale, le porteur d'un projet soumis à une telle autorisation : / 1° Peut solliciter des informations lui permettant de préparer son projet et le dossier de sa demande d'autorisation auprès de l'autorité administrative compétente. Les réponses apportées par celle-ci sont fonction de l'état du projet et ne préjugent ni du contenu du dossier qui sera finalement nécessaire à l'instruction de la demande d'autorisation ni de la décision qui sera prise à l'issue de celle-ci (...) ". Selon l'article L. 181-8 du même code : " Le pétitionnaire fournit un dossier dont les éléments, lorsqu'ils sont communs à toutes les demandes d'autorisation environnementale, sont fixés par le décret en Conseil d'Etat prévu par l'article L. 181-32 (...). / Un décret précise les autres pièces et informations spécifiques à joindre au dossier selon les législations auxquelles le projet est soumis, ainsi que les modalités de son instruction (...) ". Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : / (...) 2° Le ministre de la défense, y compris pour ce qui concerne les radars et les radiophares omnidirectionnels très haute fréquence (VOR) relevant de sa compétence (...). / Ces avis sont rendus dans le délai de deux mois. / Le présent article n'est pas applicable lorsque le pétitionnaire a joint ces avis à son dossier de demande ". Enfin, en vertu de l'article R. 181-34 du même code : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : / (...) 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable (...). / La décision de rejet est motivée ".
4. Il résulte des dispositions combinées des articles R. 181-32 et R. 181-34 du code de l'environnement citées au point précédent que la délivrance de l'autorisation environnementale portant sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent est subordonnée à un accord du ministre de la défense. Lorsque cet accord est sollicité par le préfet après que ce dernier a été saisi d'une demande d'autorisation environnementale, le refus d'un tel accord, qui s'impose au préfet, ne constitue pas une décision susceptible de recours. En revanche, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par le préfet pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision. Lorsque la phase de concertation relative à cet accord a lieu avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation directement entre le pétitionnaire et le ministre de la défense, un refus d'accord recueilli par le demandeur rend impossible la constitution d'un dossier susceptible d'aboutir à une décision favorable, mettant ainsi un terme à la procédure, sauf pour l'intéressé à présenter néanmoins au préfet une demande d'autorisation nécessairement vouée au rejet, dans le seul but de faire naître une décision susceptible d'un recours à l'occasion duquel le refus d'accord pourrait être contesté. Dans ces conditions, le refus d'accord du ministre de la défense doit être regardé comme faisant grief et comme étant, par suite, susceptible d'être déféré au juge.
5. Il résulte de l'instruction que la société W.E.B. Energie du Vent n'a pas déposé de demande d'autorisation environnementale pour la création d'un parc éolien sur le territoire des communes de Praslin, Villiers-sous-Praslin, Arrelles et Villemorien auprès des services du préfet de l'Aube. Dans ces conditions, le refus d'accord du ministre de la défense opposé implicitement à la demande déposée le 12 mai 2021 doit être regardé comme faisant grief et comme étant, par suite, susceptible d'être déféré au juge.
6. Il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées en défense ne peuvent qu'être écartées.
Sur la légalité du défaut d'accord du ministre de la défense :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...)7° Refusent une autorisation, (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".
8. Enfin, aux termes du premier alinéa de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation " et, aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
9. Par un courrier du 12 octobre 2021, réceptionné le 14 octobre 2021 ainsi que le démontre l'accusé de réception postal produit à l'instance, la société a demandé au ministre de la défense la communication des motifs de la décision de refus d'accord, qui est au nombre de celles devant être motivées en vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il ne résulte pas de l'instruction que cette demande n'aurait pas été formulée dans le délai de recours contentieux, dès lors que le ministre n'a pas délivré d'accusé de réception mentionnant les conditions de naissance d'une décision implicite, et les délais et conditions des recours pouvant être exercés à son encontre, en méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 112-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par ailleurs, le ministre, qui n'a pas répondu à cette demande de communication des motifs de la décision de rejet dans le délai d'un mois, ne peut se prévaloir des motifs de rejet qui ont été communiqués à la société requérante dans son courrier du 18 mars 2021 alors que la demande d'accord du 12 mai 2021 portait sur un projet modifié ainsi qu'il a été dit au point 2 du présent arrêt. Dans ces conditions la société requérante est fondée à soutenir que la décision attaquée est entachée d'un défaut de motivation qui doit, pour ce motif, être annulée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Eu égard au motif d'annulation retenu par la cour, la présente décision impliquera uniquement que l'administration réexamine la demande d'avis conforme dont elle était saisie. Les conclusions de la société requérante tendant à ce qu'il soit enjoint à la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord du ministère des Armées de lui délivrer un avis conforme dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La décision implicite née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord du ministère des armées sur sa demande d'avis conforme sollicitée le 12 mai 2021 par la société W.E.B. Energie du Vent pour la création d'un parc éolien sur le territoire des communes de Praslin, Villiers-sous-Praslin, Arrelles et Villemorien est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de réexaminer la demande d'avis conforme dont il a été saisi par la société W.E.B. Energie du Vent.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société W.E.B. Energie du Vent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société W.E.B. Energie du vent, au ministre des armées et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Wallerich, président de chambre,
- Mme Guidi, présidente-assesseure,
- M. Michel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : M. WallerichL'assesseure la plus ancienne
dans l'ordre du tableau,
Signé : L. Guidi
La greffière,
Signé : F. Dupuy
La République mande et ordonne au ministre des armées et à la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche chacun en en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
I. Legrand
N° 23NC03526 2