Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler, d'une part, l'arrêté du 9 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an et, d'autre part, l'arrêté du 9 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a ordonné son assignation à résidence.
Par un jugement n° 2308064 du 29 novembre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions portant refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2023, M. B..., représenté par Me Airiau, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du 29 novembre 2023 ;
3°) d'annuler les décisions 9 novembre 2023 l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination et l'arrêté du 9 novembre 2023 prononçant une assignation à résidence ;
4°) d'enjoindre à la préfète du Bas-Rhin de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt ou, à défaut, de réexaminer sa situation, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision l'obligeant à quitter le territoire a été prise en méconnaissance de son droit à être entendu ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de celle l'obligeant à quitter le territoire ;
- la décision l'assignant à résidence est insuffisamment motivée ;
- elle est illégale par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant refus de départ volontaire.
La requête a été communiqué à la préfète du Bas-Rhin qui n'a pas produit d'observations.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Barlerin a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né le 24 février 1997, de nationalité tunisienne, déclare être entré en France en 2018, irrégulièrement. Le 1er juin 2019 il a fait l'objet d'une première obligation de quitter le territoire, qui n'a pas été exécutée. Il s'est maintenu sur le territoire français sans effectuer de démarches pour régulariser sa situation au regard du séjour. Par des arrêtés du 9 novembre 2023, la préfète du Bas-Rhin, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination lui a fait interdiction de retour sur le territoire français et, d'autre part, l'a assigné à résidence. M. B... relève appel du jugement du 29 novembre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté les conclusions de sa demande tendant à l'annulation des décisions portant obligation de quitter le territoire français et l'assignant à résidence. M. B... ayant obtenu, en cours d'instance, le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, sa demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire est devenue sans objet.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, M. B... soutient qu'il n'a pas été mis à même de faire valoir ses observations sur l'éventualité d'une mesure d'éloignement, les questions lui ayant été posées lors de son audition le 8 novembre 2023 n'appelant aucune observation de sa part. Cependant, M. B..., qui avait déjà, en 2019, fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire, et qui, aux termes mêmes du procès-verbal de son audition, a été informé de l'éventualité d'une mesure " d'expulsion ", ne saurait sérieusement soutenir ignorer qu'il était susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il ne résulte par ailleurs d'aucune pièce du dossier qu'il aurait été, à cette occasion, empêché de formuler toute observation utile, qu'il s'agisse de sa relation personnelle avec une ressortissante française, de sa situation professionnelle ou sur ses éventuelles démarches administratives. Dès lors ce moyen doit être écarté.
3. En deuxième lieu, le fait que la décision attaquée ne mentionne pas expressément la nationalité française de son épouse n'implique pas que cette circonstance, dont le requérant avait, au demeurant, fait part lors de son audition, aurait été écartée ou méconnue par la préfète du Bas-Rhin. Le moyen tiré du défaut d'examen particulier des circonstances particulières de l'espèce doit dès lors être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2 Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. M. B... se prévaut à ce titre de la durée de sa présence en France depuis 6 ans, de son mariage avec une ressortissante française et de ses efforts d'intégration professionnelle et personnelle en France. Il ressort cependant des pièces du dossier que M. B..., ressortissant tunisien qui a passé la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine et y conserve des attaches familiales, est entré irrégulièrement en France en 2018 et a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dès 2019, à laquelle il n'a pas déféré. Par ailleurs, si M. B... s'est marié avec une ressortissante française en août 2023, cette union est, à la date d'édiction de la mesure attaquée, particulièrement récente, les époux n'ont pas d'enfant ensemble et ne pouvaient ignorer au moment de ce mariage la situation de séjour irrégulier de l'un d'entre eux, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne garantissant pas dans cette hypothèse un droit pour les époux d'établir leur vie commune dans le pays où cet époux séjourne irrégulièrement. Enfin, si M. B... a effectué quelques missions d'intérim en août 2022 et début 2023, et produit un contrat à durée déterminée en date du 13 novembre 2023, soit postérieurement à la décision litigieuse, il ne saurait ainsi, et en tout état de cause, être regardé comme établissant la réalité de liens particulièrement anciens et stables en France, alors d'ailleurs que de telles activités salariées ne se rapportent pas, en elles-mêmes, à la vie privée et familiale. Dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances caractérisant la situation de séjour du requérant dans ce pays, de l'existence d'une précédente mesure d'éloignement et des effets d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, la préfète du Bas-Rhin, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels a été prise cette décision. Il en résulte que cette dernière ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
6. Il résulte de ce qui précède que la décision obligeant M. B... à quitter le territoire français n'est pas illégale. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de cette obligation.
En ce qui concerne la décision prononçant une assignation à résidence :
7. Aux termes de l'article L. 730-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, dans les conditions prévues au présent titre, assigner à résidence l'étranger faisant l'objet d'une décision d'éloignement sans délai de départ volontaire ou pour laquelle le délai de départ volontaire imparti a expiré et qui ne peut quitter immédiatement le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 731-1 du même code : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : / 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; / (...) ".
8. Dans la mesure où l'arrêté de la préfète du Bas-Rhin en date du 9 novembre 2023 portant refus d'accorder un délai de départ volontaire a été annulé par le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 novembre 2023, la décision prononçant l'assignation à résidence de M. B... doit, par voie de conséquence, être annulée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 9 novembre 2023 l'assignant à résidence. Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 29 novembre 2023 doit dès lors, dans cette mesure, être annulé.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Airiau, d'une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'aide juridictionnelle provisoire de M. B....
Article 2 : Le jugement n° 2308064 du tribunal administratif de Strasbourg du 29 novembre 2023 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... dirigées contre l'arrêté prononçant son assignation à résidence.
Article 3 : L'arrêté en date du 9 novembre 2023 par lequel la préfète du Bas-Rhin a prononcé l'assignation à résidence de M. B... est annulé.
Article 4 : L'Etat versera à Me Airiau, une somme de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Airiau et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- M. Durup de Baleine, président,
- M. Barlerin, premier conseiller,
- Mme Peton, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé A. BarlerinLe président,
Signé A. Durup de Baleine
Le greffier,
Signé A. Betti
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Le greffier,
A. Betti
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N° 23NC03781