Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2014.
Par un jugement no 2105512 du 19 décembre 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 février 2023, M. A..., représenté par Me Comin, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités mises à sa charge ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de la régularité du jugement attaqué :
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'administration fiscale ne peut pas, en application de la lettre de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarter un acte isolé comme étant constitutif d'un abus de droit ;
- ils ont omis de se prononcer sur le moyen tiré de ce que le paiement d'une soulte est la contrepartie d'un apport ;
S'agissant du bien-fondé de l'imposition :
- l'administration n'a pas justifié que les objectifs poursuivis par les auteurs du texte de l'article 150-0 B ter du code général des impôts s'opposaient à l'application littérale du texte qui a été faite au moment de l'apport ;
- la création de la société holding n'était pas dénuée de toute substance économique, si bien que l'apport réalisé par M. A... ne méconnaît pas l'intention du législateur lors de l'élaboration du régime de l'article 150-0 B ter du code général des impôts ;
- le législateur n'a jamais eu pour intention de conditionner la stipulation d'une soulte à l'existence d'un intérêt économique de la société bénéficiaire à verser cette soulte ;
- l'administration n'établit, en l'espèce, ni l'existence d'une fraude à la loi, ni la poursuite d'un but exclusivement fiscal.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012 ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Brodier, première conseillère,
- les conclusions de Mme Mosser, rapporteure publique,
- les observations de Me Viveiros, avocat de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de la création de la société civile (SC) 2H Finances en vue d'exercer une activité de holding, M. B... A..., qui en est le gérant, a, par un acte du 15 octobre 2014, apporté à cette société les 4 995 titres qu'il détenait dans la SARL HTP, dont il est également le gérant, ainsi que 1 500 euros en numéraire. Il a reçu en contrepartie 1 183 317 titres de la SC 2H Finances d'une valeur nominale d'un euro ainsi qu'une soulte de 116 883 euros. M. A... devenait ainsi associé à 99,77 % de cette société civile, soumise à l'impôt sur les sociétés, les autres titres étant détenus à hauteur de 0,10 % par M. C... A... et à hauteur de 0,13 % par la SCI JH Venissieux, dont le requérant détient 99,99 % des titres. La soulte de 116 883 euros obtenue par M. B... A... en contrepartie de l'apport de ses titres de la SARL HTP a été inscrite au crédit de son compte courant d'associé dans les écritures de la SC 2H Finances. S'agissant d'une soulte d'un montant inférieur à 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport des titres de la SARL HTP, M. A... a estimé pouvoir placer la plus-value réalisée à l'occasion de cet apport, y compris la soulte, sous le régime du report d'imposition prévu par l'article 150-0 ter du code général des impôts. L'administration a toutefois estimé que la rémunération de l'apport au moyen de cette soulte était constitutive, en l'espèce, d'un abus de droit. Par une proposition de rectification du 6 juin 2017, établie selon la procédure de la répression de l'abus de droit prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, l'administration a soumis le montant de la soulte reçue à l'impôt sur le revenu entre les mains de M. A... au titre de l'année 2014. Cette rectification a été refusée et la position de l'administration a été confirmée par une lettre du 21 février 2018 de réponse aux observations du contribuable ainsi qu'après l'avis émis le 15 novembre 2019 par le comité de l'abus de droit fiscal en faveur de la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit. Les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ont été mises en recouvrement le 30 juin 2020 pour un montant total de 111 777 euros en droits et pénalités. L'administration fiscale a rejeté, par une décision du 10 juin 2021, la réclamation préalable formée par le contribuable. M. A... relève appel du jugement du 19 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions mises à sa charge au titre de l'année 2014.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte des termes mêmes du jugement attaqué, dont l'intégralité des motifs est consacrée à démontrer que la stipulation de la soulte en litige ne poursuivait qu'un but exclusivement fiscal, que les premiers juges ont répondu aux moyens tirés de diverses erreurs de droit que l'administration aurait commises dans l'application de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales. Par suite, M. A... n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier à raison d'un défaut de réponse à un de ses moyens.
Sur le bien-fondé de l'imposition en litige :
3. Aux termes du I de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 et antérieure à la loi du 29 décembre 2016 : " L'imposition de la plus-value réalisée, directement ou par personne interposée, dans le cadre d'un apport de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres ou de droits s'y rapportant tels que définis à l'article 150-0 A à une société soumise à l'impôt sur les sociétés ou à un impôt équivalent est reportée si les conditions prévues au III du présent article sont remplies. Le contribuable mentionne le montant de la plus-value dans la déclaration prévue à l'article 170. / Les apports avec soulte demeurent soumis à l'article 150-0 A lorsque le montant de la soulte reçue excède 10 % de la valeur nominale des titres reçus. / (...) ". Aux termes de l'article 150-0 A du même code : " I.-1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu. (...) ". Aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. / En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. (...) / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification ".
4. En premier lieu, et contrairement à ce que M. A... soutient, l'administration fiscale a, pour fonder le rehaussement en litige, fait application des dispositions précitées des deux premiers alinéas de l'article 150-0 B ter du code général des impôts, dans leur version applicable à la date de l'apport de titres à la société dont il devenait l'associé majoritaire, que l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 n'avait pas modifiées.
5. En deuxième lieu, en instituant un mécanisme de report d'imposition, le législateur a entendu favoriser les restructurations d'entreprises susceptibles d'intervenir par échange de titres en évitant que l'imposition immédiate de la plus-value constatée à l'occasion d'une telle opération, alors que le contribuable ne dispose pas des liquidités lui permettant d'acquitter cet impôt, fasse obstacle à sa réalisation. Si, dans la version du texte applicable au litige, le report d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport, le but ainsi poursuivi par le législateur n'est pas respecté si la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés. Dans ce cas, l'administration est fondée, sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, à considérer qu'en stipulant l'octroi de cette soulte, les parties à l'opération d'apport ont recherché le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B ter du code général des impôts à l'encontre des objectifs poursuivis par le législateur, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées.
6. Il résulte de ce qui précède que le requérant ne saurait contester par principe le recours de l'administration à la procédure de répression des abus de droit dans le cas de la stipulation d'une soulte dont le montant n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport. Contrairement à ce qu'il soutient, l'administration est en droit, en vertu des règles énoncées aux points 4 et 5 ci-dessus, de rechercher si la stipulation d'une soulte dans un acte d'apport poursuit un but exclusivement fiscal lui permettant de qualifier celle-ci d'acte constitutif d'un abus de droit. A cet égard, la circonstance que l'administration aurait entendu invoquer une définition de la soulte qui serait différente de celle défendue par le requérant est sans influence sur l'application de ces règles.
7. En troisième lieu, en raison de l'avis favorable au recours par l'administration fiscale à la procédure de répression des abus de droit, émis le 15 novembre 2019 par le comité de l'abus de droit, la charge de la preuve incombe à M. A....
8. Il résulte de l'instruction que, par un traité d'apport du 15 octobre 2014, M. B... A... a apporté à la SC 2H Finances l'intégralité des titres qu'il détenait dans la SARL HTP et a reçu, en contrepartie, 1 183 317 titres de cette société ainsi qu'une soulte de 116 883 euros, inscrite au crédit de son compte courant d'associé dans les écritures de cette société nouvellement créée. L'administration a considéré que la stipulation de cette soulte n'avait, dans le cadre de l'opération d'apport à l'occasion de la création de la société 2H Finances, aucune justification économique et que cette attribution en numéraire, qui constituait une application littérale du texte fiscal à l'encontre des objectifs du législateur, ne poursuivait qu'un but exclusivement fiscal permettant à M. A... d'appréhender des revenus distribués par la SC 2H Finances en franchise d'impôt. Afin de remettre en cause la position de l'administration, M. A... soutient que l'opération d'apport des titres qu'il détenait dans la SARL HTP au profit de la société civile 2H Finances répondait à des considérations patrimoniales, notamment de rationalisation de la détention des participations au sein du groupe familial et à des considérations économiques, notamment la constitution d'un groupe de sociétés justifiant la création d'une société holding. Il ne produit toutefois aucun élément précis qui permettrait de considérer que la stipulation de la soulte de 116 883 euros, obtenue à l'occasion d'un échange de titres effectué lors de la création de la société holding bénéficiaire, dont il devient l'associé à 99,9 %, comme il l'était préalablement au sein de la SARL HTP, poursuivait effectivement et au moins partiellement un objectif autre qu'exclusivement fiscal. Par suite, le contribuable n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que l'administration a imposé la plus-value réalisée à concurrence du montant de la soulte, sur le fondement de l'article 150-0 A du code général des impôts, au titre de l'année 2014.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande. Par suite, sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête présentée par M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 26 juin 2025, à laquelle siégeaient :
M. Martinez, président,
M. Agnel, président-assesseur,
Mme Brodier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 juillet 2025.
La rapporteure,
Signé : H. Brodier Le président,
Signé : J. Martinez
La greffière,
Signé : C. Schramm
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
C. Schramm
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No 23NC00543