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17/07/2025 | FRANCE | N°24NC00120

France | France, Cour administrative d'appel de NANCY, 2ème chambre, 17 juillet 2025, 24NC00120


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) RBAT Home a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 31 mars 2022 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de de 91 250 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que la somme de 11 990 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 c

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société anonyme à responsabilité limitée (SARL) RBAT Home a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 31 mars 2022 par laquelle le directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) a mis à sa charge la somme de de 91 250 euros au titre de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail ainsi que la somme de 11 990 euros au titre de la contribution forfaitaire prévue à l'article L. 626-1 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que la décision du 19 mai 2022 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2204366 du 5 décembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 17 janvier 2024, l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), représenté par Me de Froment, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 5 décembre 2023 ;

2°) de rejeter la demande de la société RBAT Home ;

3°) de mettre à la charge de la société RBAT Home une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

L'OFII soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la matérialité des faits n'était pas établie ; le procès-verbal d'infraction du 22 mars 2021 fait foi jusqu'à preuve du contraire ; l'OFII n'a pas à rapporter la preuve du caractère intentionnel de l'infraction ; lors du contrôle, les cinq salariés en cause n'ont pas présenté de document justifiant de leur identité et de leur nationalité et la société n'a jamais transmis les cartes d'identité à l'inspection du travail malgré plusieurs demandes en ce sens ; à cet égard, les salariés ne se sont jamais prévalus de leur nationalité roumaine ; les explications de la société RBAT Home sont contradictoires dès lors qu'initialement elle a réfuté sa qualité d'employeur des cinq salariés concernés et les a déclarés le lendemain du contrôle ; ce n'est qu'à la suite de plusieurs courriers que la société a produit les contrats de travail de ces salariés datant du jour du contrôle et mentionnant la nationalité moldave ; la société RBAT Home n'a jamais transmis d'autorisation de travail ; la société avait intérêt à mentionner la prétendue nationalité roumaine de ses salariés et d'en justifier avant que le procès-verbal d'infraction ne soit transmis à l'OFII.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mars 2024, la société RBAT Home, représentée par Me Pottier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de l'OFII sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par l'OFII ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Laurence Stenger, première conseillère,

- et les conclusions de Mme Cyrielle Mosser, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 mars 2021, les services de l'inspection du travail ont procédé au contrôle d'un chantier de construction d'une maison individuelle sur la commune de Wolxheim dans le département du Bas-Rhin. Ils ont constaté la présence en action de travail de cinq ressortissants moldaves démunis de titre les autorisant à travailler et séjourner en France et qui n'avaient pas été déclarés auprès des organismes sociaux. Le même jour, l'inspectrice du travail a établi un procès-verbal à l'encontre de leur employeur, la société RBAT Home, constatant l'emploi d'étrangers sans titre de travail en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 du code du travail. Par un courrier recommandé du 16 février 2022, le directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a informé la société RBAT Home du constat de cette infraction et de ce qu'elle était passible d'une sanction administrative, et l'a invitée à présenter ses observations. Le courrier est revenu non réclamé au service de l'OFII. Par une décision du 31 mars 2022, notifiée le 2 avril suivant, le directeur général de l'OFII a notifié à la société RBAT Home sa décision de lui infliger la contribution spéciale mentionnée à l'article L. 8253-1 du code du travail pour un montant de 91 250 euros ainsi que la contribution forfaitaire mentionnée aux articles L. 822-2 à L. 822-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour un montant de 11 990 euros, soit une somme totale de 103 240 euros. La société RBAT Home a formé un recours gracieux le 9 mai 2022, lequel a été rejeté par l'OFII le 19 mai 2022. Par un jugement du 5 décembre 2023 dont l'OFII relève appel, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les deux décisions du 31 mars et du 19 mai 2022.

2. D'une part, aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes :

1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; (...) ". Aux termes des dispositions de l'article L. 8251-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige : " Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l'autorisant à exercer une activité salariée en France (...) ". Aux termes de l'article L. 8253-1 de ce même code dans sa version alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à son encontre, l'employeur qui a employé un travailleur étranger en méconnaissance des dispositions du premier alinéa de l'article L. 8251-1 acquitte, pour chaque travailleur étranger non autorisé à travailler, une contribution spéciale. Le montant de cette contribution spéciale est déterminé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. Il est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti prévu à l'article L. 3231-12. Ce montant peut être minoré en cas de non-cumul d'infractions ou en cas de paiement spontané par l'employeur des salaires et indemnités dus au salarié étranger non autorisé à travailler mentionné à l'article R. 8252-6. Il est alors, au plus, égal à 2 000 fois ce même taux. Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur : " Sans préjudice des poursuites judiciaires qui peuvent être engagées à son encontre et de la contribution spéciale prévue à l'article L. 8253-1 du code du travail, l'employeur qui a occupé un travailleur étranger en situation de séjour irrégulier acquitte une contribution forfaitaire représentative des frais d'éloignement du territoire français de cet étranger ". Aux termes de l'article L. 5221-8 du code du travail : " L'employeur s'assure auprès des administrations territorialement compétentes de l'existence du titre autorisant l'étranger à exercer une activité salariée en France (...) ". Enfin, l'article L. 8113-7 du code du travail dispose que : " Les agents de contrôle de l'inspection du travail mentionnés à l'article L. 8112-1 et les fonctionnaires de contrôle assimilés constatent les infractions par des procès-verbaux qui font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".

4. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 8253-1 du code du travail et de l'article L. 822-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que les contributions qu'ils prévoient ont pour objet de sanctionner les faits d'emploi d'un travailleur étranger séjournant irrégulièrement sur le territoire français ou démuni de titre l'autorisant à exercer une activité salariée, sans qu'un élément intentionnel soit nécessaire à la caractérisation du manquement. Toutefois, un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions, qui assurent la transposition des articles 3, 4 et 5 de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l'encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lorsque tout à la fois, d'une part, il s'est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l'article L. 5221-8 du code du travail et, d'autre part, il n'était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d'une usurpation d'identité. En outre, lorsqu'un salarié s'est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d'un Etat pour lequel une autorisation de travail n'est pas exigée, l'employeur ne peut être sanctionné s'il s'est assuré que ce salarié disposait d'un document d'identité de nature à en justifier et s'il n'était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d'une usurpation d'identité.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal d'infraction dressé par les services de l'inspection du travail à la suite de leur contrôle du 22 mars 2021, lequel fait foi jusqu'à preuve du contraire, que ces derniers ont constaté la présence sur le chantier visité de cinq étrangers en situation de travail, employés par la société RBAT Home. Ces salariés, lors du contrôle, n'ont pas présenté de document d'identité ni de titre les autorisant à exercer une activité salariée en France mais ils ont déclaré être de nationalité moldave. En outre, l'un d'entre eux faisait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai.

6. Toutefois, comme l'ont relevé les premiers juges, ces constats sont contredits par la société requérante qui fait valoir que les cinq travailleurs étrangers contrôlés, de nationalité moldave, ont également la nationalité roumaine et que, ce faisant, en leur qualité de ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, ils étaient autorisés à travailler en France sans avoir à justifier d'un autre titre qu'une pièce d'identité délivrée par l'Etat membre dont ils sont les nationaux, en vertu de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. La société RBAT Home fait également valoir que s'agissant du salarié faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, elle n'était pas en mesure de connaître sa situation administrative et de savoir que sa carte d'identité revêtait un caractère frauduleux, au demeurant non démontré par l'OFII. Pour justifier ses allégations, la société RBAT Home produit la copie des cartes d'identité roumaines des cinq salariés concernés, en cours de validité, comportant l'identité et la photographie de chacun d'entre eux et indiquant qu'ils sont en effet nés en République de Moldavie. Or, il résulte de l'instruction que l'OFII, qui se borne à invoquer des circonstances tenant à la chronologie des échanges entre l'inspection du travail et la société RBAT Home ainsi qu'aux propos certes contradictoires de cette dernière, n'a diligenté aucune enquête afin de démontrer que ces cartes d'identité n'étaient pas authentiques et de vérifier dans quelle mesure l'employeur aurait pu déceler le caractère frauduleux des documents d'identité de ces salariés, en particulier celui faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français. Par ailleurs, il n'est pas contesté par l'OFII que, comme le fait valoir la société RBAT Home, les originaux de ces cartes d'identités roumaines lui ont bien été remises par les salariés en cause lors de leur embauche. Dans ces conditions, la société RBAT Home doit être regardée comme ayant embauché des travailleurs étrangers de nationalité roumaine, autorisés à travailler en France sans avoir à justifier d'un autre titre qu'une pièce d'identité délivrée par l'Etat membre dont ils sont les nationaux. Elle doit également être regardée comme s'étant effectivement assurée, lors de leur recrutement, qu'ils disposaient d'un document d'identité de nature à justifier de la nationalité roumaine dont ils se prévalaient, alors, au demeurant, qu'elle n'était pas soumise à l'obligation de vérification des titres autorisant à travailler prévues par les dispositions de l'article L. 5221-8 du code du travail dès lors que les intéressés se prévalaient de leur qualité de ressortissant d'un Etat de l'Union européenne bénéficiant d'une dispense d'autorisation de travail. Dès lors, l'OFII ne saurait soutenir que la matérialité des faits est établie aux seuls motifs que le procès-verbal d'infraction fait foi jusqu'à preuve du contraire, que les cinq salariés n'ont pas produit leur carte d'identité roumaine lors du contrôle, que la société RBAT Home a initialement réfuté sa qualité d'employeur des cinq salariés concernés avant de les déclarer le lendemain du contrôle et que les contrats de travail de ces salariés, produits après plusieurs courriers, datent du jour du contrôle et mentionnent la nationalité moldave des intéressés. Par suite, l'OFII n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé les décisions litigieuses au motif que n'était pas établie la matérialité des faits rapportés par l'administration pour justifier la mise à la charge de la société requérant des contributions spéciale et forfaitaire à raison de l'emploi des cinq salariés susmentionnés.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l'OFII n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions attaquées.

Sur les frais d'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société RBAT Home, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que l'OFII demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'OFII une somme de 2 000 euros à verser à la société RBAT Home sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'OFII est rejetée.

Article 2 : L'OFII versera à la SARL RBAT Home une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à la SARL RBAT Home.

Délibéré après l'audience du 26 juin 2025, à laquelle siégeaient :

M. Martinez, président,

M. Agnel, président-assesseur,

Mme Stenger, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 juillet 2025.

La rapporteure,

Signé : L. StengerLe président,

Signé : J. Martinez

La greffière,

Signé : C. Schramm

La République mande et ordonne ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

C. Schramm

N° 24NC00120

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANCY
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NC00120
Date de la décision : 17/07/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. MARTINEZ
Rapporteur ?: Mme Laurence STENGER
Rapporteur public ?: Mme MOSSER
Avocat(s) : MEN ALLEN AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/08/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-07-17;24nc00120 ?
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