Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 28 janvier 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société par actions simplifiée (SAS) à procéder à son licenciement pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 2000720 du 18 février 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 avril et 30 novembre 2021, M. C..., représenté par Me Launay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 18 février 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 28 janvier 2020 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les membres du comité social et économique (CSE) ont été irrégulièrement convoqués ;
- les membres du CSE n'ont pas été suffisamment informés ;
- les faits fautifs qui lui sont reprochés ne sont pas établis ;
- ces faits ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; .
- la décision contestée est en lien avec son mandat.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juin et 14 décembre 2021, la société, représentée par Me de Courson, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Malingue, rapporteure publique,
- et les observations de Me Launay, représentant M. C... et de Me de Courson, représentant la société.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... a été recruté par la société à compter du 16 juillet 1990 pour occuper un emploi d'ouvrier de fabrication. Il bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée et occupait, en dernier lieu, les fonctions de préparateur de lots au sein d'un établissement situé dans le Calvados, spécialisé dans la fabrication de produits hyper-protéinés. Il était titulaire de mandats syndicaux dont il a démissionné le 20 juin 2019, avant d'être réélu quelques mois plus tard en qualité de membre du comité social et économique (CSE). Le 20 novembre 2019, il a été mis à pied à titre conservatoire par son employeur et convoqué à un entretien préalable fixé au 29 novembre 2019, pour avoir tenu des propos injurieux à l'égard d'un autre salarié entre le 9 et le 10 novembre 2019 et avoir agressé verbalement, menacé et insulté un salarié intérimaire le 17 novembre 2019. Le 5 décembre 2019, la société a présenté auprès de l'inspecteur du travail territorialement compétent une demande d'autorisation en vue de procéder au licenciement pour motif disciplinaire de M. C.... Le 28 janvier 2020, l'inspecteur du travail a accordé cette autorisation. M. C... a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Caen. Il relève appel du jugement du 18 février 2021, par lequel les premiers juges ont rejeté sa demande.
Sur la légalité de la décision du 28 janvier 2020 :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Aux termes de la décision contestée, il est reproché à M. C... d'avoir tenu des propos à caractère discriminatoire, injurieux et méprisants à l'encontre d'un de ses collègues et d'avoir agressé verbalement et menacé un salarié intérimaire. Plus précisément, entre le 9 et le 10 novembre 2019, alors qu'il se trouvait en salle de pause, M. C... a tenu des propos caricaturaux sur les épouses africaines, ce qui a conduit l'un de ses collègues directement concerné à réagir. M. C... a alors accusé ce dernier de " faire son Al-Qaïda d'Hérouville ". Si le requérant tente de minimiser ces faits en les qualifiant de " mauvais humour ", les attestations de ses collègues alors présents confirment les faits. La victime a d'ailleurs précisé que le requérant lui avait déjà adressé des remarques sur ses origines étrangères supposées. L'inspecteur du travail a retenus ces faits comme établis. Le dimanche 17 novembre suivant, vers 21h15, M. C... a reproché à un intérimaire sa lenteur d'exécution, ce qui a généré un stress chez ce salarié en reconversion qui a mis le chariot élévateur qu'il conduisait en défaut en heurtant le sol. M. C... l'a alors menacé d'en référer à sa hiérarchie pour qu'il soit évincé de la société. Ce dernier a réitéré ces critiques en présence de leurs chefs respectifs. Selon le requérant, il s'agissait d'un simple recadrage. Il nie les insultes et se prévaut de son ancien mandat de secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail pour soutenir qu'il voulait juste alerter la hiérarchie sur les risques encourus par un conducteur d'engins insuffisamment formé. Il met également en avant le fait que plusieurs collègues s'étaient plaints auprès de lui, en sa qualité de représentant des salariés au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de la qualité du travail des salariés intérimaires. Il ne résulte cependant pas de l'instruction que la manœuvre d'erreur initiée par ce salarié aurait mis en danger ses collègues ou même les locaux de la société. Si M. C... conteste les faits et soutient qu'il n'a ni insulté, ni agressé cet autre salarié, les témoignages produits attestent tous de la réalité des griefs formulés à son encontre. L'inspecteur du travail a d'ailleurs estimé que les faits étaient établis. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la réalité des faits sur lesquelles la décision contestée se fonde doit être regardée comme matériellement établie.
4. L'inspecteur du travail a estimé que l'incident des 9 et 10 novembre 2010 et celui du 17 novembre suivant ne revêtaient pas, pris séparément, une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. C.... En revanche, il a considéré que leur répétition dans un laps de temps réduit était de nature à justifier une telle sanction disciplinaire d'autant qu'elle s'inscrivait dans un contexte d'antécédents récents liés au comportement excessif de ce salarié. Il ressort à cet égard des pièces du dossier que M. C... a effectivement fait l'objet, le 16 août 2019, d'un rappel à l'ordre pour le non-respect de consignes et d'une mise à pied disciplinaire d'une journée pour refus d'exécuter les consignes, insubordination envers sa hiérarchie et dénigrement de la société. M. C... a également fait l'objet, le 25 mars 2019, d'un avertissement en raison d'une négligence professionnelle ayant affecté le processus de production, commise le 7 janvier 2019. Ces griefs ne sont toutefois pas de même nature que les faits qui justifient la décision contestée. Seul le " rappel de consignes " du 21 décembre 2017 pour des propos inacceptables et irrespectueux à l'égard d'un collègue peut être rapproché des faits litigieux. En outre, il est constant que M. C..., qui n'avait pas pris conscience du caractère blessant de ses propos prononcés au cours de la pause nocturne du 9-10 novembre 2019, qu'il qualifie de " mauvais humour ", a présenté des excuses à son collègue, qui les a acceptées. Enfin, pour justifier son caractère parfois " impulsif ", le requérant rappelle qu'il a fait l'objet de propos discriminatoire de la part de collègues au cours de l'année 2018 et que ce contexte, qui a justifié l'instauration d'une procédure de médiation qui s'est achevée le 13 septembre 2019, l'a fragilisé. Par suite, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, du fait que M. C..., qui n'assure pas de fonction d'encadrement, justifie d'une ancienneté de près de 30 ans au sein de la société, son licenciement pour motif disciplinaire doit être regardé comme présentant un caractère disproportionné au regard des faits qui lui sont reprochés.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. C..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C... d'une somme de 1 500 euros sur le même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2000720 du tribunal administratif de Caen en date du 18 février 2021 ainsi que la décision du 28 janvier 2020 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société à procéder au licenciement pour motif disciplinaire de M. C... sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. C... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à la société.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Gaspon, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mai 2022.
La rapporteure,
V. GELARDLe président,
O. GASPON
La greffière,
I. PETTON
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT00928