Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 13 avril 2021 par lequel le préfet de la Sarthe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi en cas d'exécution d'office de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2104458 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 16 septembre 2022 M. D... A..., représenté par Me Gonultas, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 avril 2021 du préfet de la Sarthe ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Sarthe, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen particulier de sa situation personnelle dans la mesure où il n'a fait l'objet que d'une seule condamnation pénale, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision prononçant une interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen particulier de sa situation personnelle et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences sur sa situation.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2022 le préfet de la Sarthe conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. D... A... ne sont pas fondés.
M. D... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... A..., ressortissant portugais, né le 11 mars 1994 en Guinée-Bissau et entré en France en 2008, a fait l'objet le 13 avril 2021 d'un arrêté par lequel le préfet de la Sarthe l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé son pays de renvoi en cas d'exécution d'office de cette mesure d'éloignement et a prononcé une interdiction de circulation en France pendant une durée de trois ans. Par un jugement du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. M. D... A... relève appel de ce jugement.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Aux termes de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) II. - L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire sans délai peut, dans les quarante-huit heures suivant sa notification par voie administrative, demander au président du tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. /Il est statué sur ce recours selon la procédure et dans les délais prévus, selon les cas, aux I ou I bis. / (...) ".
3. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes de l'article R. 776-1 du même code : " Sont présentées, instruites et jugées selon les dispositions de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celles du présent code, sous réserve des dispositions du présent chapitre, les requêtes dirigées contre : / 1° Les décisions portant obligation de quitter le territoire français, prévues au I de l'article L. 511-1 et à l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que les décisions relatives au séjour notifiées avec les décisions portant obligation de quitter le territoire français ; / 2° Les décisions relatives au délai de départ volontaire prévues au II de l'article L. 511-1 du même code ; / 3° Les interdictions de retour sur le territoire français prévues au III du même article et les interdictions de circulation sur le territoire français prévues à l'article L. 511-3-2 du même code ; / 4° Les décisions fixant le pays de renvoi prévues à l'article L. 513-3 du même code ; / (...) / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions tendant à l'annulation d'une autre mesure d'éloignement prévue au livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à l'exception des arrêtés d'expulsion, présentées en cas de placement en rétention administrative, en cas de détention ou dans le cadre d'une requête dirigée contre la décision d'assignation à résidence prise au titre de cette mesure. / Sont instruites et jugées dans les mêmes conditions les conclusions présentées dans le cadre des requêtes dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français mentionnées au 1° du présent article, sur le fondement de l'article L. 743-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, tendant à la suspension de l'exécution de ces mesures d'éloignement ".
4. Enfin, d'une part, aux termes de l'article R. 776-19 du code de justice administrative : " Si, au moment de la notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1, l'étranger est retenu par l'autorité administrative, sa requête peut valablement être déposée, dans le délai de recours contentieux, auprès de ladite autorité administrative ". D'autre part, il résulte des dispositions combinées des articles R. 776-29 et R. 776-31 du même code, issues du décret du 28 octobre 2016 pris pour l'application du titre II de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, que les étrangers ayant reçu notification d'une décision mentionnée à l'article R. 776-1 du code alors qu'ils sont en détention ont la faculté de déposer leur requête, dans le délai de recours contentieux, auprès du chef de l'établissement pénitentiaire.
5. Pour rendre opposable le délai de recours contentieux, l'administration est tenue, en application de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, de faire figurer dans la notification de ses décisions la mention des délais et voies de recours contentieux ainsi que les délais des recours administratifs préalables obligatoires. Elle n'est en principe pas tenue d'ajouter d'autres indications, notamment les délais de distance, la possibilité de former des recours gracieux et hiérarchiques facultatifs ou la possibilité de former une demande d'aide juridictionnelle. Si des indications supplémentaires sont toutefois ajoutées, ces dernières ne doivent pas faire naître d'ambiguïtés de nature à induire en erreur les destinataires des décisions dans des conditions telles qu'ils pourraient se trouver privés du droit à un recours effectif.
6. En cas de rétention ou de détention, lorsque l'étranger entend contester une décision prise sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour laquelle celui-ci a prévu un délai de recours bref, notamment lorsqu'il entend contester une décision portant obligation de quitter le territoire sans délai, la circonstance que sa requête ait été adressée, dans le délai de recours, à l'administration chargée de la rétention ou au chef d'établissement pénitentiaire, fait obstacle à ce qu'elle soit regardée comme tardive, alors même qu'elle ne parviendrait au greffe du tribunal administratif qu'après l'expiration de ce délai de recours.
7. Depuis l'entrée en vigueur des dispositions mentionnées au point 4 ci-dessus, au
1er novembre 2016, il incombe à l'administration de faire figurer, dans la notification à un étranger retenu ou détenu d'une décision prise sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour laquelle celui-ci a prévu un délai de recours bref, notamment d'une décision portant obligation de quitter le territoire sans délai, pour laquelle l'article L. 512-1 de ce code prévoit un délai de recours de quarante-huit heures, la possibilité de déposer une requête contre cette décision, dans le délai de recours, auprès de l'administration chargée de la rétention ou du chef d'établissement pénitentiaire.
8. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du préfet de la Sarthe du 13 avril 2021 faisant obligation à M. D... A... de quitter sans délai le territoire français à destination du pays dont il a la nationalité ou vers tout autre pays dans lequel il est légalement admissible, et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français, lui a été notifié par voie administrative le 15 avril 2021 à 11 heures 10. La demande tendant à l'annulation de cet arrêté n'a été enregistrée que le 23 avril 2021 au greffe du tribunal administratif de Nantes, soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contentieux de quarante-huit heures. Toutefois, si la notification de cet arrêté comportait l'indication des voies et délais de recours, elle ne mentionnait pas la possibilité de déposer une requête contre cette décision, dans le délai de recours, auprès du chef d'établissement pénitentiaire, alors qu'il est constant que M. D... A... était incarcéré à la maison d'arrêt du Mans à la date où l'arrêté contesté lui a été notifié. Dès lors, il n'y a pas lieu d'accueillir la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Sarthe et tirée de la tardiveté de la demande de première instance.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Aux termes de l'article L. 511-3-1 dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : (...) 3° Ou que son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. (...) L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine ".
10. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et notamment de ses articles 27 et 28 mentionnés au point 1. Il résulte à cet égard des termes mêmes du 3° de l'article L. 511-3-1, qui concerne des ressortissants d'un Etat membre qui ne sont pas entrés en France depuis plus de trois mois, qu'elles ne visent pas les personnes bénéficiant de la protection prévue à l'article 28 de la directive, quant au degré particulier de gravité des motifs d'ordre public dont un Etat membre doit justifier pour pouvoir prendre à leur encontre une mesure d'éloignement. Il appartient néanmoins à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
11. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Sarthe, pour estimer que le comportement personnel de M. D... A... constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, a pris en compte le mandat de dépôt dont l'intéressé a fait l'objet à compter du 18 mars 2021 pour vol aggravé dans deux circonstances commis le 4 novembre 2020, puis le contrôle judiciaire ordonné à compter du 19 avril 2021 pour les mêmes affaires. Toutefois, par un jugement du 17 mai 2021, le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire a relaxé M. D... A... des faits reprochés. Le préfet a retenu comme autre motif la condamnation de l'intéressé par le tribunal correctionnel de Vannes le 27 juin 2018 à deux mois d'emprisonnement avec sursis pour conduite d'un véhicule malgré l'injonction qui a été faite au requérant de restituer son permis de conduire résultant du retrait de la totalité des points. Enfin, il s'est fondé sur d'autres faits pour lesquels M. D... A... est connu des services sans avoir été condamné. Les éléments ainsi exposés ne permettent pas d'estimer que le comportement général de M. D... A... était de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française au sens des dispositions de l'article L. 511-3-1 précité. Par suite, et sans qu'il besoin d'examiner la situation individuelle de M. D... A..., notamment la durée de son séjour en France, sa situation familiale et économique et son intégration, la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des dispositions précitées du 3° de L.511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il y a lieu d'annuler cette décision et, par voie de conséquence, celles fixant le pays de destination et prononçant une interdiction de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans.
12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. D... A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
13. Eu égard au motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il est enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la situation de M. D... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir. En revanche, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
14. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le versement à Me Gonultas, conseil de M. D... A..., de la somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2104458 du tribunal administratif de Nantes du 7 juillet 2022 et l'arrêté du préfet de la Sarthe du 13 avril 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Sarthe de réexaminer la situation de M. D... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 000 euros au titre des dispositions des
articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 à Me Gonultas, conseil de M. D... A....
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D... A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée pour information au préfet de la Sarthe.
Délibéré après l'audience du 9 février 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, présidente de chambre,
- M. Geffray, président-assesseur,
- M. Penhoat, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 mars 2023.
Le rapporteur
J.E. C...La présidente
I. Perrot
La greffière
A. Marchais
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT03029