Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires au Soudan refusant de délivrer à Mme F... C... un visa de long séjour en qualité d'épouse de réfugié.
Par un jugement n° 2207722 du 24 mars 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à Mme D... C... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... A... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- alors que le mariage a été célébré postérieurement à l'enregistrement de la demande d'asile de M. B... A..., sa conjointe ne peut se prévaloir de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le nouvel acte de mariage produit présente un caractère frauduleux ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'ont pas été méconnues.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, M. E... B... A..., représenté par Me Kwemo, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au bénéfice de son conseil sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés et que la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (25%) par une décision du 11 mai 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... B... A..., ressortissant soudanais né en 1991, a obtenu le statut de réfugié en France en 2017. Mme F... C..., présentée comme son épouse, s'est vu refuser le 6 janvier 2022 par les autorités consulaires au Soudan le visa sollicité au titre de la réunification familiale. Par une décision implicite née le 15 avril 2022, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision de refus de visa. Par un jugement du 24 mars 2023, dont le ministre de l'intérieur et des outre-mer relève appel, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission et a enjoint au ministre de faire délivrer à Mme F... C... le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par une décision du 28 juin 2023, le président de la 5ème chambre de la cour a sursis à l'exécution de ce jugement jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la présente requête.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser de délivrer le visa sollicité par Mme D... C..., la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le fait que l'union de M. et Mme B... A... avait été célébrée postérieurement à la demande d'introduction de la demande d'asile de M. B... A..., alors que le dernier acte de mariage produit est frauduleux.
3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile (...). ". Et aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire./
En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ", ce dernier disposant que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Il est d'une part constant que la demande d'asile de M. B... A... a été enregistrée le 13 décembre 2016 en France. D'autre part, si à l'appui de sa demande d'asile M. B... A... a indiqué s'être marié en 2016 avec Mme D... C... il a ensuite communiqué à l'OFPRA un acte de mariage, produit pour la première fois par le ministre devant la cour, mentionnant une union conclue le 1er mai 2017 devant un agent matrimonial affilié au tribunal de Zalinge (Soudan), signé par un juge de ce tribunal, avec un enregistrement au " livret des tribunaux de charia n°12 ", en l'absence des mariés, représentés par des mandataires assistés chacun d'un témoin. Si M. B... A... établit avoir demandé en décembre 2017 à l'OFPRA de modifier cette date, afin de mentionner celle du 1er mai 2016, en expliquant que son mariage n'avait pas été enregistré au Soudan en 2016 pour des raisons de sécurité personnelle, l'Office n'a pas satisfait à cette demande. La copie d'acte de mariage datée du 16 janvier 2022 dont se prévaut désormais l'intéressé mentionne une union célébrée le 1er mai 2016, mais émane, non d'un juge, mais de l'agent matrimonial ayant officié, comporte un nouveau numéro d'acte, et ne fait pas état d'un enregistrement différé de ce mariage. L'attestation sous serment, établie le 4 novembre 2017 par les deux témoins du mariage faisant état d'une union le 1er mai 2016 ne permet pas davantage d'expliquer la divergence constatée sur la date de mariage entre les documents produits. Enfin, aucun élément de possession d'état ne permet d'établir l'existence d'une union conclue le 1er mai 2016, les premiers transferts d'argent de M. B... A... à sa conjointe datant de 2019. Dans ces conditions, Mme D... C... ne peut se prévaloir des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile faute d'établir que son union avec M. B... A... a été célébrée antérieurement à la demande d'asile de ce dernier.
7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé, pour annuler la décision contestée, sur ce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 3.
8. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... A... devant le tribunal administratif de Nantes et devant la cour.
9. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, désormais reprises à l'article D. 312-3 du même code, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision consulaire du 6 janvier 2022. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. E... B... A... aurait demandé la communication des motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France qui s'y est substituée. Il suit de là que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation des décisions de l'autorité consulaire et de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France doit être écarté.
10. En second lieu, si M. E... B... A... fait valoir que la décision contestée porte atteinte au respect de sa vie privée et familiale, il ressort des pièces du dossier que les intéressés n'allèguent pas même s'être rencontrés avant leur union célébrée en leur absence au Soudan le 1er mai 2017, alors que M. E... B... A... a déclaré avoir quitté le Soudan pour la Lybie en novembre 2015. Si M. E... B... A... soutient avoir vu son épouse à plusieurs reprises en Éthiopie, il n'établit une telle rencontre qu'en 2022, tout comme le fait que cette dernière est enceinte depuis août 2022. Or, ces derniers éléments, postérieurs à la date de la date contestée, sont dès lors sans incidence sur sa légalité. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. E... B... A..., la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 6 janvier 2022 des autorités consulaires françaises à Khartoum refusant de délivrer un visa de long séjour à Mme D... C... au titre de la réunification familiale.
Sur les frais d'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par M. B... A....
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2207722 du 24 mars 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. E... B... A... devant le tribunal administratif de Nantes ainsi que ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. E... B... A....
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
J. FRANCFORT
La greffière,
S. PIERODÉ
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT00896