La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/11/2023 | FRANCE | N°23NT01620

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 17 novembre 2023, 23NT01620


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Manche lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300843 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Manche a fait obligation à Mme B... de quitter l

e territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Manche lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an.

Par un jugement n° 2300843 du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Manche a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour pour une durée d'un an.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 juin 2023, le préfet de la Manche demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Caen du 9 mai 2023 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Caen.

Il soutient que l'annulation par la cour du jugement concernant l'époux de Mme B... entraînera l'annulation du jugement attaqué.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juillet 2023, Mme B..., représentée par Me Lelouey, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros au profit de son avocate, Me Lelouey, en application des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que le moyen soulevé par le préfet de la Manche n'est pas fondé.

Mme B... a obtenu le maintien de plein droit du bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Le rapport de Mme Picquet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... B..., de nationalité géorgienne, entrée en France le 7 aout 2022 avec son époux, M. D... C..., et son fils mineur, a vu sa demande d'asile rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 23 novembre 2022. Par un arrêté du 21 février 2023 dont l'intéressée a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation, le préfet de la Manche lui a fait obligation de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour en France pour une durée d'un an. Par un jugement du 9 mai 2023, le tribunal administratif de Caen a annulé cet arrêté du 21 février 2023. Le préfet de la Manche fait appel de ce jugement.

Sur le moyen accueilli par le tribunal administratif de Caen dans le jugement attaqué :

2. Par un arrêt de ce jour, la cour a annulé le jugement du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Caen annulant l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Manche a fait obligation à M. C... de quitter le territoire dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour pour une durée d'un an. Ainsi, c'est à tort que le premier juge a accueilli le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français prise à l'encontre de son épouse, Mme B..., devait être annulée par voie de conséquence de l'annulation de la mesure prise à l'encontre de son mari, ainsi que la décision fixant le pays de destination et l'interdiction de retour en France.

3. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif et devant la cour.

Sur les autres moyens soulevés par Mme B... :

En ce qui concerne le moyen commun aux conclusions dirigées contre l'arrêté contesté :

4. Par un arrêté du 22 novembre 2021 régulièrement publié, M. Laurent Simplicien, secrétaire général de la préfecture de la Manche, a reçu délégation du préfet de la Manche à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions en toutes matières ressortissant au service de l'immigration. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté contesté doit, dès lors, être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. Mme B... est entrée en France le 7 août 2022, soit seulement six mois avant l'arrêté contesté. Son époux, de nationalité géorgienne, a fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dont la légalité est confirmée par un arrêt de la cour de ce jour. S'ils ont un enfant né en 2017, scolarisé en école maternelle, il n'est ni établi ni même allégué qu'il ne pourrait pas poursuivre sa scolarité dans son pays d'origine. Les menaces dont sa famille et elle feraient l'objet en Géorgie en raison des opinions politiques de son mari ne sont étayées par aucune pièce du dossier, alors d'ailleurs que leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Si son époux souffre de problèmes rénaux et suit un traitement médicamenteux avec des examens prévus, à supposer même que l'absence de traitement puisse entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité il ne ressort pas des pièces du dossier que des médicaments antidouleurs ou des anxiolytiques ne seraient pas disponibles en Géorgie, de même que la possibilité d'y effectuer des examens ou d'y subir des interventions chirurgicales. Le seul rapport général de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés ne suffit pas à établir que le coût du traitement de son époux en Géorgie serait tel qu'il ne pourrait pas y avoir effectivement accès. Ainsi, rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Géorgie. Dans ces conditions, les moyens tirés de ce que la décision contestée a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation de l'intéressée doivent être écartés.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

6. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

7. Pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point 8, les moyens tirés de ce que la décision contestée méconnait l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés.

En ce qui concerne l'interdiction de retour :

8. En premier lieu, en vertu de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français sont motivées. La décision contestée indique que la durée de présence de l'intéressée sur le territoire français est d'environ six mois, que ses liens personnels et familiaux en France ne sont pas anciens, stables et intenses compte tenu du fait qu'elle a vécu jusqu'à l'âge de 38 ans dans son pays d'origine, que son époux fait également l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, que leur enfant né en 2017, de nationalité géorgienne, peut les accompagner, qu'elle n'a pas fait l'objet d'une précédente mesure d'éloignement, qu'elle ne constitue pas par son comportement une menace pour l'ordre public et que, compte tenu des circonstances propres au cas d'espèce, il y a lieu d'édicter à l'encontre de l'intéressée une interdiction de retour pendant un an, laquelle ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision contestée est insuffisamment motivée doit être écarté.

9. En second lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

10. Compte tenu de la brièveté du séjour en France de l'intéressée et de son absence de liens d'une particulière intensité sur ce territoire, son époux et leur enfant pouvant l'accompagner dans leur pays d'origine, le préfet n'a pas méconnu l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire français prise à son encontre, alors même que les intéressés ne représentent pas une menace pour l'ordre public, que l'époux de l'intéressée souhaiterait déposer une demande de titre de séjour fondée sur son état de santé et que les recours contre les rejets de sa demande d'asile et de celle de son mari étaient pendants devant la Cour nationale du droit d'asile. En particulier, l'intéressée ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des dispositions combinées des articles L. 542-2 et L. 531-24 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Manche est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé son arrêté du 21 février 2023.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de

Mme B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2300843 du 9 mai 2023 du tribunal administratif de Caen est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Caen et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme A... B....

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Manche.

Délibéré après l'audience du 24 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président-assesseur,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 novembre 2023.

La rapporteure

P. Picquet

Le président

L. Lainé Le greffier

C. Wolf

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT01620


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT01620
Date de la décision : 17/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINÉ
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: Mme ROSEMBERG
Avocat(s) : LELOUEY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-11-17;23nt01620 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award