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06/02/2024 | FRANCE | N°22NT03031

France | France, Cour administrative d'appel, 5ème chambre, 06 février 2024, 22NT03031


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants F... A... et E... B..., et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 mai 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 février 2021 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone refusant de délivrer à Mme B... et aux en

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants F... A... et E... B..., et Mme G... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 mai 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 8 février 2021 de l'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone refusant de délivrer à Mme B... et aux enfants F... A... et E... B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2108769 du 11 mai 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 septembre 2022, M. D... C... B..., agissant en son nom et en qualité de représentant légal des enfants F... A... et E... B..., et Mme G... B..., représentés par Me Guilbaud, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 mai 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 19 mai 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer les demandes dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée méconnait les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision en litige est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnait les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme B... ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 août 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dubost,

- et les observations de Me Guilbaud, représentant M. et Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant guinéen né le 18 juin 1972, s'est vu reconnaître en France la qualité de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 avril 2019. Des demandes de visa de long séjour au titre de la réunification familiale ont été déposées pour Mme B..., née le 20 février 1989, que M. B... présente comme son épouse, ainsi que pour les jeunes F... A... et E... B..., ses neveux nés respectivement les 30 janvier 2009 et 26 février 2014, que M. B... présente comme ses enfants adoptifs. L'autorité consulaire française en Guinée et en Sierra-Leone, a rejeté ces demandes par une décision du 8 février 2021. Le recours formé contre ce refus consulaire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été rejeté par une décision du 19 mai 2021. M. et Mme B... relèvent appel du jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 mai 2022 rejetant leur demande d'annulation de la décision de la commission.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours formé à l'encontre de la décision des autorités consulaires françaises en Guinée et en Sierra-Leone, sur les circonstances qu'il n'existe pas de lien matrimonial entre M. et Mme B... ni de lien de filiation entre M. B... et ses enfants allégués.

3. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article L. 561-4 du même code : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint (...). ". Aux termes de l'article L. 561-5 dudit code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

En ce qui concerne Mme G... B... :

4. En premier lieu, d'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a quitté la Guinée en 2011, alors qu'il était déjà marié depuis 2004, et son divorce d'avec cette épouse n'a été prononcé que le 15 octobre 2021 par le tribunal de première instance de Conakry II. D'autre part, M. D... C... et Mme G... B... se sont unis civilement le 24 janvier 2022 au Mali, postérieurement à la demande d'asile formée par M. B..., le 25 janvier 2018. S'ils font valoir qu'ils disposent d'une vie commune antérieure et se sont mariés religieusement dès le 31 mars 2016, il ressort de l'entretien conduit par l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), le 10 avril 2018, que M. B... n'a pas assisté à ce mariage et qu'il n'avait rencontré sa femme à cette date seulement qu'une fois. Si M. et Mme B... versent des preuves de transferts d'argent au bénéfice de Mme B... à compter du mois d'octobre 2017 ainsi que des échanges ponctuels par messagerie électronique à compter du mois de mai 2016, de tels éléments ne suffisent pas à établir une vie commune suffisamment stable et continue avant la date d'introduction de la demande d'asile de M. B.... Il en va de même de la circonstance que M. B... aurait effectué un voyage en Guinée d'une durée de quatre jours en 2016 pour y rencontrer Mme B.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu, sans faire une inexacte application des dispositions précitées, rejeter la demande de visa litigieuse au motif qu'il n'était justifié ni d'un lien matrimonial ni d'une vie commune suffisamment stable et continue antérieurs à la demande d'asile de M. B....

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. En l'espèce, en l'absence de preuve d'une vie commune suffisamment stable et continue, ainsi qu'il vient d'être dit, et alors que pièces du dossier ne permettent pas d'établir les allégations des requérants selon lesquelles Mme B... assurerait la garde et l'éducation des jeunes F... A... et E... B..., le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme doit être écarté.

7. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux évoqués au point précédent, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation personnelle doit également être écarté.

En ce qui concerne les enfants F... A... et E... B... :

8. Les motifs de la décision contestée tirés de ce que le lien de filiation ne serait pas établi et que le jugement d'adoption n'aurait pas fait l'objet d'une vérification auprès du procureur de la République, que le ministre n'a pas souhaité défendre au contentieux, ne sont pas de nature à fonder légalement la décision de refus de visa contestée dès lors que le jugement d'adoption simple rendu par le tribunal de première instance de Kindia le 10 décembre 2019 sous le n° 061, dont l'autorité administrative n'établit pas le caractère frauduleux et qui produit des effets indépendamment de toute déclaration d'exequatur, est de nature à établir l'existence d'un lien de filiation entre les enfants, demandeurs de visa, et M. B....

9. Toutefois, pour établir que la décision attaquée était légale, le ministre a fait valoir en première instance, et repris en appel, un nouveau motif fondé sur la circonstance que le jugement d'adoption serait postérieur à l'introduction de la demande d'asile de M. B....

10. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

11. Il ressort des termes mêmes du 3° de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que ces dispositions ouvrent un droit à réunification pour les enfants non mariés de la personne bénéficiaire d'une protection internationale n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire, sans subordonner ce droit au fait que cette qualité d'enfant ait été acquise antérieurement à la date d'introduction de la demande d'asile du réunifiant. En l'espèce, la circonstance que le lien de filiation entre M. B... et les enfants F... A... et E... B... ait été établi par le jugement d'adoption simple rendu par le tribunal de première instance de Kindia le 10 décembre 2019, postérieurement à la demande d'asile de M. B... du 25 janvier 2018, ne fait pas obstacle à l'application des dispositions de l'article L. 561-2 du code précité et à ce que les enfants F... A... et E... B... soient admis au bénéfice de la réunification familiale. Il résulte de ce qui précède que la substitution de motif demandée par le ministre doit être écartée.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre la décision en ce qu'elle concerne les enfants F... A... et E... B..., que M. et Mme B... sont uniquement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande en ce qu'elle concerne les enfants F... A... et E... B....

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

13. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux seuls enfants F... A... et E... B.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un tel visa dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Guilbaud dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2108769 du 11 mai 2022 du tribunal administratif de Nantes est annulé en tant qu'il a rejeté la demande de M. et Mme B... concernant les enfants F... A... et E... B....

Article 2 : La décision du 19 mai 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France en tant qu'elle était présentée pour les enfants F... A... et E... B... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants F... A... B... et E... B... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Guilbaud une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... B..., à Mme G... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 18 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- Mme Ody, première conseillère,

- Mme Dubost, première conseillère .

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 février 2024.

La rapporteure,

A.-M. DUBOST

Le président de la formation

de jugement,

C RIVASLa présidente,

C. BUFFET

Le greffier,

C. GOY

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03031


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03031
Date de la décision : 06/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Anne-Maude DUBOST
Rapporteur public ?: M. FRANK
Avocat(s) : GUILBAUD

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-06;22nt03031 ?
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