Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Sous le n° 1812221 M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 25 septembre 2018 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
Sous le n° 1812222 M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 octobre 2018 par laquelle le préfet de la Haute-Garonne a ajourné à deux ans sa demande de naturalisation.
Par un jugement n°s 1812221,1812222 du 8 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... B....
Procédure devant la cour :
I. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 octobre 2022 et 8 juin 2023 sous le n° 22NT3226, M. C... B..., représenté par Me Bourqueney, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 15 janvier 2019 du ministre de l'intérieur ajournant à deux ans sa demande de naturalisation.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- il n'a pas été procédé à un examen particulier de sa situation ;
- le centre de ses intérêts matériel et financiers est fixé en France où il exerce une activité stable et pérenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation est irrecevable dès lors qu'il est présenté pour la première fois en appel et que les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. C... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 août 2022.
II. Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 octobre 2022 et 8 juin 2023 sous le n° 22NT3227, M. A... B..., représenté par Me Bourqueney, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 février 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 22 janvier 2019 du ministre de l'intérieur ajournant à deux ans sa demande de naturalisation.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'une insuffisance de motivation ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- il n'a pas été procédé à un examen particulier de sa situation ;
- le centre de ses intérêts matériel et financiers est fixé en France où il exerce une activité stable et pérenne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 mars 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- La requête est irrecevable en raison de sa tardiveté ;
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation est irrecevable dès lors qu'il est présenté pour la première fois en appel ;
- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. A... B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 13 octobre 2022.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code civil ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Rivas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 25 septembre 2018, le préfet de la Haute-Garonne a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de M. C... B... et par une décision du 11 octobre suivant, il a pris la même décision en réponse à la demande de son frère, M. A... B.... Les 8 et 15 octobre 2018, les deux intéressés ont respectivement formé auprès du ministre chargé des naturalisations un recours hiérarchique. Et par des décisions du 15 janvier 2019, pour M. C... B..., et du 22 janvier 2019 pour M. A... B..., le ministre de l'intérieur a rejeté leurs recours et a maintenu les décisions préfectorales d'ajournement. Par un jugement commun du 8 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les deux demandes qu'il a analysées comme émanant du seul M. C... B... et dirigées contre une décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre sur le recours de ce dernier. MM. A... et C... B... relèvent appel de ce jugement.
2. Les requêtes n° 22NT03226 et 22NT03227 présentées respectivement par M. C... B... et M. A... B... sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité de la requête de M. A... B... :
3. Aux termes de l'article R. 811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l'instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R. 751-3 et R. 751-4-1. (...) ". Aux termes de l'article R. 751-4-1 du même code : " Par dérogation aux articles R. 751-2, R. 751-3 et R. 751-4, la décision peut être notifiée par le moyen de l'application informatique mentionnée à l'article R. 414-1 aux parties qui sont inscrites dans cette application ou du téléservice mentionné à l'article R. 414-2 aux parties qui en ont accepté l'usage pour l'instance considérée. / Ces parties sont réputées avoir reçu la notification à la date de première consultation de la décision, certifiée par l'accusé de réception délivré par l'application informatique, ou, à défaut de consultation dans un délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition de la décision dans l'application, à l'issue de ce délai. Sauf demande contraire de leur part, les parties sont alertées de la notification par un message électronique envoyé à l'adresse choisie par elles. ".
4. En vertu de l'article 44 du décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ce délai est interrompu par une demande d'aide juridictionnelle et un nouveau délai court à compter du jour de la réception par l'intéressé de la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, de la date à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné.
5. Il ressort des pièces de la procédure que le jugement n°s 1812221, 1812222 du 8 février 2022 du tribunal administratif de Nantes a été notifié à M. A... B... par voie électronique le 8 février 2022 et que celui-ci en a accusé réception le même jour à 13h32. Le courrier l'accompagnant mentionnait notamment le délai d'appel de deux mois. Or M. A... B... a présenté une demande d'aide juridictionnelle le 2 août 2022, date à laquelle le délai d'appel était expiré. Aussi cette demande n'a pas pu avoir pour effet d'interrompre le délai de deux mois imparti pour faire appel du jugement attaqué. Par suite, ainsi que l'a opposé le ministre par un mémoire en défense qui a été communiqué à M. A... B..., la requête d'appel de ce dernier, enregistrée le 7 octobre 2022, est tardive et ne peut qu'être rejetée comme irrecevable.
Sur la régularité du jugement attaqué en tant qu'il concerne M. C... B... :
6. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
7. Les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à l'ensemble des arguments présentés par M. C... B..., ont exposé avec la précision nécessaire, au point 5 du jugement attaqué, les motifs pour lesquels ils ont estimé que la décision ministérielle contestée n'est pas entachée d'erreur de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou d'une discrimination à l'égard des choix professionnels de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il concerne M. C... B... :
8. Afin d'ajourner à deux ans la demande de naturalisation de M. C... B... le ministre de l'intérieur lui a opposé dans sa décision du 15 janvier 2019 que " votre parcours professionnel, apprécié dans sa globalité depuis votre entrée en France, et notamment depuis la fin de votre contrat à durée indéterminée à temps partiel en juin 2018, ne permet pas de considérer que vous avez réalisé pleinement votre insertion professionnelle puisque vous ne disposez pas de ressources suffisantes et stables. ". Cette décision, intervenue en réponse au recours formé par M. B... contre la décision préfectorale, s'est substituée à cette dernière s'agissant d'un recours administratif préalable obligatoire.
9. En premier lieu, aux termes de l'article 27 du code civil : " Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d'acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu'une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée. ".
10. D'une part, en mentionnant, dans sa décision contestée, l'article 44 dans sa rédaction alors en vigueur du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, le ministre de l'intérieur a énoncé les éléments de droit constituant son fondement. D'autre part, cette même décision comporte les éléments de fait sur lesquels elle est fondée, ainsi qu'il est indiqué au point 8. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision, manquant en fait, doit être écarté.
11. En deuxième lieu, il ne ressort ni de la décision contestée qui, ainsi qu'il vient d'être dit, est suffisamment motivée, ni des autres pièces du dossier que le ministre de l'intérieur aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. B....
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret susvisé du 30 décembre 1993 : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. (...) ".
13. L'autorité administrative dispose, en matière de naturalisation ou de réintégration dans la nationalité française, d'un large pouvoir d'appréciation. Elle peut, dans l'exercice de ce pouvoir, prendre en considération notamment, pour apprécier l'intérêt que présenterait l'octroi de la nationalité française, l'intégration de l'intéressé dans la société française, son insertion sociale et professionnelle et le fait qu'il dispose de ressources lui permettant de subvenir durablement à ses besoins en France.
14. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de la décision ministérielle contestée, M. B..., né en 1968, vit sur le territoire français depuis l'année 2000. Il y a poursuivi un parcours d'artiste plasticien et de formateur en arts plastiques et calligraphie dans plusieurs structures publiques ou associatives, telles que des lieux d'enseignement ou des centres sociaux. Il s'est également formé en France au métier de décorateur d'intérieur. Il n'en est pas moins avéré que ses revenus sont demeurés faibles et qu'il a connu de longues périodes sans emploi. Ainsi il est établi par une " attestation fiscale pour demandeurs d'emploi de longue durée ", établie le 20 juin 2018 par Pôle emploi, qu'il est resté sans emploi notamment entre octobre 2013 et juin 2014, entre octobre 2014 et juin 2017, et entre juillet 2017 et avril 2018. Pour les années 2014, 2015 et 2017, il a déclaré successivement à l'administration fiscale 377 euros, 2 745 euros et 1 320 euros de revenus salariés et assimilés. Si M. B... se prévaut de la conclusion en mars 2019 d'un contrat à durée indéterminée, outre que cette situation est postérieure à la décision contestée et donc sans incidence sur sa légalité, il n'établit pas l'existence d'un tel contrat, ni a fortiori, sa rémunération. Dans ces conditions, nonobstant l'intérêt porté à ses travaux et formations par ses commanditaires, M. B... ne peut être regardé comme ayant réalisé pleinement son insertion professionnelle à la date de la décision contestée. Il ne peut utilement se prévaloir de la circonstance qu'il a le centre de ses intérêts matériels et familiaux en France, alors que la décision contestée, qui ajourne sa demande en application de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993, ne lui oppose pas l'absence de résidence en France sur le fondement de l'article 21-16 du code civil. Dans ces conditions, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont il dispose pour accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite, le ministre chargé des naturalisations a pu, sans entacher sa décision d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation, ajourner à deux ans la demande d'acquisition de la nationalité française de M. B... au motif qu'il n'avait pas alors pleinement réalisé son insertion professionnelle.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
D E C I D E :
Article 1er : Les requêtes de MM. C... et A... B... sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à M. C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 15 février 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Degommier, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- Mme Ody, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mars 2024.
Le rapporteur,
C. RIVAS
Le président,
S. DEGOMMIER
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 22NT03226, 22NT03227